Excellent Sacha
Traduction : SACHA

THEODORE HERZL
En 1897, le Premier Congrès Sioniste de Bâle marque la naissance du mouvement sioniste pragmatique. Pour son initiateur, Theodor Herzl, cela semblait improbable, mais cinquante années plus tard, ce n'était plus un projet, c'était une réalité.
En 1902, il publiait Altneuland, un roman qui prenait pour thème la restauration du peuple juif sur sa terre.
Roman utopique, pour les contemporains de l'auteur, roman quasi prophétique, pour nous, alors que nous avons fêté les soixante ans de l'Etat pour les Juifs tant espéré par Herzl.
Je vous propose de partir en cinq étapes à la découverte de ce roman, plutôt méconnu, où l'analyse de la société juive ashkénaze dans l'Empire austro-hongrois s'associe avec un attachement délicat et indéfectible à la terre d'Israel et à la renaissance nationale et culturelle du peuple juif.
SACHA
ALTNEULAND
de
THEODOR HERZL
C'est une terre qui a marqué chacun des pas loin d'elle, une terre qui marque le passé et qui guide l'avenir de ceux qui désirent la rejoindre. Une terre qui n'était pour beaucoup qu'un souvenir, mais aussi appel et promesse : une invocation.
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le Shana haba'a be Yerushalayim haBenuyah
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Une terre toujours présente dans son absence, une terre, une destination. Une terre, un renouveau. Erets Yisra'el.
Le roman Altneuland de Theodor Herzl est généralement moins connu que son essai sur l'Etat pour les Juifs (Der Judenstaat). Pourtant, c'est sans doute dans ce roman que s'exprime avec le plus de sensibilité et de force l'amour du peuple juif pour sa terre.
Une terre, un pays, ancien et nouveau à la fois. Un pays qui n'est pas inconnu, un pays qui est un défi.
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Altneuland
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A l'instar des romans de Schnitzler ou de Roth, c'est dans l'Empire autrichien, plus précisément dans la Vienne impériale que se lève le rideau. Nous sommes en 1902.
Le Dr Friedrich Löwenberg est assis, seul, à une table de marbre, au café Birkenreis qu'il fréquente depuis qu'il est étudiant. Il est perdu dans ses pensées et se souvient de ses amis : Heinrich, qui s'est suicidé, et Oswald, parti au Brésil dans le but d'y fonder un établissement où le prolétariat juif pourrait prospérer, mais il y a contracté la fièvre jaune.
Il pense à sa solitude et à sa situation. Il espère épouser Ernestine Löffler, en vain, car il est ruiné. Un jeune homme l'aborde de façon inopportune, le jeune Schiffmann, qui fait parti également du cercle de connaissance des Löffler. Tous les deux se rendent chez cette famille de la moyenne bourgeoisie juive viennoise sans que Löwenberg ne sache pas qu'il s'agit des fiançailles d'Ernestine avec le fils d'un capitaine d'industrie aisé de Moravie. À peine arrivés, ils sont entourés de cette ambiance festive où les fiançailles peinent à faire oublier ni l'hostilité du monde environnant ni la misère des provinces de l'Est qu'ils ont quittées.
Herzl décrit la situation de ces Juifs, qui à la faveur des Edits de tolérance, ont vu certaines sphères de la société occidentale s'ouvrir timidement à eux, sans qu'ils ne puissent parvenir à une véritable égalité.
Sans cesse dépendant du bon vouloir des administrations pour les protéger, ils hésitent entre la fierté d'être Juif et le mimétisme permettant l'abandon de ce qu'ils vivent comme une marque de ségrégation.
Puis, l'un des invités déclare, au détour d'une conversation concernant les attaques contre les Juifs de Moravie : « Nous allons bientôt devoir porter à nouveau des signes infamants ».
« Il reste aussi la possibilité d'émigrer », déclare un rabbin présent dans l'assemblée.
« Émigrer où? », lui demande-t-on de manière sceptique.
« Depuis quelques années, il y a un mouvement qui s'appelle le mouvement sioniste. Il envisage de trouver une solution à la question de la place des Juifs en organisant une émigration massive, vers notre vieille patrie, vers la Palestine. », ajoute-t-il, laissant les invités pensifs.
La patrie, la terre des Juifs, une idée toujours présente à l'esprit, enfouie dans la mémoire, au profit d'une précaire acceptation dans la société chrétienne. Ce projet n'était-il pas risqué ? Vers un pays lointain ? Retrouverait-on la même vie qu'à Vienne ? Chacun des convives se mit à rire en pensant qu'ils postuleraient tous pour de devenir ambassadeur du nouvel Etat juif en Autriche.
À peine sorti, Löwenberg reprit le chemin du café Birkenreis, lieu de sociabilité viennois par excellence. Et il se souvient d'une curieuse annonce que lui avait montré Schiffmann un peu plus tôt : un certain N.O. Body recherchait quelqu'un qui n'avait plus d'attaches et qui souhaitait vivre une dernièr expérience. Il se décide à le contacter.
Devant le café, il retrouve le jeune garçon qui mendiait dans le froid, accompagné de son père. Löwenberg les aborde et prend le parti de venir avec eux. Il découvre alors la misère de cette famille venue de Galicie pour trouver du travail. La maman malade, le père, un homme bon et pieux, et le fils, courageux et fervent sioniste.
La première partie du roman de Herzl sait avec brio faire naître une curiosité pour chacun de ces personnages, chacun de ses héros à leur façon. Individualisé avec précision, chaque personnage est aussi représentatif de la situation du judaïsme germanique, à la croisée du modèle assimilationniste et des ferments du renouveau culturel et national présent parmi les communautés de l'Est, de la Galicie à la Russie.
En filigrane se dessine deux moments de l'antisémitisme européen.
On y trouve ces élites de la moyenne bourgeoisie qui ont pu quitter leshtetl à mesure que les administrations levaient péniblement et avec restriction les barrages menant à la liberté. Élites qui penseront qu'en taisant leur judéité ils parviendraient à devenir des citoyens à part entière, et qui vivront le drame de la haine nazie et l'effroi face à l'anéantissement qu'ils espéraient pouvoir éviter.
On y trouve aussi ce « prolétariat », comme on disait à l'époque, cette majorité de la population juive subissant l'arbitraire et la pauvreté, accusée des calmonies les plus insensées. Parlant plutôt yiddish mais maîtrisant les prières hébraïques traditionnelles, ce sont eux qui sont animés du sionisme le plus fervent, en tant qu'il les rattache à leur histoire et représente un espoir d'où il pourrait agir et construire leur avenir.
C'est par l'intermédiaire du personnage du Dr Löwenberg que Herzl parvient à nous faire découvrir ces deux mondes et à rendre la figure du jeune David particulièrement attachante. À partir de ce parcours individuel, Herzl fait de Löwenberg un regard intime et distant à la fois de ce « monde d'hier », comme le décrivait un autre écrivain juif viennois, Stefan Zweig, où toute l'Europe ahkénaze se trouve réunie.
C'est dans cette Vienne qui élira un maire sur un programme antisémite que se concentre la Bukovinie, les Balkans, la Hongrie et la Galicie jusqu'à la Pologne, ce monde vulnérable et prometteur qui trouve dans l'aspiration sioniste une véritable ouverture des portes des ghettos.