Texte aimablement communiqué par Claire :
Le Figaro magazine, 27 septembre 2008, pp. 78-79
George Orwell, disparu il y a près de soixante ans, est surtout connu pour son roman « 1984 ». Il faut cependant découvrir l'œuvre entière de ce combattant antitotalitaire.
Avec Soljenitsyne vient de mourir le « dernier homme en Europe ». Ce titre devait être celui de l'ultime roman de l’anglais George Orwell (1903-1950) ; 1984. Dans ce livre, Winston Smith, homme parmi les autres hommes, souhaite penser par lui-même, à l'abri du regard de Big Brother, et vivre comme un être humain. Pour ce crime, il sera brisé dans son corps, dans son esprit et dans son âme. Il devait comprendre que 2 + 2 peuvent faire, indifféremment, 4 ou 5, selon la volonté du « ministère de la Vérité ». Telle est la froide logique des régimes totalitaires. Soljenitsyne, né quinze ans après Orwell, fit en 1945, dans une lettre privée, quelques remarques acerbes sur Staline. TI sera arrêté et condamné au bagne : lui aussi devait comprendre.
Pourquoi 1984 et L’Archipel du Goulag resteront-ils comme les œuvres du XXe siècle ayant contribué le plus efficacement à dénoncer la réalité du monde totalitaire ? Pour avoir relaté, en détail, l'expérience singulière d'individus des plus ordinaires, brisés par le système des camps. Pour avoir fait œuvre d'écrivains, en luttant contre toutes les putréfactions du langage et en jetant des torches dans les abîmes politiques du siècle.
"Si vous désirez une image de l'avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain, éternellement." (1984, Georges Orwell) ...
La France connait le romancier George Orwell, mais est en train de découvrir sa pensée politique. Viennent de paraître 80 chroniques, écrites par Orwell entre 1943 et 1948 et regroupées sous le titre de A ma guise. Elles sont autant de leçons de journalisme. On y retrouve son esprit d'enquête sur le terrain, avide de ces détails qui en disent long. Là, il s'en prend d'une manière générale à la bêtise des journalistes, et en particulier aux intellectuels de gauche qui, lors du soulèvement de Varsovie, en août 1944, s'alignent sur la propagande soviétique. Orwell est d'une gauche libre, non inféodée à Moscou, d'un socialisme antitotalitaire, soucieux avant tout de préserver les libertés individuelles. Cette conviction lui vient de son engagement durant la guerre d'Espagne.
C'est ce que montre bien sa biographie de référence, œ1le écrite par Bernard Crick, publiée dans une nouvelle édition. Eric Blair, alias George Orwell, né en 1903 en Inde, passé par Eton, part s'engager dans la police coloniale en Birmanie, avant de quitter cette vie toute tracée pour se consacrer à son seul travail d'écriture. Il s'installe à Paris et à Londres, et subit une vie d'échecs et de pauvreté. En 1937, il s'engage aux côtés des républicains espagnols, puis, pendant la Seconde Guerre mondiale, en Angleterre, il défend dans ses articles et ses livres une certaine idée de la démocratie, au nom du socialisme. Quand parait son dernier roman, 1984, il rencontre enfin la gloire littéraire et l'aisance financière, lui qui n'avait connu ni l'une ni l'autre. Mais, malade, il meurt le 21 janvier 1950, six mois après la sortie de ce qui reste le plus célèbre de ses livres.
Pourquoi Simon Leys considérait-il déjà, il ya vingt-cinq ans, qu'il était urgent de faire d'Orwell un « usage pratique» ? Urgence que martèle depuis lors Jean-Claude Michéa, dont vient de reparaître l'intéressant Orwell, anarchiste tory.
Aujourd'hui, alors que les idéologies se dégonflent, la démocratie semble se retourner contre elle-même. L'ennemi n'est plus à l'extérieur, mais à l'intérieur.
Orwell a considéré qu'il fallait, certes, s'en prendre aux hydres totalitaires, mais aussi défendre une démocratie empirique et sensible - celle qui nous permet d'être heureux. Pour lui, il faut être toujours vigilant. Et d'abord vis-à-vis des risques de corruption de la langue. En régime totalitaire, le « ministère de la Vérité» ne cesse d'organiser ce travail de sape. Il supprime les mots et les remplace par d'autres. Quand meurent les dictionnaires, meurt la liberté.
Autre vigilance démocratique : l'idée de la liberté. Celle des modernes consiste à nier toute détermination, toute histoire préexistante, au profit d'une liberté de s'inventer en permanence. Pour Orwell (Michéa le montre bien), la liberté est avant tout « une somme de fidélités et d'habitudes » qu'il faut protéger et partager avec d'autres. En cela, Orwell est un « anti-moderne ». Pour lui, la liberté se trouve dans les fils noués, les amitiés prolongées, l'amour partagé.
Troisième vigilance: le sens moral. Orwell dénonce cette intelligentsia qui, pour s'être étourdie de théories inhumaines à force d'être trop logiques, s'est moralement dévoyée. Or l'écrivain insiste sur le caractère naturel de ce qu'il nomme la « common decency ». Cette « décence commune », ce sens commun nous avertit, presque d'instinct, des lignes de séparation entre le bien et le mal. Bruce Bégout, jeune philosophe du quotidien, vient d'y consacrer un bel essai. Il en fait le négatif d'une indécence publique qui est celle, généralement, des élites politiques et culturelles. Elle n'est donc pas une vertu des gens éduqués, nous dit Orwell. Au contraire, elle est commune à tous, donnée aux gens ordinaires pour mieux résister à l'injustice, quand le monde est sens dessus dessous.
George Orwell nous donne de belles leçons de civilité, avec cette méfiance vis-à-vis des grands systèmes, ce souci des libertés de proximité, ce goût de la décence et cet attachement pour les fidélités qui nous font membres d'une communauté. Leçons pour tous ceux qui souhaitent cultiver leurs vigilances spirituelles et politiques.
Why the Burka?
There is no greater symbol of the oppression and horror of Afghanistan than the Burka. Afghanistan is the only country in the world in which the Burka is worn nationwide (in some Afghan areas of Pakistan, women still wear the Burka).
DAMIEN LE GUAY
A ma guise. Chroniques 1943-1947, George Orwell, Agone, 208 p., 25 Euros.
George Orwell, Bernard Crick, Flammarion, 712 p., 26 Euros.
Orwell, anarchiste tory, Jean-Claude Michéa. Climats, 178 p., 16 Euros.
De la décence ordinaire, Bruce Bégout, Allia, 128 p., 6,10 Euros.