Le précédent entretien en deux parties avec Bonapartine :
http://lessakele.over-blog.fr/article-5e-entretien-55700034.html
Question 8 – Lessakele – La politisation permanente des questions d’avenir tend à donner une perception tronquée et très médiatisée de ce qu’on croit être "la politique israélienne".
A-t-on bradé en France, certaines notions qui participent à la construction de l’identité ? Si oui, lesquelles et à qui et au terme de quel(s) processus serions-nous parvenus à renvoyer l’image d’un pays qui s’interdirait de partager ses valeurs ?
La France a effectivement délibérément non pas bradé mais bafoué certaines notions qui participent à la construction de son identité et elle est entrée peu à peu dans ce que j’appelle "le cercle suicidaire de l’acceptation passive de sa propre déligitimation".
Parmi les notions qui participent à la construction de l’identité, deux symboles républicains sont fréquemment la cible d’une jeunesse paraît-il "en mal de reconnaissance" : la Marseillaise et le drapeau tricolore. Souvenons-nous de certains épisodes :
1/ Concernant la Marseillaise, deux exemples pris à sept ans d’intervalle :
a) Octobre 2001 : rencontre de football France Algérie. Acte 1 : l’hymne national est sifflé au point de devenir quasiment inaudible. Acte 2 : environ soixante-dix minutes plus tard, des dizaines de milliers de supporters algériens envahissent alors la pelouse et l’arbitre est contraint de mettre un terme à la rencontre. Du jamais vu ! Acte 3 : Lionel Jospin, alors Premier ministre et quelques-uns de ses ministres sont présents dans les tribunes mais personne ne bouge. Effrayant de voir un Premier ministre censé représenter par excellence la France et ternir ainsi l’image d’une France qu’il a jeté ce jour-là dans les bras de ceux qui prétendaient raviver les vieux démons de notre passé colonialiste !
b) Octobre 2008 : rencontre France Tunisie. Au moment où le speaker présente la composition de l’équipe de France, les joueurs sont sifflés. Un joueur échappe à l’humiliation des sifflets accusateurs : Frank Ribéry ! Quand on connaît le vaudeville de mauvais goût que nous a fait vivre l’équipe de France en juin dernier, je me dis avec le recul que la réaction des supporters tunisiens qui en 2008 épargnent déjà le seul Ribéry ne laissait rien présager de bon quant aux "valeurs" que défendait en vérité ledit Ribéry. L’avenir l’a confirmé : Ribéry a confondu en permanence et depuis des années un terrain de football avec un lieu de prière, n’a cessé de renvoyer l’image d’un "mari modèle" pour finalement ne rien trouver de mieux que de fréquenter un bordel de luxe où il s’est vautré dans les bras d’une prostituée de surcroît mineure – ce qui pose pour le moins question quant à "l’éthique" du personnage -, n’était enfin pas le dernier à venir jouer les commères de service dans les mésaventures rocambolesques de l’équipe de France en apportant souvent devant les caméras des commentaires que personne ne lui demandait.
Enfin la cerise sur la gâteau concernant la rencontre France Algérie du mois d’octobre 2001 : la chanteuse Lââm interprète jusqu’au bout et je dois dire avec un certain panache, la Marseillaise sans échapper aux sifflements des supporters de l’équipe de Tunisie présents dans le stade !
Que disent les autorités du football sur tous ces épisodes ? Apparemment rien ! Hélas, leur silence complice participe lui aussi à terme à la spoliation de nos valeurs et de ce qui fait aussi le socle de notre identité.
2/ Le drapeau tricolore :
a) Novembre 2009 - La scène se déroule cette fois-ci sur la place du Capitole à Toulouse. Sur le fronton de l’Hôtel de ville flottent trois drapeaux : le drapeau français, le drapeau européen, le drapeau de la Croix occitane. Peu de temps après la fin du match Egypte-Algérie, de jeunes gens escaladeront la façade de la mairie, détacheront le drapeau français et le brûleront. On se demande bien pourquoi autant de policiers avaient été déployés sur les lieux dès lors que les mêmes policiers avaient reçu pour consigne de ne pas intervenir !
b) Plus récemment, en juin 2010, le drapeau de Villeneuve-Saint-Georges accroché sur la façade de la mairie sera lui aussi brûlé et remplacé par un drapeau algérien.
Au terme de quel processus sommes-nous parvenus à renvoyer l’image d’un pays qui s’interdit désormais de partager ses valeurs ?
Je crois qu’il faut revenir sur les non-dits de la décolonisation dont la France ne parvient pas ou n’a pas la volonté, je ne sais exactement, d’ouvrir un débat qui permettrait de construire un avenir sous des auspices un peu plus optimistes que ce à quoi nous assistons à l’heure actuelle.
Autant j’ai de l’admiration pour le De Gaulle de la Seconde Guerre mondiale, autant je pense que sa gestion du dossier algérien a été désastreuse pour ne pas dire hasardeuse. De mon point de vue, le De Gaulle de l’Algérie a en vérité trahi tout le monde. Je ne suis du reste pas certaine encore aujourd’hui que De Gaulle ait alors véritablement compris ce qui se passait en Algérie dès 1954. Quand je relis par exemple son discours du 16.09.1959 où il envisage l’autodétermination alors que le FLN ne demandait pas l’autodétermination mais l’indépendance, je reste pour le moins perplexe : De Gaulle n’avait-il pas en réalité été dépassé par l’extrême gravité de la crise algérienne ?
Aujourd’hui, je continue de penser que même si les plaies de la Guerre d’Algérie ne sont plus à vif en France, elles restent néanmoins présentes et les rancoeurs qui les accompagnent ne sont en aucun cas effacées comme nous le verrons un peu plus loin dans le présent article.
Mais soyons honnêtes : le tremblement de terre qui secoue l’Algérie dès 1954 trouve ses sources profondes à une époque bien antérieure à De Gaulle. Charles De Gaulle est en effet né en 1890. Or, la conquête de l’Algérie a commencé dès 1830 sous Louis-Philippe. Elle s’est poursuivie avec Napoléon III en 1848 qui était habité par l’idée aussi saugrenue que délirante de créer "un royaume arabe" associé à la France. La Constitution du 04.11.1848 a ainsi consacré le rattachement de l’Algérie à la France. A partir de là, les relations entre la métropole française et l’Algérie devenue française elle aussi, n’ont cessé d’écrire les actes d’une interminable tragédie. Et au risque de choquer, je le dis clairement : Napoléon III porte à mon sens une responsabilité très lourde dans l’affaire algérienne. Pourquoi ?
En 1865, dans une brochure destinée à Mac-Mahon, Napoléon III définit ainsi l’Algérie : « Ce pays est à la fois un royaume Arabe, une colonie européenne et un camp français. … L’indigène musulman est Français mais régi par "la loi musulmane". Tous les sujets indigènes qui veulent jouir de la nationalité et de la citoyenneté française, sont tenus de renoncer à leur statut personnel fixé par la loi religieuse : ils doivent abandonner la polygamie, le divorce (interdit en France jusqu’en 1884) et les prescriptions de leur droit successoral. » C’était juste oublier qu’on ne contraint jamais un peuple qui ne veut pas remettre en cause les fondements de sa propre culture d’en bouleverser ces mêmes fondement d’une part. On constate d’autre part aujourd’hui que plusieurs générations nées en France bien après la guerre d’Algérie dont les parents sont originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique sub-saharienne ont en vérité évolué et grandi non pas en intégrant le principe de laïcité pourtant né il y a déjà 105 ans en France mais bien véritablement en continuant de s’inscrire dans l’idée qu’ils seraient restés des "Indigènes musulmans" avant d’être Français. C’est dire les effets pervers qu’ont laissé dans l’inconscient collectif l’œuvre napoléonienne de Second Empire ….
Le 05 mai 1865, soit le jour de l’anniversaire de son épouse et impératrice Eugénie, Napoléon III proclame au peuple arabe : « Qui sait si un jour ne viendra pas où la race Arabe, régénérée et confondue avec la race Française, ne retrouvera pas une puissante individualité semblable à celle qui pendant des siècles l’a rendue maîtresse des rivages méridionaux de la Méditerranée ? »
De tels propos sont encore aujourd’hui parfaitement irresponsables en ce qu’ils ont laissé tranquillement mais sûrement s’installer dans la mémoire collective arabe l’idée selon laquelle "la race Arabe" effacerait par la voie du métissage à terme "la race française". Si tant est d’ailleurs qu’il y ait "une race arabe" ou "une race française", l’emploi du terme de race m’inspirant la plus grande méfiance depuis l’usage criminel qui en a été fait sous le régime nazi.
En attendant et à la lecture de la proclamation de Napoléon III du 05.05.1865, comment s’étonner encore aujourd’hui que le monde arabo-musulman rêve de conquérir le monde ? Mais le plus surprenant dans cette affaire, c’est que plus de 140 ans après la déclaration de Napoléon III et plus de 50 ans après la décolonisation, la France n’a rien retenu des leçons de son passé et demeure plus que jamais accrochée à son rêve de se voir constituer une Union pour la Méditerranée avec pour partenaires plusieurs pays arabes, le tout à l’initiative du Président de la République française Nicolas Sarkozy dans le cadre de ce qui était alors la présidence française de l’Union européenne en juillet 2008. Non pas que le projet d’une Union pour la Méditerranée soit un mauvais projet en soi. Mais comment parler avec des Etats arabes quand ceux-ci se montrent par exemple visiblement très indisposés par la présence de l’Etat d’Israël dans le projet d’Union pour la Méditerranée ? Et une fois encore nous revenons notamment à la question algérienne car en 2008, c’est l’Algérie qui d’emblée demandera des "clarifications et précisions" quant à la présence et au rôle d’Israël dans cette union. N’est-ce pas là finalement la preuve flagrante que la perpétuelle repentance postcoloniale avait pour les années à venir tué dans l’œuf toute chance laissée à une jeune nation le droit de s’exprimer et de se défendre ?
Enfin, qu’attendre de cette Union pour la Méditerranée quand on s’aperçoit que la Déclaration des 43 Etats se dispense de toute référence à la démocratie et aux Droits de l’Homme ? Qui s’assoit à la table de qui ? La France peut-elle encore prétendre qu’elle n’aurait pas, une fois encore, une fois de trop, sacrifié sur l’axe euro-méditerranéen les fondements des principes universels que sont les trois grands piliers de la République française : "Liberté, Egalité, Fraternité" ? Comment pouvons-nous ensuite exiger de nos enfants qu’ils respectent des principes républicains que la France n’impose pas de mentionner dans la Déclaration commune des 43 Etats qui participent au projet de l’Union pour la Méditerrannée ? Voilà une des images marquantes s’il en est qui démontrent que la France s’interdit désormais de partager ses propres valeurs. La France aurait-elle honte de ses valeurs ou se sentirait-elle écrasée par le poids de la culpabilité qui semble lui coller à la peau en qualité d’ancienne nation colonisatrice, incapable qu’elle est par ailleurs d’ouvrir sereinement le débat et de porter un regard apaisé sur cette longue période de son histoire ?
Personne ne nie aujourd’hui le rôle des tirailleurs algériens par exemple qui se sont battus pour la défense de la métropole durant les conflits de 1914-1918 et de 1939-1945. Mais si on observe attentivement les parts d’ombre et de lumière des différents chapitres de l’histoire entre la France et l’Algérie, qui peut oublier les massacres perpétrés par le Front de Libération nationale à l’encontre des harkis dès avril 1962 ? Qui a le courage de rappeler, en dehors de Thierry Mariani dont je ne partage pas par ailleurs particulièrement les idées politiques, les crimes contre l’humanité commis en Algérie à l’encontre de milliers de Français d’Algérie européens et musulmans qui furent désarmés puis assassinés dans des conditions épouvantables au cours de l’année qui a suivi l’indépendance de l’Algérie ?
La question n’est évidemment pas de dire que seul le FLN avait commis des crimes en Algérie. Personne n’ignore que l’Organisation de l’armée secrète dite "OAS" dont les barbouzes étaient parfois recrutés dans des milieux pour le moins douteux (je pense ici par exemple au proxénète Georges Boucheseiche qui était pour aggraver encore plus son cas également un ancien de la Gestapo française), pratiquaient la torture en Algérie. On oublie du reste souvent de préciser sur ce point que le recrutement de certaines unités de l’OAS avait été assuré par deux partisans du Général de Gaulle : Lucien Bitterlin et Pierre Lemarchand. C’est dire quand même la face parfois sombre de l’engagement du Général de Gaulle dans l’Affaire algérienne !
Pour autant, quand j’entends les discours des Indigènes de la République pour ne citer qu’eux, la France doit-elle persister à accepter en silence des discours qui ne donnent qu’une interprétation unilatérale et déformée de l’histoire de la décolonisation française ? En aucun cas. Pourquoi ? Parce qu’à force de mentir aux opinions publiques, à force de mettre systématiquement la France au ban des accusées, à force de se complaire dans l’identification aux seules présumées victimes sans jamais avoir le courage de parler de toutes les victimes et non pas seulement de victimes précisément ciblées, on finit par tenir des discours qui encouragent aux pires dérives. Comment comprendre dans ces circonstances que le Ministère de l’Intérieur n’ait pas encore prononcé la dissolution de ce site ? N’est-ce pas là, une fois de plus, une façon de s’interdire délibérément de partager nos valeurs inscrites dans la Constitution française ?
Malheureusement, l’Histoire des Hommes s’est écrite et même si je persiste à penser que la France n’aurait jamais dû poser un seul jour de sa vie un seul pied sur la terre d’Algérie depuis 1830, cela ne changera pas grand chose au regard des crimes qui furent commis tant par les partisans de l’Algérie française que par ceux de l’Algérie algérienne entre 1958 et 1962. J’ajoute, pour reprendre l’exemple des Indigènes de la République, qu’en crachant ainsi constamment au visage de la France présumée survivre dans un passé d’indécrottable colonialiste, Houria Bouteldja s’attaque aujourd’hui à des générations qui n’ont pas vécu, au même titre qu’elle, la Guerre d’Algérie. Or, on ne fait jamais progresser un pays vers la lumière en dressant une partie des héritiers de sa mémoire contre les héritiers d’une autre partie de sa mémoire.