L'axe irano-syrien est-il durable ?
Par Masri Feki © Turkish Daily News (Turquie)
26 juillet 2007
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Alliés dans l’ « axe du mal », l’Iran et la Syrie sont pourtant deux Etats nettement différents. Cette entente stratégique est-elle à l’abri de changements ?
Malgré les divergences rhétoriques apparentes et les contradictions idéologiques [1], les régimes de Damas et de Téhéran se ressemblent paradoxalement. Très actifs en politique étrangère, les deux États dépendent fortement de leur environnement régional, en raison de leur isolement croissant et de la portée prosélyte et expansionniste des idéologies qu’ils incarnent (nationalisme panarabe pour la Syrie, islamisme révolutionnaire pour l’Iran). De plus, les deux pays ont pour adversaire commun l’Amérique (dont les bases militaires fleurissent dans la région), qui cimente leur relation, tandis que leur opposition à Israël est plus de nature idéologique. En effet, Israël constitue la seule collectivité du Moyen-Orient à être à la fois non arabe et non musulmane, et par conséquent à vouloir échapper aux dessins hégémoniques de ces deux États idéologiques (panarabisme d’une part, panislamisme de l’autre). C’est pourquoi en dépit de sa faible superficie et de sa population réduite, l’État d’Israël est un ennemi fédérateur pour les deux grandes familles idéologiques qui dominent la vie politique moyen-orientale depuis un siècle.
Néanmoins, rien ne garantit que l’alliance stratégique entre la Syrie et l’Iran ne soit à l’abri de changements. Si les deux capitales se trouvent aujourd’hui dans le même camp, elles n’ont pas les mêmes priorités [2]. La Syrie se sert, par exemple, de la crise libanaise pour ouvrir un dialogue avec les Etats-Unis, retrouver la manne financière que le Liban représente pour Damas et surtout pour maintenir les tensions internes dans l’espoir de pouvoir éloigner le spectre de l’adoption des statuts du tribunal à caractère international qui devra juger les présumés coupables de l’assassinat de Rafik Hariri. Soucieux, face aux pressions occidentales et aux menaces israéliennes, de gagner l’ensemble du monde musulman, sunnite dans son écrasante majorité, à la cause de son programme nucléaire, l’Iran est, au contraire, désireux de calmer le jeu au pays du Cèdre, notamment pour éviter les risques réels d’un conflit entre sunnites et chiites.
En Irak, les deux États ne partagent pas non plus une vision identique quant à l’avenir du pays. Un Irak gouverné par les chiites ne déplairait assurément pas à Téhéran, alors que Damas souhaite y associer la minorité sunnite ainsi que des éléments panarabes issus de l’ancien Baas.
Dans les Territoires palestiniens, les dirigeants iraniens verraient d’un mauvais oeil tout rapprochement entre la Syrie et les factions palestiniennes favorables au dialogue avec Jérusalem, puisqu’un tel dialogue mettrait en péril les alliances de Téhéran et éloignerait la perspective de l’hégémonie iranienne sur la région. En effet, pour la République islamique, Israël est une aubaine qui lui permet de réclamer à son profit la prépondérance au Proche-Orient. De son côté, la Syrie ne manquerait pas de s’inquiéter de tout rapprochement entre l’Iran et les États-Unis sur la question nucléaire iranienne. Une pareille entente renforcerait sans doute la position iranienne au point d’amoindrir l’importance de l’allié syrien, et Damas perdrait du même coup tout poids politique régional. Selon toute vraisemblance, les deux scénarios sont simultanément probables. Mais lequel des deux régimes sauvera sa peau en premier ? Telle est la question qu’il convient de se poser aujourd’hui.
Notes :
[1] L’Iran est une théocratie chiite perse tandis que la Syrie est une dictature laïque et panarabe à majorité sunnite.
[2] Mouna Naïm, « Syrie et Iran, une alliance stratégique », Le Monde, 30 mars 2007.© Turkish Daily News