
Pionnier de l'obstétrique, il a mené un long combat pour les femmes enceintes.
Emile Papiernik-Berkhauer, spécialiste de gynécologie-obstétrique est mort samedi 8 août à Sceaux (Hauts-de-Seine). Il était âgé de 73 ans. Avec lui disparaît un médecin atypique qui aura mené avec passion et succès un long combat pour la protection des femmes enceintes, la prévention des naissances prématurées et l'amélioration des normes de sécurité dans l'ensemble des maternités françaises. Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, a rendu hommage mardi 11 août à un «pionnier de l'obstétrique moderne française, et à ses travaux de recherche et d'enseignement qui ont radicalement transformé cette discipline».
Né le 14 février 1936 dans le Xe arrondissement de Paris il est le fils d'émigrés polonais, tailleurs de générations en générations. Le yiddish est sa langue maternelle, son père mourra à Auschwitz et il devra son salut à une famille de «justes». Au terme de brillantes études médicales il s'oriente vers la cancérologie; à l'Institut Gustave Roussy de Villejuif il s'intéresse à la pratique de la radiothérapie. Changement de cap en 1962: avec la naissance de sa fille il découvre la pratique de l'obstétrique et ce qu'il considère comme un insupportable archaïsme. Il ne cessera dès lors de mener un ardent combat au service des femmes enceintes et des enfants qu'elles portent. D'abord à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart puis à la célèbre maternité parisienne de Port-Royal.
Avec Philippe Lazar, un spécialiste d'épidémiologie qui deviendra le directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il s'intéresse très tôt à la prématurité qu'il se refuse à considérer comme n'étant rien d'autre qu'une fatalité. Sur une cohorte d'enfants prématurés suivis à Haguenau, en Alsace, il est le premier à modéliser, mesurer et quantifier les risques exacts des grossesses conduisant à des naissances prématurées. Menés dans le département de la Seine-Saint-Denis comme aux Antilles ses travaux dans ce domaine le conduisent rapidement à développer des programmes concrets et efficaces de prévention de la prématurité. Ils sont directement à l'origine, en 1971, du programme périnatalité de Robert Boulin, alors ministre de la Santé. C'est encore à ces travaux que l'on doit le congé maternité supplémentaire de deux semaines, accordé aux femmes enceintes exposées au risque d'accoucher prématurément.
Mais son action dépasse de beaucoup la lutte contre la prématurité et la sécurité de la naissance. Il est l'un des premiers à introduire en France la technique de l'analgésie péridurale pour lutter contre les douleurs de l'accouchement. Il est aussi, avec Roger Bessis, l'un des pionniers de la pratique de l'échographie obstétricale. Si elle peut être utile la technique n'est pas une fin en soi. Homme d'une grande ouverture d'esprit, profondément à l'écoute de ses patientes, il fonde une unité de recherche à l'Inserm visant à prendre en compte des dimensions souvent ignorées de la grossesse, avec la collaboration de la neuropsychiatre et psychanalyste Monique Bydlowski.
Il est encore, en 1975, l'un des premiers chefs de service à pratiquer (et à le faire savoir) des interruptions volontaires de grossesse quand cette pratique fut dépénalisée avec la loi Veil. Il lutte parallèlement contre l'insécurité médicale des maternités, insuffisamment équipées pour les accouchements difficiles en réclamant notamment la présence d'un anesthésiste et d'un pédiatre. Tout comme lors de son action contre la prématurité Emile Papiernik, mandarin d'un genre nouveau, avait saisi que pour être efficace, il fallait parvenir à dépasser le cadre de son service hospitalier et obtenir la traduction de son savoir en décisions politiques et sociales.
Il apparut un instant sur les écrans télévisés le 24 février 1982 à l'occasion de la naissance (dans son service de la maternité de l'hôpital Antoine-Béclère) d'Amandine, premier enfant créé par fécondation in vitro. Les archives photographiques le montrent entouré de ses deux collaborateurs alors inconnus : le gynécologue-obstétricien René Frydman et le biologiste Jacques Testart ; deux fortes personnalités que tout, alors, opposait (et que tout continue à opposer) mais qu'il était parvenu à réunir au sein d'une même équipe.
Tout à Amandine, on n'entendit guère, alors, le discours du Pr Papiernik. Il tenta de profiter de l'occasion ainsi offerte (et des médias captifs ou presque) pour dire que les stérilités dites «tubaires» -l'une des indications les plus fréquentes en théorie du recours à la technique de la fécondation in vitro- étaient presque toujours la conséquence de problèmes gynécologiques d'origine infectieuse. Et il ajouta qu'il convenait en bonne logique de s'intéresser avant tout à la prévention des maladies sexuellement transmissibles. S'il n'y avait eu l'épidémie de sida (on commençait alors, dans l'indifférence quasi générale, à diagnostiquer les premiers cas français) on peut parier que ce discours aurait été sans lendemain tant la magie de la technique biologique parvient presque toujours à l'emporter sur le raisonnable mais rébarbatif discours préventif.
Après février 1982 nous avons croisé à plusieurs reprises Emile Papiernik. Ce fut l'occasion de solides, passionnants et roboratifs dialogues. Grand vulgarisateur, chaleureux mais pouvant être brutal, aimant à jouer de son charisme, l'homme n'était pas d'un abord toujours simple. Emile Papiernik était l'auteur de plusieurs livres dont «La maternité, progrès et promesses» (Odile Jacob, 2008), «Le passeur de vie » (Plon, 1998) et «Le prix de la vie» (Robert Laffont, 1988).
Lors de la sortie de ce dernier ouvrage, le Dr Claudine Escoffier-Lambiotte écrivait à son propos dans les colonnes du Monde: «Le royaume dont il est le maître est certes celui de la technologie la plus avancée, et chacun sait que c'est là, à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart que vit le jour Amandine, le premier bébé-éprouvette français, suivi annuellement, depuis 1982, d'une bonne cinquantaine de ces enfants de la science. Mais ce royaume est aussi et il le revendique hautement, celui de l'égalité absolue des femmes, gitanes ou secrétaires d'Etat, devant les douleurs, les aléas ou les merveilles de l'accouchement (...) Combat pour les femmes - les quelque huit cent mille femmes qui accouchent chaque année- mais aussi combat pour l'enfant, qui représente bien plus que lui-même, messager, porteur du passé et de la continuité de la vie. Et dès lors dépositaire ou victime de tous les conflits psychologiques, ce qui explique la présence active à la maternité de Clamart de psychiatres et de psychanalystes, capables parfois (ou souvent) de dénouer les causes d'une stérilité ou d'une naissance prématurée.. L'inspiration, pour Emile Papiernik est inlassablement la même : celle qui donne à l'exercice médical la dimension sociale, économique, humaine qui lui manque, hélas! trop souvent.»
Jean-Yves Nau