La destruction, dans la nuit de dimanche à lundi, de la statue installée par des artistes à l’endroit où l’opposant anti-islamiste Chokri Belaïd a été assassiné le 6 février, a ému les Tunisiens. Pour le ministère de l’Intérieur, déjà accusé du meurtre de l’opposant, il y avait urgence à trouver un coupable et un mobile. Moins de 36 heures après les faits, les autorités ont annoncé que « l’enquête a permis l’arrestation du principal suspect : le voisin de Chokri Belaïd ». Quant au mobile, les enquêteurs auraient pu mieux trouver : « le suspect a détruit la statue qui l’empêchait de bien garer sa voiture ».
Cette version officielle est à peine croyable, affirment les observateurs. Elle enfonce et discrédite le ministère de l’Intérieur tenu par les islamistes d’Ennahda, dont la responsabilité est de plus en plus désignée dans l’assassinat de Belaïd. Le journaliste Zied El-Hani a en effet affirmé, depuis le 8 février, que « Mehrez Zouari, directeur des services spéciaux au ministère et proche du député radical d’Ennahda Habib Ellouze, dispose d’une vingtaine d’hommes armés et bien entrainés ». Ils servent à assassiner, intimider et terroriser les opposants. « Mohamed Chammam, ancien de l’appareil secret d’Ennahda dans les années 1980-90, a également rejoint le ministère », ajoute El-Hani. Un autre journaliste, Sofiane Farhat, a également affirmé avoir reçu des informations, dès fin janvier, faisant état d’une « liste de personnes à liquider », parmi lesquelles figurait sans doute Belaïd.
Face à ces accusations, les islamistes jouent la diversion et s’engagent dans une fuite en avant. Ils cherchent à présent à neutraliser la veuve de Belaïd, l’avocate Besma Khalfaoui, qui a promis « la poursuite du combat de son mari avec des milliers de Chokri Belaïd ». Pour la discréditer, les autorités tunisiennes multiplient les fuites à travers des médias idéologiquement proches. Ainsi, le quotidien algérien « Echorouk » (de sensibilté islamiste) du 19 février affirme détenir des informations fournies par une source judiciaire tunisienne, selon lesquelles « le couple Belaïd était séparé, et son divorce a été prononcé le 12 novembre 2012 (...). Khalfaoui ne peut donc pas revendiquer le statut de veuve de Belaïd. De ce fait, et conformément à la loi tunisienne, elle ne peut pas se porter partie civile dans son assassinat. Elle peut au mieux représenter ses deux filles mineures ». S’appuyant sur ces fuites, le journal s’interroge : « pourquoi Khalfaoui s’est-elle présentée, depuis l’assassinat de Belaïd, comme étant sa veuve ? » Relayant les autorités tunisiennes, « Echorouk » lance des menaces à peine voilée à l’encontrre de Khalfaoui. Elle peut faire l’objet de « poursuites pour complicité de meurtre et usage de faux » !
Pour les observateurs, les islamistes d’Ennahda, furieux de constater l’échec de leur politique, et attachés au pouvoir, comme l’a réitéré Rached Ghanouchi samedi dernier, feront tout pour s’y maintenir. Ils ont déjà rejeté le cabinet technocrate proposé par le premier ministre Hamadi Jabali. La crainte est qu’ils s’engagent dans une fuite en avant, s’appuyant sur les plus radicaux parmi eux et sur les salafistes, pour user de la violence, terroriser les Tunisiens et leur imposer leur diktat. La Révolution du Jasmin n’est donc pas terminée.
Dario S.