
L'opposant Chokri Belaïd a été tuée par balles mercredi 6 février 2013 à Tunis. Son meurtre a provoqué des protestations dans plusieurs villes du pays. AFP PHOTO/FETHI BELAID
Un chef de l'opposition tunisienne Chokri Belaïd a été tué par balles mercredi à Tunis, le premier assassinat du genre depuis la révolution de 2011 qui a chassé le président Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir.
Chokri Belaïd, 48 ans, critique acerbe du gouvernement, a été tué en sortant de chez lui le matin de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, sorte de long manteau traditionnel en laine avec une capuche pointue, selon le Premier ministre Hamadi Jebali.
Le ministre de l'Intérieur Ali Larayedh a indiqué, en citant le chauffeur de la victime, qu'un complice l'attendait pour prendre la fuite à moto.
Secrétaire général du parti des Patriotes démocrates, l'opposant avait rejoint avec sa formation une coalition de gauche, le Front populaire, qui se pose en alternative au pouvoir en place. Très présent dans les médias, le poids politique de Chokri Belaïd et de ses alliés demeure une inconnue, le Front populaire n'ayant été créé qu'après les élections d'octobre 2011.
"C'est un acte criminel, un acte de terrorisme pas seulement contre Belaïd mais contre toute la Tunisie", a dit M. Jebali, promettant de tout faire pour retrouver les responsables. "C'est un tournant grave", a-t-il ajouté, en appelant "à ne pas tomber dans le piège du criminel qui vise à plonger le pays dans le désordre".
Le président Moncef Marzouki, qui était en visite en France, a pour sa part annulé sa participation au sommet islamique du Caire pour rentrer d'urgence à Tunis, a annoncé la présidence en dénonçant un crime "odieux" visant "à mener le peuple tunisien à la violence", et en appelant "à la retenue".
Hamma Hammami, chef du Front populaire, a accusé "des partis politiques qui veulent enfoncer le pays dans l'anarchie. Le gouvernement et le pouvoir assument la responsabilité de ce crime odieux car les menaces contre Chokri et d'autres ne datent pas d'aujourd'hui".
L'opposant Chokri Belaïd. AFP PHOTO/FETHI BELAID
"Ghannouchi sale chien"
Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, a, lui, dénoncé "un crime odieux visant à déstabiliser le pays" et son chef Rached Ghannouchi a estimé que ses auteurs "veulent un bain de sang" dans le pays, rejetant toute implication de son parti.
Le frère de la victime, Abdelmajid Belaïd, a en revanche accusé "Rached Ghannouchi d'avoir fait assassiner son frère", sans étayer cette accusation.
Devant l'hôpital du quartier Ennasr de Tunis où la dépouille de Belaïd se trouvait, des centaines de personnes ont manifesté dans la matinée en criant "le peuple veut une nouvelle révolution". "Ghannouchi sale chien", criait le père de la victime, en larmes.
Après avoir essuyé des jets de bouteilles, la police a par ailleurs tiré des gaz lacrymogènes sur les quelque milliers de manifestants réunis à Tunis face au ministère de l'Intérieur, avenue Bourguiba, a constaté un journaliste de l'AFP.
Des nuages de gaz se sont répandus sur toute l'avenue, à la faveur d'un vent fort. Les policiers ont aussi pourchassé les manifestants pour les disperser à coups de matraque.
A Sidi Bouzid, berceau de la révolte de 2011 dans le centre-ouest, les policiers ont également tiré des gaz lacrymogènes sur des manifestants qui tentaient de prendre d'assaut le siège de la police.
Ailleurs dans le pays, à Mezzouna, près de Sidi Bouzid, et à Gafsa, (centre), des manifestants ont incendié et saccagé les locaux d'Ennahda, selon un correspondant de l'AFP sur place et des témoins. A Kasserine, Béja et Bizerte des foules manifestaient leur colère après le meurtre.
Dans une première réaction internationale, le président français François Hollande a condamné "avec la plus grande fermeté" ce meurtre qui "prive la Tunisie d'une de ses voix les plus courageuses et les plus libres" et fait part de la "préoccupation" de Paris face à "la montée des violences politiques" dans ce pays.
La Tunisie est plongée dans une crise politique, faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections, alors que des membres de la coalition gouvernementale réclament un remaniement du gouvernement pour retirer aux islamistes des ministères régaliens.
Face à l'impasse, les violences se sont multipliés et plusieurs opposants ont accusé des milices pro-pouvoir, la Ligue de protection de la révolution, d'orchestrer des heurts ou des attaques contre l'opposition. Ce mouvement est accusé d'avoir tué en octobre l'opposant Nidaa Tounès.
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