« On assiste à une campagne de dénigrement, de haine. »
03/05/2007 - © Le Point
Le Point : Jean-Marie Le Pen attaque Nicolas Sarkozy sur ses origines juives hongroises, estimant qu'elles jouent « en sa faveur » ; un site Internet dénonce « Sarkozy le juif hongrois » et ses soutiens de confession juive. Comment réagit le réalisateur de « Shoah » face à de tels propos ?
Claude Lanzmann : Je ne sais pas grand-chose des origines juives ou supposées telles de Nicolas Sarkozy. Les généalogistes s'en donnent à coeur à joie et de toute façon cela me fait horreur. Je crois n'avoir jamais assisté au cours de ma vie, en France, à une telle campagne de dénigrement, de haine, alimentée par toutes sortes de rumeurs nauséabondes, contre un candidat à la présidence de la République. Je reçois moi-même tous les jours sur Internet des caricatures, des libelles ignobles et parfaitement infondés concernant Nicolas Sarkozy. Je n'imaginais pas que le débat démocratique puisse prendre un pareil tour, mais le fait est là : les miasmes puants et repoussants d'un certain inconscient français s'expriment et reviennent à pleine force. Ces insinuations, cette destruction interne du débat démocratique rappellent de sales souvenirs...
En d'autres temps, un tel discours aurait suscité une condamnation générale. Aujourd'hui, il semble que celui-ci se soit quelque peu banalisé. Qu'en dites-vous ?
Il y a en effet une banalisation de ce type de discours, conséquence d'une marchandisation forcenée des médias (il semble que la presse elle-même soit saisie de folie), qui exalte un jour et abaisse le jour suivant pour créer un suspense complètement artificiel. Ce qui permet aux pires horreurs de passer sans susciter de réactions ou alors très, très faibles. Quand Le Pen a tenu ces propos, on a vu peu de gens au PS se lever et dire non, dire qu'on n'avait pas le droit de traiter un candidat de la sorte. Je trouve, de la même manière, aussi absurde l'« hitlérisation » de Sarkozy et la façon dont le « TSS » (Tout sauf Sarkozy) cherche à jouer sur la peur. Un journal dont je ne citerai pas le nom semble avoir mis tous ses espoirs de résurrection dans une passion antisarkozyste, qui est elle-même un symptôme. Ségolène Royal, elle, n'a jamais fait siennes ces dérives.
D'une certaine façon, il y a plus d'affinités entre Royal et Sarkozy qu'entre Royal et Bayrou. Souvenez-vous du discours de la candidate socialiste, au début de sa campagne, sur l'ordre juste, la famille, le travail. Des éléphants et des éléphanteaux du PS l'accusaient frontalement d'avoir un discours pétainiste.
J'ai rencontré Sarkozy une fois, il ne m'a pas fait l'effet d'un dictateur. Au contraire, j'ai vu un homme parfaitement calme, pas du tout excité et capable d'écouter - c'est ce qui m'a frappé. Il m'a longuement interrogé sur le livre de Jonathan Littel, « Les Bienveillantes », qu'il lisait alors. Ceux qui sont proches de lui et que je connais, comme François Fillon ou Claude Guéant, ne ressemblent en rien à des hitlériens. J'ajoute - et j'ai été sensible à cela, je l'ai écrit dans Les temps modernes -, ils se sont parfaitement bien conduits dans l'affaire Redecker, permettant à celui-ci d'être protégé tout en gardant sa liberté de vie.
Sarkozy a été accusé de chasser sur les terres du Front national. Lui faites-vous ce reproche ?
Je pense qu'il l'a fait d'une façon parfaitement cynique, en politicien, pensant qu'il avait besoin de ces voix pour l'emporter, mais le cynisme en politique n'est pas l'apanage du seul Sarkozy. Il a fait aussi des déclarations absolument contraires, auxquelles chacun, même à gauche, pourrait souscrire. Il n'y a pas de raisons de le taxer d'opportunisme ou de démagogie. De toute façon, quel que soit le vainqueur ou la victorieuse, la fonction présidentielle change profondément la psychologie de celui ou de celle qui en reçoit la charge.
Y a-t-il, selon vous, un lepénisme d'extrême de gauche ?
Il y a en tout cas une formidable intolérance de ce côté de l'échiquier politique. A cause de ses positions équilibrées sur le conflit israélo-palestinien, certains ont plaqué sur la personne de Nicolas Sarkozy leur antisionisme viscéral, cherchant du même coup à le disqualifier.
Il y a - est-ce vraiment étonnant ? - une convergence, une confluence des stéréotypes et de tous les vieux fantasmes antisémites. Cela est sûrement vrai pour quelques un au PS, même si je sais que Ségolène Royal est irréprochable sur ces questions et qu'elle saura être vigilante sur toute forme d'antisémitisme, y compris de gauche. Ségolène est une dame de fer. Elle a tenu bon pendant de longs mois, elle a fait preuve d'opiniâtreté, de fermeté, de courage, de croyance en elle-même, de plus en plus contagieuse, à mesure qu'elle soumettait ceux qu'elle avait défaits un par un comme dans un combat d'Horaces et Curiaces. Malgré toutes les chausse-trapes qui lui furent tendues, elle sut chaque fois reprendre la main, montrer qu'elle commandait, capable de museler le PS lorsqu'elle comprit qu'il l'étoufferait et qu'elle devait vitalement reprendre ses distances.
Pour qui voterez-vous le 6 mai ?
Je suis un homme de gauche.
Propos recueillis par Saïd Mahrane.