(2nde Partie : ce 20/08 a-m : l'Affaire al-Dura et le droit citoyen à la vérité informative)
En écho aux difficultés rencontrées par les enseignants français de plus en plus confrontés à des publics qui rejettent le caractère laïque de l’école républicaine française, Bonapartine analyse cette semaine si la France défend par ailleurs toujours autant qu’elle le devrait ses valeurs universelles au sein des instances internationales d’une part, s’il est possible d’autre part de concilier la défense de ses valeurs universelles avec celle de ses intérêts économiques.
Lessakele - Faisant écho à cette crise de l’enseignement, des campagnes sont menées dans les plus hautes sphères de l’O.N.U pour censurer la critique des religions et dans la même temps se focaliser sur une seule démocratie au Moyen-Orient, la démocratie israélienne, en permanence assimilée à un Etat colonialiste.
Dans ces circonstances, comment les représentants de la France à l’O.N.U devraient-ils agir afin d’assurer la défense d’une ligne politique qui concilierait de manière cohérente le respect du concept de laïcité en France et l’affirmation des principes devenus universels de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 au sein des instances internationales ?
Peut-on, finalement, mener une politique défendant à la fois des intérêts et des valeurs au sein des instances internationales ?
Votre question me conduit à resituer d’emblée le sujet que nous abordons dans un contexte international.
Dans une interview publiée dans le journal en ligne Riposte Laïque et signée de Pierre Cassen le 21.02.08, Malka Marcovich affirmait au sujet de la Conférence de Durban I organisée en Afrique du sud :
« En 2003, lorsque la Libye devint présidente de la Commission des Droits de l’Homme, David Pujadas en souriant au journal de 20h00 annonçait : "non ce n’est pas une blague", et tout le monde s’en offusquait. Qui s’indigne aujourd’hui de son élection pour deux ans au Conseil de sécurité ? Qui s’inquiète du fait qu’elle préside le Comité préparatoire à la conférence mondiale contre le racisme, que Cuba soit le rapporteur, et que l’on compte l’Iran ou le Pakistan dans le comité ?
Presque personne semble-t-il sauf le Canada qui s’est réveillé dernièrement et qui a décidé qu’il ne participerait pas à la Conférence de 2009. Mais cela va au-delà de cette conférence. Le Canada, membre du Conseil des Droits de l’Homme – tout comme la France – est le seul pays à avoir dénoncé le mode de fonctionnement totalitaire de cet organe. La France qui affirme à la face du monde qu’elle incarne les droits universels reste résolument silencieuse et participe à cette mascarade, voire la promeut, au nom de la Realpolitik. En réalité, outre les marchés qu’elle souhaite conserver avec certaines dictatures, je pense qu’elle tente de sauver aussi son siège au Conseil de sécurité, et peut-être espère-t-elle pouvoir éviter le terrorisme sur notre sol. »
Aux deux questions posées par Pierre Cassen dans la même interview "Comment analyses-tu les "accommodements raisonnables" que certains élus prennent, en France, avec la laïcité, en finançant ouvertement des lieux de culte, souvent des mosquées ? Que penses-tu de la position de Nicolas Sarkozy, qui veut légaliser ces pratiques ?", Malka Marcovich répond :
« Ces accommodements raisonnables ne sont pas seulement un message tourné vers la France. Ce message est évidemment tourné vers l’extérieur. On l’a bien vu avec le discours de Ryad. ……. Seul Luc Ferry avait défendu la laïcité en 2003 face à l’Iran lors de la présidence libyenne de la Commission des Droits de l’Homme. Sinon la France reste silencieuse, encaisse ou répond sans fermeté comme en mars 2007 lorsque Azouz Begag se réfugia derrière la Halde pour montrer sa bonne volonté.
Oui la France capitule devant les attaques récurrentes de l’Iran, du rapporteur spécial sur le racisme Doudou Diène, de la rapporteure spéciale sur l’intolérance religieuse Asma Jahandir, de l’experte sur les minorités Gay MacDougall, devant le comité contre le racisme. Et la plupart des ONG droits de l’hommistes françaises ayant un statut consultatif à l’ONU capitulent également. Le cauchemar de Durban est sous nos yeux. J’ai souvent l’impression d’être comme dans la pièce Rhinocéros de Ionesco. A relire d’urgence. C’est pour toutes ces raisons que j’ai signé la pétition Halte au voile. »
[« Malka Marcovich : à l’ONU, la prose de Durban 1 s’écrit en pire tous les jours », interview de Pierre Cassen, Riposte Laïque, 21.02.08.]
Voilà, dès février 2008, Malka Marcovich, mettait clairement en lumière le silence et donc la capitulation de la France sur des dossiers aussi lourds que ceux de l’élection de la Lybie au Conseil de sécurité ou les discours du rapporteur de l’O.N.U sur les formes contemporaines de racisme Doudou Diène.
Sans doute faut-il voir dans l’attitude de la France des motivations d’ordre politique conditionnées notamment par la crainte du terrorisme à laquelle faisait explicitement référence Malka Marcovich. Mais la crainte que la France ne redoute d’éventuelles frappes terroristes des fous d’Allah n’est pas à mon sens sa seule motivation dans l’abandon de nos valeurs universelles au sein du Conseil de sécurité ou d’organes intergouvernementaux de l’O.N.U à l’image du Conseil des Droits de l’Homme. Il y a également des intérêts économiques liés au commerce du pétrole ou aux ventes d’armes qui expliquent sans les justifier au demeurant que la France au même titre que la plupart des puissances occidentales préfèrent renoncer pour ne pas dire renier leurs valeurs universelles plutôt que d’entrer dans une confrontation directe avec le monde arabo-musulman. Comment vivraient demain la France et tant d’autres Etats sans le pétrole ? Comment ? Et je ne parle même pas de la relation si particulière qu’entretient la France avec l’Afrique noire, n’hésitant pas à se compromettre avec certaines dictatures au nom de la défense de nos intérêts économiques ! Souvenons-nous par exemple de ce que déclarait en 2008 le secrétaire d’Etat à la Coopération Alain Joyandet : « Il faut renforcer l’influence de la France, ses parts de marché, ses entreprises. Ne pas avoir peur de dire aux Africains qu’on veut les aider, mais qu’on veut aussi que cela nous rapporte. » (Libération du 24.06.08). Que penser ensuite quand le même Alain Joyandet n’hésite pas à reconnaître : « Je porte le message d’une France attachée à la démocratie et à la transparence. Mais est-ce que cela doit être notre seule préoccupation ? Il ne faut pas faire de ces valeurs notre seule expression. …. J’ai des convictions mais je veux défendre aussi notre pays et ses parts de marché. »
Que des entreprises privées défendent leurs intérêts dans le monde est une chose mais que penser d’une France "attachée à la démocratie et à la transparence" quand celle-ci n’hésite pas à s’engager dans un processus de renonciation à la défense des Droits de l’Homme en privilégiant le soutien à des régimes autoritaires et dictateurs africains ?
Ce sont hélas les mêmes intérêts qui engendrent les mêmes luttes de pouvoir auxquelles nous assistons au sein des instances internationales et conduisent un pays comme la France à préférer s’aplatir devant les Etats qui n’hésitent pas à nous donner des leçons à l’ONU sur les droits de l’Homme que ces mêmes Etats n’ont pourtant jamais mis en œuvre chez eux. Car à y bien réfléchir, que serait par exemple aujourd’hui Total sans le pétrole africain ? Or, pour affirmer à l’étranger les principes devenus universels de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, faudrait-il déjà que la France commence par faire le choix de considérer que la défense des valeurs dont elle a pour grande part hérité du Siècle des Lumières devienne une priorité à défaut d’être sa "seule expression".
A partir de là, on le voit bien, tout devient affaire de cohérence. On ne peut pas tenir deux discours à la fois surtout lorsque ces discours sont parfois contradictoires, voire incohérents selon qu’ils sont prononcés à Paris, en Afrique du sud ou à Genève. Prenons un exemple : quelques semaines avant la conférence de Durban II organisée en avril 2009 au Palais des Nations au siège européen de l’O.N.U situé à Genève, voici ce que déclarait Malka Marcovich dans une seconde interview donnée par Pierre Cassen et parue dans le journal Riposte Laïque le 20.03.09 :
« Notre amie féministe Bernice Dubois s’est impliquée dans le suivi de la conférence dès le départ, et le MAPP [Mouvement pour l’abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violence sexuelles et discriminations sexistes] a été la seule organisation féministe à intervenir sur les questions liées aux droits des femmes et à s’inquiéter des dérives. La Ligue du droit international des femmes, fondée par Simone de Beauvoir, s’est également investie sur le dossier à sa suite.
La France, qui s’apprêtait à présider à partir de juin 2008, l’Union européenne, et qui souhaitait lancer l’Union pour la Méditerranée, a déployé toute son énergie à tenter de calmer le jeu. Alors que la délégation française à Genève connaît bien le travail du MAPP sur place, et que sa représentante a demandé un rendez-vous dès septembre 2007 à la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme et au Ministre des affaires étrangères, la requête est restée sans lendemain. Ce qui montre à quel point les questions relatives aux discriminations faites aux femmes semblent secondaire pour le dossier Durban 2, alors que les femmes sont les premières victimes du relativisme culturel.
En effet, le gouvernement français a préféré s’adresser uniquement aux organisations juives en cherchant à les rassurer. C’est lors du dîner annuel du CRIF, en février 2008, que le président Sarkozy a lancé le slogan des fameuses lignes rouges à ne pas franchir. Force est de constater que durant plus d’un an les fameuses lignes rouges n’ont jamais été clairement définies et qu’elles ont évolué au gré de l’avancement des négociations.
Ce qui est particulièrement grave, c’est que cette focalisation légitime sur les dérives antisémites a empêché que l’on rende visible les autres scandales du processus. Cela a permis par ailleurs de réécrire l’histoire des évènements de 2001. Ainsi, la France, ainsi que le Haut Commissariat aux droits de l’homme, ont prétendu que l’antisémitisme de 2001 n’avait eu lieu que dans le cadre du Forum des ONG, et que les violences avaient été le fait de quelques individus excités. Ce qui est faux. »
[« Interview de Malka Marcovich : le mauvais compromis de Durban 2 me fait penser à Munich », interview de Pierre Cassen publiée dans Riposte Laïque le 20.03.09.]
Malgré ces constats affligeants, Monsieur Kouchner qui est passé maître dans l’art de l’autocongratulation, n’hésitera pas à dire sur Europe I au lendemain de Durban II : "Ce n’est pas du tout un échec mais le début d’un succès." Le seul souci, c’est qu’à force de faire de verser dans l’autosatisfaction permanente, le Ministre des Affaires étrangères français finit par dire d’énormes sottises comme celle par exemple qui a consisté, après avoir à juste titre condamné les propos de Mahmoud Ahmadinejad à l’encontre d’Israël, à affirmer sans aucun complexe qu’il ne fallait pas pour autant prononcer la rupture du dialogue avec Téhéran. En dehors du fait qu’on pourrait s’interroger sur la pertinence de maintenir un dialogue avec un criminel qui se donne les moyens nucléaires d’éliminer physiquement non seulement Israël mais également ceux des pays d’Occident qui ne sont visiblement pas sa tasse de thé, on voit aujourd’hui a quoi conduisent les encouragements à ne pas "prononcer la rupture du dialogue avec Téhéran". Depuis des mois et des mois, Mahmoud Amadhinedjad n’a cessé de jouer avec les nerfs des Occidentaux, n’acceptant ni la voie ouverte au dialogue offerte par le Président Obama ni aucun compromis sur le dossier du nucléaire. Dernière en date : suite au dernier vote du Conseil de sécurité de l’O.N.U, Mahmoud Ahmadinejad a refusé deux inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, ce qui ne surprendra aucun observateur averti du reste. Mais combien de temps va encore durer ce petit manège ?
Une fois toutes ces contradictions, incohérences, lâchetés de la France mises en évidence, on comprend alors de fait qu’il devient encore plus difficile d’expliquer ensuite aux Français que leurs représentants défendent bec et ongles des valeurs universelles au sein des différentes instances internationales ! Mais par ailleurs, même si la France apportait la preuve indiscutable de sa volonté d’affirmer sans aucun ambiguïté les valeurs auxquelles elle prétend croire, comment pourrait-elle néanmoins promouvoir à l’O.N.U ses valeurs universelles alors qu’elle n’est déjà pas en mesure de les faire respecter sur son propre territoire ? Les atteintes à la laïcité, chacun le sait, ne cessent de progresser dans notre pays : mise en place d’horaires aménagés dans les piscines municipales, assaut de l’espace public pour les prières musulmanes, refus de manger du porc à l’école laïque, refus d’intégrer les enseignements dispensés à l’école laïque, refus des barbus de faire examiner leur femme par un médecin de sexe masculin à l’hôpital public ….. Et je n’oublie pas non plus les revendications des illuminés issus de nombreuses sectes qui, à l’image des Témoins de Jehovah, refusent que leur enfant soit transfusé en cas d’accident survenu à l’école par exemple !
Même constat en ce qui concerne les programmes de l’école républicaine et laïque française : comment ne pas comprendre sans évidemment jamais pour autant le cautionner que nos lycéens ne prennent absolument pas au sérieux ce qu’on leur enseigne quand ils abordent le chapitre de l’O.N.U, découvrant dans leur livre de géographie une vision idyllique de cette instance internationale dont ils n’ignorent en rien qu’elle ne correspond nullement à la réalité des faits ?
Si la France veut faire valoir avec force le respect de ses valeurs dans les instances internationales, elle doit de toute urgence veiller au strict respect de celles-ci sur son propre territoire d’une part, manifester, d’autre part, sa volonté de s’imposer en qualité de pays des Droits de l’Homme au sein des différentes instances internationales en faisant de la défense de ses valeurs une priorité autant qu’une ligne de conduite et donc cesser de mener une politique à géométries variables sur cette question.
Alors, j’en arrive à la dernière question que vous me posez : peut-on mener une politique associant défense de ses intérêts et de ses valeurs au sein des instances internationales ?
Dans l’absolu, la France pourrait le faire, mais dans un monde globalisé comme le nôtre, il n’a échappé à personne que la France ne vit pas en autarcie perdue sur une île du Pacifique. En conséquence, si elle décidait de s’engager dans cette voie, elle ne pourrait, de toute façon, agir que de manière concertée et en total accord avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’O.N.U qui sont aussi les cinq grandes puissances de ce monde. Ce qui supposerait une véritable Révolution des mentalités à l’échelon planétaire. Qui imagine, en effet, que demain le Président de n’importe quel pays européen ou le Président des Etats-Unis puissent annoncer à leurs opinions publiques respectives : « A partir de maintenant, dans le cadre des nouvelles règles qui régissent les rapports internationaux entre les Etats, nous ne négocierons plus aucun contrat avec les Etats qui reposent sur des régimes dictatoriaux, qui promeuvent le commerce des armes ou de la drogue, ont du pétrole mais ne permettent pas à leurs populations d’accéder aux droit de l’homme les plus élémentaires … En conséquence, nous allons devoir réviser considérablement à la baisse notre consommation d’énergie et commencer par repenser intégralement nos modes de vie et de déplacements en interdisant tout usage de l’automobile, en limitant au maximum notre consommation d’électricité …. Dorénavant, chaque citoyen se déplacera en bicyclette ou en train. » C’est totalement inimaginable pour la simple raison que les opinions publiques ne l’accepteraient pas d’une part, que nos modes de vie occidentaux nous rendent dépendants de presque tout, d’autre part. De surcroît, de telles orientations entraîneraient la perte de millions d’emplois dans certains secteurs de l’industrie comme, par exemple, celui de l’automobile. De fait, il n’existe, à mon avis, aucun espoir de voir les cinq principales puissances de ce monde s’engager dans la voie d’une refonte des rapports et des équilibres internationaux, basée sur la conciliation entre une "éthique des échanges économiques et politiques" entre les Etats et la défense de valeurs universelles à l’échelle planétaire. C’est là où nous apercevons qu’en réalité, le monde arabo-musulman et une grande partie de l’Afrique nous tiennent pieds et mains liés, notamment mais pas exclusivement, avec leurs ressources en pétrole, ce qu’évidemment aucune des grandes puissances ne peut ignorer dans le cadre de ses échanges internationaux et de ses rapports politiques avec d’autres Etats au sein d’une institution telle que l’Organisation des Nations Unies.
Autre piste de réflexion : la réforme de certains organes de l’O.N.U pourrait-elle permettre aux Etats d’entrer dans un cycle de relations qui concilieraient davantage défense des intérêts politiques et commerciaux avec la défense de valeurs universelles ?
Je pense ici à une réforme du Conseil de sécurité de l’O.N.U qui passerait inévitablement par une réforme des règles de représentativité des cinq membres permanents que sont la République française, le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, la Fédération de Russie, les Etats-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine. Il faut quand même comprendre que le Conseil de sécurité de l’O.N.U ne pourra pas indéfiniment persister à baser son mode de fonctionnement sur des règles qui renvoient à une image de ce qu’était le monde en 1945, mais qui ne correspondent plus du tout à ce qu’il est en 2010. En 1945, les cinq membres permanents représentaient à eux seuls plus de 50% de la population mondiale, là où, aujourd’hui ils n’en représentent plus que 30%. Pourquoi ? Pour la simple raison qu’entre 1945 et aujourd’hui, l’Histoire des hommes a continué à s’écrire d’abord avec la fin du système colonial et la période de décolonisation qui en a résulté, l’explosion démographique de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine, enfin le bouleversement géopolitique considérable qu’a été l’éclatement de l’ex- U.R.S.S. Nous en arrivons aujourd’hui au paradoxe suivant : l’ensemble de l’Asie et de l’Afrique représente 65% de la population mondiale pour 50% de sièges de membres non permanents pendant que l’Amérique latine représente 10% de la population pour 20% de membres non permanents.
La question principale aujourd’hui est donc de savoir s’il est pertinent de maintenir des sièges de membres permanents au Conseil de sécurité de l’O.N.U.
Est-il normal par exemple qu’un pays comme la Chine puisse systématiquement brandir la menace de son droit de veto sur un dossier aussi grave que celui du nucléaire iranien et se permettre, de fait, de couvrir même au nom d’intérêts économiques et/ou d’équilibres stratégiques majeurs pour la Chine dont chacun sait qu’elle veut conserver le leadership des économies émergentes de l’Asie et de l’Asie centrale, un régime qui ne respecte aucun des droits fondamentaux de l’homme quand on sait qu’elle-même ne respecte pas un certain nombre des droits fondamentaux de l’homme sur son propre territoire ?
Une fois de plus, chacun voit bien là ce qui se joue derrière le dossier du nucléaire iranien : d’un côté l’Europe et principalement la Russie ont des intérêts économiques qu’ils jugent apparemment impératif de préserver dans le cadre de leurs relations avec l’Iran, de l’autre côté la Chine sait pertinemment qu’un vote sanction franc et massif de sa part à l’encontre de l’Iran l’obligerait à se soumettre à un concurrent redoutable tel que la Russie en matière de fourniture de ressources pétrolières. Alors évidemment chacun pourrait rétorquer : "Oui mais regardez, la Chine a tout de même annoncé en mai dernier qu’elle ne ferait pas usage de son droit de veto au Conseil de sécurité sur le dossier du nucléaire iranien." Certes, mais dans le même temps, la Chine n’a pas manqué de rappeler son opposition à une résolution sur le gel du programme nucléaire iranien.
Devant cet état de fait, que se passe-t-il en Iran lorsque les mollahs constatent que les membres permanents du Conseil de sécurité sont incapables de réviser leurs alliances stratégiques et de rompre d’une seule voie leurs relations commerciales avec l’Iran ? Les mollahs iraniens en déduisent rapidement et logiquement qu’en vérité, ni les Européens, ni la Russie, ni la Chine n’ont la volonté d’imposer à l’Iran des sanctions économiques telles qu’elles handicaperaient finalement lourdement leurs économies respectives. Et par voie de conséquence, le régime iranien se sent parfaitement libre d’exercer un chantage permanent sur l’Occident, chantage qu’il mène du reste avec un cynisme non dissimulé lorsqu’il remarque à quel point en réalité certains discours frôlent non seulement le ridicule mais, à mon avis plus inquiétant encore, témoignent finalement de la fragilité des sociétés occidentales face à la peur quasi-paralysante que semble en vérité leur inspirer le régime iranien. Pour illustrer ce que je viens d’écrire, je vais vous citer puis commenter certains extraits du discours aux tonalités kafkaïennes prononcé au Conseil de sécurité de l’O.N.U le 09.06.10 par Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations-Unies à la suite du vote de la résolution 1929 contre l’Iran :
« L’Iran a développé un programme nucléaire clandestin pendant 18 ans. Une fois ce programme découvert, l’Iran n’a cessé d’entraver les efforts de l’AIEA pour en élucider la finalité.
L’Iran poursuit l’enrichissement de l’uranium, en dépit de cinq résolutions du Conseil de sécurité, et en l’absence de programme électro - nucléaire crédible sur son sol.
Les faits sont accablants, ils ne prêtent à aucun doute, il suffit de les rappeler.
L’Iran a développé un programme de missiles capables d’emporter des têtes nucléaires. …… ……
Dès lors, la résolution de sanctions que nous venons d’adopter constitue la réponse appropriée. Cette résolution est forte, précise et ciblée. Elle ne vise pas la population iranienne. Ses mesures renchériront le coût pour l’Iran de sa politique proliférante. Elles ralentiront les progrès du programme nucléaire et nous aideront à gagner du temps pour la diplomatie.
……. ……
Pour autant, la porte du dialogue reste toujours ouverte.
……. ……
C’est aux dirigeants iraniens, à présent, de saisir, comme nous le leur enjoignons depuis maintenant sept ans, la main qui leur est tendue. C’est à eux de prendre en compte l’intérêt de leur population plutôt que d’embrasser un dangereux rêve de puissance au prix de la stabilité de la région. A eux de choisir l’intégration dans la société internationale et ses dividendes, plutôt que l’isolement croissant auxquels ils se condamnent. »
Premier point : très honnêtement, le programme nucléaire iranien était-il aussi "clandestin" que ne le prétend Monsieur Araud quand on pense aux moyens de surveillance satellitaire qui sont ceux des européens, américains et russes depuis maintenant plusieurs décennies ?
Second point : en mettant de la sorte en avant les agissements de l’Iran, la France ne reconnaissait-elle pas finalement d’autant plus, finalement, son impuissance d’action dans ce dossier ? Etait-il, ici, indispensable de souligner de nouveau ce que tout le monde sait depuis des années, à savoir qu’en dépit des différentes résolutions successives du Conseil de sécurité, l’Iran n’en finit effectivement pas de ricaner à la barbe et au nez de ceux qui les ont votées en ne cessant d’entraver les efforts de l’AIEA et en poursuivant parallèlement le programme d’enrichissement de l’uranium ? N’est-ce pas là, accorder une importance et un rôle aussi disproportionnés que déplacés à ces dirigeants iraniens qui méprisent depuis si longtemps l’Occident ? En d’autres termes, Monsieur Araud aurait avoué au régime iranien "Vous bafouez toutes les mesures qui sont prises et prononcées à votre encontre parce que vous savez pertinemment que les Nations-Unies n’ont pas l’intention de prendre des sanctions économiques globales en dehors de celles liées à l’enrichissement de l’uranium et redoutent de se lancer dans un conflit armée avec l’Iran" que Monsieur Araud ne s’y serait pas mieux pris. Mais ce 09.06.10, le risque du ridicule n’a pour autant pas freiné Gérard Araud qui déclare ensuite : « Les faits sont accablants, ils ne prêtent à aucun doute, il suffit de les rappeler. » Eh bien non justement, il ne suffit plus de rappeler les faits ! A un moment donné, quand un pays comme la France et certains des Etats membres d’une institution telle que l’Organisation des Nations-Unies se condamnent à être la risée permanente d’un régime qui se sent pousser des ailes devant l’attentisme manifeste de ceux qui se contentent de voter des résolutions en apportant depuis des années la preuve de leur impossibilité d’obliger un régime théocrate à mettre fin à son programme d’enrichissement en uranium, le tout sans jamais prononcer de sanctions économiques lourdes et sans jamais représenter une force de persuasion militaire, faute d’exprimer ouvertement la volonté de recourir à l’arme militaire, il faut que la France et l’O.N.U passent à la vitesse supérieure en prenant enfin conscience que les discours non accompagnés de mesures coercitives ne sont, de toute évidence, en aucun cas, de nature à effrayer les mollahs d’Iran. Car disons le clairement : la décision par exemple qui consiste à interdire de fournir à l’Iran du matériel de guerre lourd ou d’assurer le financement de ce matériel, si elle a le mérite d’exister, ne suffira pour autant pas à conduire l’Iran à renoncer à son programme nucléaire et donc à demeurer une menace pour l’avenir du monde. Et ce serait malhonnête de prétendre que l’O.N.U n’aurait ni les moyens ni le droit de prendre des sanctions autres que les mesures sans effet annoncées dans les résolutions du Conseil de sécurité prises depuis 2006. Que disent en effet les articles 41 et 42 de la Charte des Nations-Unies ?
o article 41 : " Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquent pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations-Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques." Au lieu de cela et bien que la tragédie du peuple iranien perdure depuis pas moins de trente ans maintenant, notre représentant permanent auprès des Nations-Unies Gérard Araud annonce sans aucun complexe à l’attention du régime iranien "Pour autant la porte du dialogue reste toujours ouverte". Que penser d’un pays comme la France qui prétend exporter dans le monde et notamment au sein du Conseil de sécurité ses valeurs universelles, mais n’hésite pas dans le même temps à les assassiner ouvertement en voulant maintenir le dialogue avec un Etat infréquentable ?
o article 42 : "Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, de toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres de Nations-Unies." Qu’attend donc le Conseil de sécurité pour passer à l’action autrement qu’en votant des résolutions qui ne mènent à rien ? Que l’Iran envoie une bombe sur Israël, puis ensuite des missiles sur l’Europe ? Qu’attend donc la France pour demander à son représentant permanent à l’O.N.U de cesser de tendre la main à l’Iran alors que nous savons tous pertinemment que cet Etat ne se soumettra jamais à aucune résolution du Conseil de sécurité ?
Comment comprendre la politique de la main tendue à l’Iran ce 09.06.10 quand le Président de la République française Nicolas Sarkozy préconisait avec bon sens la politique exactement inverse lors d’une réunion au Conseil de sécurité du 24.09.09 consacrée au désarmement et à la non prolifération :
« … L’Iran a violé, depuis 2005, cinq résolutions au Conseil de sécurité. Depuis 2005, la communauté internationale a appelé l’Iran au dialogue, Monsieur le Secrétaire général. Une proposition de dialogue en 2005, une proposition de dialogue en 2006, une proposition de dialogue en 2007, une proposition de dialogue en 2008 et une nouvelle en 2009. Monsieur le Président Obama, je soutiens la main tendue des Américains. Qu’ont amené à la communauté internationale ces propositions de dialogue ? Rien. Plus d’uranium enrichi, plus de centrifugeuses et de surcroît une déclaration des dirigeants iraniens proposant de rayer de la carte un membre de l’Organisation des Nations-Unies. Que faisons-nous ? Quelles conclusions en tirons-nous ? Il y a un moment où les faits sont têtus et où il faudra prendre des décisions. Si nous voulons un monde sans arme nucléaire, n’acceptons pas la violation des règles internationales. ……
Ce que je crois, c’est qu’en ayant le courage d’affirmer des sanctions ensemble, contre des pays qui violent les résolutions du Conseil de sécurité, nous donnerons de la crédibilité à notre engagement pour un monde avec, à l’avenir moins d’armes nucléaires et peut-être, un jour, sans arme nucléaire. »
Si je ne peux que saluer l’invitation faite par Nicolas Sarkozy au Conseil de sécurité ce 24.09.09 à passer enfin à l’étape des sanctions à l’encontre de l’Iran, il n’en demeure pas moins qu’aucune nation n’a jamais apporté la moindre preuve de sa "crédibilité" en envoyant aux Nations-Unies un représentant permanent prononcer un discours qui renie neuf mois plus tard l’engagement fait par le Président de la République du pays qu’il représente de mettre un terme à la poursuite du dialogue avec l’Iran et donc un terme à la politique de la main tendue.
Troisième point enfin, également très préoccupant à mon sens : Monsieur Araud ose proposer à l’Iran "A eux de choisir l’intégration dans la communauté internationale et ses dividendes." Et ses dividendes ? Mais de quels dividendes parlait donc Gérard Araud ? Etait-ce à dire à l’Iran : "Vous mettez fin au programme d’enrichissement de l’uranium et on oublie tout, demain vous revenez dans le concert des nations. Oubliées les souffrances infligées au peuple iranien, oubliée la charia, oubliées les humiliations et règles de vie dégradantes imposées aux femmes iraniennes, oubliés les procès fantoche, oubliés la répression meurtrière des foules d’iraniens qui manifestaient hier dans la rue, oubliés les tortures et viols commis dans les prisons iraniennes …" ? Est-ce ce message qu’aurait passé en réalité Monsieur Araud au régime iranien ce 09.06.10 ? Avouez qu’à la lecture de sa déclaration, il y a légitimement de quoi s’interroger !
Et si tel était le cas, ne serait-ce pas là, la meilleure réponse apportée à la seconde question qui m’est ici posée : oui, la France a décidé de renier ses valeurs universelles quand d’autres intérêts d’ordre politique ou économique sont en jeu ? Hélas, il semble que l’analyse du dossier nucléaire iranien soit la démonstration qu’entre les déclarations officielles et ce qui se décide en sous-main au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies, la France ait entre temps perdu la mémoire de l’indispensable référence à ses valeurs universelles, n’hésitant pas à jeter au passage aux orties une grande part de son identité.