Le Hezbollah a immédiatement parlé d’« ingérence militaire » et de « menace à la stabilité » du pays. « Toutes les tentatives de rattacher le Liban au projet israélo-américain ont échoué ; cette décision ne fait pas peur à l’opposition libanaise, et elle prouve que ce sont les États-Unis qui s’ingèrent dans les affaires du Liban et que cette ingérence est devenue militaire », a ainsi accusé le député Hussein Hajj Hassan, interrogé par l’AFP. Plus tard, et dans une causerie avec des universitaires, il a estimé que « tous les masques sont désormais tombés ». Puis, s’adressant à la majorité, il a dit : « Le fait que vous ayez fait part de votre surprise et de votre ignorance (concernant l’envoi du destroyer US) n’empêche en rien le fait que vous soyez pour eux (les Américains) de simples outils. Nous comprenons maintenant ce qui se cache derrière les réunions militaires américano-libanaises », a-t-il tonné.
Son colistier Hassan Fadlallah a estimé que « l’initiative américaine menace la stabilité du Liban et de la région, et vise à provoquer des tensions. Nous ne céderons pas aux menaces et à l’intimidation militaire exercée par les États-Unis pour imposer leur hégémonie sur le Liban », a-t-il souligné à Reuters. De son côté, le député Hassan Hobballah a affirmé dans un communiqué que la « victoire politique » de l’opposition, ajoutée à la « victoire militaire » de juillet 2006, « a obligé les États-Unis à envoyer » le USS Cole afin, a-t-il tenu à préciser, « d’exercer des pressions politiques et sécuritaires pour la simple raison que la majorité n’arrive plus à concrétiser les souhaits US au Liban ». Et le député de se demander : « Quelle souveraineté à l’ombre des violations continues par Israël et d’un destroyer en mer libanaise ? »
Sauf que Washington a vite rejeté les critiques du Hezb, réitérant que ce déploiement naval a pour but de renforcer la stabilité régionale. « Concernant les craintes du Hezbollah, je pourrais faire part de certaines des craintes que nous avons vis-à-vis des actions » du parti de Dieu, a déclaré à la presse le porte-parole du Conseil national de sécurité de la Maison-Blanche, Gordon Johndroe, ajoutant : « Donc, je vais en rester là. » Il a en outre esquivé les questions sur les commentaires de Fouad Siniora, qui a convoqué hier la chargée d’affaires US Michelle Sisson pour obtenir des « clarifications », avant de déclarer que son gouvernement n’avait fait « de demande à aucune partie concernant l’envoi de bâtiments de guerre ».
« Nous menons des consultations régulières avec le Premier ministre Siniora et son gouvernement, de même que nos alliés à la fois dans la région proche et en Europe, sur la situation au Liban », a dit Gordon Johndroe. « Il y a une communication constante à plusieurs niveaux. Mais que ce soit clair : l’objectif des navires de la marine US en Méditerranée orientale est une démonstration de soutien à la stabilité régionale », a-t-il dit. « Je sais que nous partageons avec le Premier ministre Siniora le désir que la situation soit résolue au Liban et qu’elle le soit par les Libanais », a-t-il encore souligné.
Kandil
Ministres (démissionnaires) et députés de l’opposition n’ont pas été en reste. « La diplomatie américaine est-elle à ce point en ruine pour que l’Administration Bush se trouve acculée à la remplacer par celle des destroyers et des porte-avions ? » s’est ainsi demandé le ministre démissionnaire de l’Agriculture, Talal Sahili, proche du parti de Dieu. Quant au député du bloc Berry, Ayoub Hmayed, il a affirmé que le Liban « n’a plus peur de la force américaine et de ses arsenaux ; les Américains ont essayé d’imposer leurs vues dans le passé et ils ont échoué », alors que son colistier Michel Moussa affichait son ignorance quant aux « dessous » de cette décision. « Nous devons attendre et voir, mais nous espérons que cela n’aura pas de conséquences sur les plans local et régional », a-t-il dit. Le député Abdel-Majid Saleh a estimé quant à lui que l’envoi du USS Cole à l’ombre de la crise politique interne « traduit clairement la position américaine ». Même son de cloche pour le député Baas Kassem Hachem, qui a affirmé que la présence du destroyer au large du Liban « augmente largement la tension dans la région ».
L’ancien Premier ministre Sélim Hoss, qui a reçu hier l’ambassadrice de Grande-Bretagne, a qualifié l’événement « d’étalage de biceps stérile – tout cela ne nous fait pas peur », a-t-il dit. Quant au PCL, il a assuré que cette « agression » a pour but « de plonger le Liban dans la spirale meurtrière de la discorde », appelant les « foules » à s’y opposer et le gouvernement à « expulser les diplomates américains du territoire libanais ».
Pour l’ancien député Émile Émile Lahoud, le cabinet Siniora a « transformé nos eaux en oasis pour les destroyers US et essaie de faire du Liban une réserve américaine ». Allant plus loin, l’ancien député Fayçal Daoud a estimé que l’envoi du USS Cole a pour objectif de « protéger le gouvernement et d’empêcher sa chute ».
Quant au prédicateur islamiste Fathi Yakan, il a appelé à « une résistance ouverte face à une guerre ouverte », tandis que le Rassemblement des ulémas au Liban exhortait la « Résistance islamique » à attaquer le destroyer US.
Mais c’est l’ancien député Nasser Kandil qui a été le plus loin dans ses calculs : « La date du 29 février n’est pas innocente : c’est le 29/02/84 que le dernier marine américain a quitté les rivages libanais ; ils ont aussi choisi de tuer Imad Moghniyé dans la nuit du 13 au 14 février, date à laquelle les soldats américains avaient commencé à partir… En envoyant le USS Cole, que vont certainement suivre d’autres bâtiments, ils font comme le général Gouraud en 1920, qui était entré dans Damas en allant directement au tombeau de Salaheddine Ayyoubi et en lui disant : “Nous revoilà, Salaheddine”… Aujourd’hui, les Américains veulent faire comprendre qu’ils ont tué Moghniyé et lui dire : “Nous revoilà, Imad”… »