Ces quinze derniers jours, nous avons abordé avec Bonapartine le thème de l’identité. Cette semaine, face à la difficulté à laquelle sont confrontés les enseignants pour mener à bien leur mission d’enseignement, Bonapartine nous dresse un tableau de la gravité des comportements et discours observés chez certains des élèves qui rejettent les enseignements de l’école républicaine et laïque française. Ensuite, elle nous donnera son analyse personnelle de la situation ainsi que ce qu’elle préconise pour remédier à une situation devenue intolérable.
Lessakele - L’école française, creuset de la laïcité et de l’intégration, ne se porte pas très bien. C’est un euphémisme. Dans certaines classes, il est devenu impossible de tenir un cours d’histoire sur la Shoah, la Seconde Guerre Mondiale, pour « ne pas heurter la sensibilité » de certains élèves. Quelle est votre analyse personnelle de la situation ? Que doivent faire les enseignants, le Rectorat, le Ministère ?
Tout d’abord, je vous remercie de me poser ces questions qui soulèvent des problématiques devenues hautement taboues dans certaines sphères de l’Education nationale et conduisent inévitablement à dire des vérités qui risquent de déranger, voire de fâcher.
Affirmer que l’école française que vous qualifiez à juste raison de « creuset de la laïcité et de l’intégration », ne se porte pas très bien est effectivement un euphémisme car en définitive non seulement l’école mais la Maison Education nationale dans son ensemble en France est une patiente qui aurait besoin d’être rapidement transportée aux urgences tant la dégradation permanente de son état de santé a pris des proportions inquiétantes. Et il ne s’agit là en aucun cas de verser dans un catastrophisme qui serait de nature à faire inutilement peur ! Il s’agit simplement ici de mettre des mots sur des réalités que les différents ministres, certains rectorats et inspecteurs de l’Education nationale occultent délibérément depuis plusieurs décennies, voire étouffent afin de "ne pas faire de vagues" et pouvoir ainsi acheter une paix sociale dans certains quartiers réputés "sensibles". Politique qui, nous le verrons, a en fin de compte produit l’effet exactement inverse de celui escompté.
De quoi s’agit-il exactement ?
Vous avez entièrement raison de rappeler que certains enseignements sont rejetés par un nombre croissant d’élèves qui n’hésitent plus à exprimer ouvertement ce refus de découvrir, d’apprendre et de comprendre par des comportements de violence verbale et/ou physique à l’encontre de leurs professeurs.
Aussi, permettez-moi dans l’immédiat de dresser avant tout un tableau tant de l’étendue que de la gravité des comportements que je qualifierais de "négationnisme de l’universalité des savoirs" avant de répondre à votre première question afin de permettre ensuite à vos lecteurs de comprendre mon analyse personnelle de la situation et surtout en quoi des mesures radicales devront de toute façon être tôt ou tard prises si nous ne voulons pas que notre école républicaine laïque se transforme en une école défigurée par les revendications communautaristes poussées à l’extrême, génératrices de comportements sexistes et racistes et observées désormais plus seulement dans les zones sensibles de certaines banlieues mais également dans un certain nombre de zones rurales.
En juin 2004, un Inspecteur de l’Education nationale pour le moins pragmatique, Jean-Pierre Obin a rendu un rapport intitulé « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Que nous confirme la troisième partie de ce rapport intitulée "L’enseignement et la pédagogie" ? :
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En éducation physique et sportive : « Beaucoup d’élèves préfèrent un "zéro" ou une punition plutôt que de pratiquer une activité ou de la pratiquer en tenue réglementaire. Les dispenses se multiplient et l’existence de certificats de complaisance est massive dans certains quartiers. Ces phénomènes explosent dans la période du jeûne. » (p.24)
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Les lettres et la philosophie : « Il y a d’abord le refus ou la contestation, assez fréquents, de certaines œuvres et de certains auteurs. Les philosophes des Lumières, surtout Voltaire et Rousseau, et les textes qui soumettent la religion à l’examen de la raison sont particulièrement visés : "Rousseau est contraire à ma religion", explique par exemple à son professeur cet élève d’un lycée professionnel en quittant le cours. Molière et en particulier Le Tartuffe sont également des cibles de choix : refus d’étudier ou de jouer la pièce, boycott ou perturbation d’une représentation. Il y a ensuite des œuvres jugées licencieuses (exemple : Cyrano de Bergerac), "libertines" ou favorables à la liberté de la femme, comme Madame Bovary, ou encore les auteurs dont on pense qu’ils sont étudiés pour promouvoir la religion chrétienne (Chrétien de Troyes …) ou même Satan (témoin ce tract distribué par une mère évangéliste contre l’utilisation par un professeur de français de Harry Potter en sixième). Tout laisse à penser que dans certains quartiers les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du halal (autorisé) et du haram (interdit). » (p.25)
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L’histoire, la géographie et l’éducation civique : « Les professeurs qui dispensent ces enseignements témoignent en effet de nombreuses contestations d’élèves et de réelles difficultés à aborder ou à enseigner certaines parties du programme. D’une manière générale, tout ce qui a trait à l’histoire du christianisme, du judaïsme, de la Chrétienté ou du peuple juif peut-être l’occasion de contestations. Les exemples abondent, plus ou moins surprenants comme le refus d’étudier l’édification des cathédrales, ou d’ouvrir le livre sur un plan d’église byzantine, ou encore d’admettre l’existence de religions préislamiques en Egypte ou l’origine sumérienne de l’écriture. …. Cette contestation devient presque la norme et peut même se radicaliser et se politiser dès qu’on aborde les questions les plus sensibles, notamment les croisades, le génocide des Juifs (les propos négationnistes sont évidents), la guerre d’Algérie, les guerres israélo-arabes et la question palestinienne. En éducation civique, la laïcité est également contestée comme antireligieuse. …… ……. Devant l’abondance des contestations et une parole débridée des élèves, qu’ils ne parviennent pas à maîtriser, la réaction la plus répandue des enseignants est sans doute l’autocensure. ….. Il n’en est pas de même du second type de réaction, rencontrée à plusieurs reprises et qui consiste, devant l’abondance d’élèves s’appuyant sur le Coran, à recourir au livre sacré pour tenter de s’appuyer sur des élèves inscrits à l’école coranique ("mes bons élèves" dit-il), garants de l’orthodoxie musulmane, afin d’invalider les contestations venant d’autres élèves. Le comble est sans doute atteint avec ce professeur enseignant le Coran sur son bureau (édition bilingue, car certains élèves n’ont foi qu’en la version arabe, langue qu’il ne lit pas !), et qui y recourt dès que des contestations se manifestent. On peut alors parler d’une véritable théologisation de la pédagogie.» (p. 26)
A la lecture de ces lignes, qui affirmera que l’école française serait encore laïque ? J’ajoute que les faits rapportés par Jean-Pierre Obin en 2004 concernent également l’école privée. Pour preuve : il y a quelques mois, une enseignante d’un établissement privé catholique situé à Largentière en Ardèche a été agressée par un élève âgé de 14 ans parce qu’elle avait déclaré dans le cadre de son cours "L’influence des Etats-Unis dans le monde" que les attentats du 11.09.01 étaient dus à l’organisation Al-Qaïda comme le mentionnait au demeurant légitimement le livre de classe.
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Les mathématiques : « La seule difficulté mentionnée par des professeurs de cette discipline …. est le refus d’utiliser tout symbole ou de tracer toute figure (angle droit, etc.) ressemblant de près ou de loin à une croix. » (p.27)
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Les sciences de la vie et de la terre : « Comme l’histoire, cette discipline fait l’objet d’une contestation religieuse d’ensemble au nom d’une conception, le "créationnisme", dont on sait qu’elle a ses partisans dans les trois religions monothéistes, et qui réfute la théorie de l’évolution des espèces au nom d’une lecture littérale de la Bible ou du Coran. Pour ses adeptes, schématiquement, la Genèse est un document historique et Darwin un imposteur. Les documents et les témoignages abondent montrant que les élèves sont la cible de discours convergents de prédicateurs, de ministres du culte ou de "grands frères" affirmant que cet enseignement n’est que mensonge. » (p.27)
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Les langues vivantes : « Les contestations …. concernent essentiellement l’anglais et l’arabe. Les enseignants de la première de ces langues, réputée constituer "le véhicule de l’impérialisme", peuvent être à ce titre l’objet d’une certaine hostilité de la part d’élèves. Les professeurs d’arabe, quant à eux, peuvent être visés par des contestations d’élèves ou de familles, en tant que "concurrents", laïques, de l’enseignement religieux : "Ce n’est pas le bon arabe !", vient protester auprès d’un principal ce père d’élève. Beaucoup de professeurs se plaignent aussi de l’usage que font certains élèves de la langue arabe pour intervenir en classe, notamment dans les séquences dites "sensibles" de l’enseignement, de toute évidence selon eux pour exprimer leur désaccord ou tenir, sans risque d’être compris par le professeur, des propos peu amènes. » (p.28)
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Les disciplines artistiques : « Les contestations qui affectent les enseignements d’arts plastiques et d’éducation musicale sont les mêmes, dans les collèges, que celles signalées pour les écoles primaires, en particulier le refus de représenter un visage, de jouer de la flûte ou de pratiquer le chant choral. » (p.28)
Autant vous dire que le rapport de Jean-Pierre Obin ne fait jamais l’objet d’une seule mention, encore moins de commentaires de la classe politique française, de Martine Aubry en passant par François Bayrou ou encore Luc Chatel. Ceci donne une idée du profond malaise qu’inspire ce rapport.
Le seul problème dans cette affaire, c’est qu’à force de taire la réalité de la montée en puissance des différents communautarismes à l’école républicaine et laïque française et donc en abandonnant nombre d’enseignants à leur triste sort face à des élèves qui de toute évidence claironnent haut et fort « Nous ne reconnaissons pas la culture française en tant que telle, nous foulons au pied l’école laïque, nous préférons les préceptes de tel livre saint ou les dogmes de telle secte aux principes et symboles de la République française », les autorités de l’Education nationale se rendent complices de cette même montée en puissance de revendications communautaristes créatrice d’exaspération, de tensions et de tentations xénophobes au sein de la population française qui font finalement principalement le jeu du Front National. Qui s’étonnera encore dans ces circonstances que le Front National qui n’a traditionnellement jamais été un grand défenseur des fonctionnaires, encore moins des enseignants de l’école publique, s’active tellement depuis quelques temps à porter faussement secours aux enseignants victimes d’agressions, Marine Le Pen étant aujourd’hui la seule élue politique en 2010 à faire explicitement référence au rapport Obin sur les plateaux de télévision ? Voilà ce qui arrive quand aucun responsable de l’Education nationale, aucun ministre de l’Education nationale, aucun élu politique, aucune association de terrain ou presque n’a le courage de dénoncer les coups de couteau portés en plein cœur à notre école républicaine et laïque : le Front National s’engouffre dans la brèche de la dénonciation de l’irresponsabilité de ceux qui ont observé des silences obscurs sur le démantèlement progressif de l’école républicaine et laïque qui fut longtemps l’un des joyaux de l’identité française.
Le rapport Obin date de 2004. J’ai alors voulu vérifier si depuis 2004, la situation s’était ou non aggravée et le moins que l’on puisse dire, c’est que les témoignages que j’ai lus ne sont pas de nature à nous rendre optimistes. Deux exemples :
1/ Dans « L’école, témoin de toutes les fractures », Iannis Roder, professeur agrégé d’Histoire et de Géographie dans un collège, écrit en 2006 :
« De nombreux élèves des établissements classé en ZEP ou zone sensible de banlieue parisienne sont issus de familles dans lesquelles la religion est prégnante, voire omniprésente, et sert souvent de clef de compréhension du monde. De fait, les conceptions et croyances religieuses resurgissent régulièrement en classe. Que certains se fassent le relais des discours familiaux, rien que de très normal. Mais un réel problème surgit dans la manière dont ils en font état. Leurs propos sont systématiquement péremptoires et nulle discussion n’est possible avec certains d’entre eux pour peu qu’ils se sentent portés par le groupe. Pour un professeur d’histoire, par exemple, il ne s’agit pas de nier avec mépris leur foi, mais tout simplement de leur faire comprendre la différence entre le fait et la croyance. Or cette dernière a pour eux valeur de vérité absolue. Beaucoup sont incapables d’envisager que des hommes aient pu émettre des doutes sur les croyances et l’existence même de Dieu. Ils en arrivent parfois à tenir des propos violents à l’encontre des philosophes des Lumières et des critiques des religions. Un élève m’affirma un jour que s’il avait Marx et Lénine en face de lui, il les tuerait. La violence de certains propos n’a d’égal que l’incapacité à accepter non seulement les débats, mais également la différence. Les non-musulmans sont devenus, dans la bouche de quelques-uns, les "jambons frais", des "mangeurs de porcs", parfois des "sales Français". Le mépris s’affiche sans que jamais j’aie pu observer un élève d’une autre religion, quelle que soit son origine, opposer une protestation. »
Quelques lignes plus loin, l’enseignant donne alors un second exemple d’une scène également vécue par lui :
« Au début de l’année 2005, lors d’un cours sur la géopolitique du monde, deux jeunes filles de 3ème, après avoir tenu des propos violemment anti-israéliens, puis antisémites, reprenant à leur compte les vieilles antiennes sur le pouvoir des Juifs, justifièrent les attentats suicides à New York et en Israël. Je fis part à la classe de l’horreur que constitue le fait d’assassiner des hommes, des femmes et des enfants qui ne sont ni des militaires ni des combattants. A ma stupéfaction, les jeunes filles se mirent à rire. Rassuré, je pris donc cela pour de la provocation. En fait de provocation, l’une d’elle, qui comptait parmi mes meilleurs élèves, me répondit : "Mais monsieur, ce ne sont pas de civils, ce sont des Juifs et tous les Juifs sont coupables." Elle ajouta : "C’est la meilleure des choses qui puisse arriver, mourir enchahid." "Mais il n’y a rien de plus précieux que la vie !", rétorquais-je. "Mais Monsieur, moi j’aspire au paradis et c’est la mort enchahida qui m’y amènera." »
[« L’école, témoin de toutes les fractures » par Iannis Roder – Professeur agrégé d’Histoire et de Géographie – Novembre 2006/ Les Etudes du C.R.I.F, numéro 12 publié sur le site du C.R.I.F en février 2007.]
Personnellement, j’ai une interprétation différente de celle de cet enseignant au regard de ce qu’il considère être l’impact exclusif de la religion comme seul point de repère des familles dans lesquelles évoluent ses élèves, de nature à expliquer leurs rejets de l’enseignement de l’Histoire. Au vu du discours tenu par cette jeune fille de classe de 3ème, je m’interroge : parmi ces élèves, certains ne subissaient-ils pas de plein fouet ce que j’appelle le véritable "lavage de cerveau" que pratiquent sur un certain nombre de jeunes les groupuscules salafistes ou d’autres groupuscules religieux au pouvoir de nuisance tout aussi puissant, venus de l’étranger s’installer dans des quartiers réputés "sensibles" en France ?
Un Rapport sur le mouvement salafiste remis en février 2005 par la Direction Centrale des Renseignements Généraux à Dominique de Villepin alors Ministre de l’Intérieur en disait long tant sur les lieux d’implantation que sur les modes opératoires de ce mouvement. Ainsi, la DCRG nous apprenait qu’après s’être implantés dans le Nord-Pas-de Calais dès 1997, les prêcheurs salafistes avaient dès 1999 commencé à étendre leur influence dans plusieurs mosquées parisiennes : la mosquée Tarik-Ibn-Ziyad aux Mureaux (Yvelines), la mosquée As-Salam d’Argenteuil (Val d’Oise) ou encore la mosquée Al-Irchad d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Enfin, ce rapport précisait que le salafisme s’était étendu au cours des dernières années sur l’ensemble du territoire, notamment dans des villes moyennes comme Brest, Rouen ou Châteauroux.
Dernier point qui avait de quoi faire froid dans le dos : la DCRG expliquait comment les adeptes étaient sollicités au travers de conférences, de séances vidéo et le rôle majeur joué par Internet dans la constitution de réseaux reliant les régions les unes aux autres. En d’autres termes, n’importe quel adolescent qui baigne dans un univers où la religion est la seule "clef de compréhension du monde" peut très rapidement basculer dans un univers qui préconise la destruction de l’Occident et donc celle de ses références culturelles. Ce qui ne justifie en rien les comportements des élèves décrits par cet enseignant mais doit en revanche alerter de toute urgence notre classe politique sur la méprise que constitue la loi du silence d’une part, sur la vigilance et la fermeté que devraient témoigner tous les acteurs de l’Education Nationale dans de telles circonstances. Ce genre de témoignage pose en effet question quant au fond : en laissant faire, en ne sanctionnant pas systématiquement ces types de discours ou les comportements d’élèves qui refusent les enseignements de l’école républicaine laïque, ne cautionne-t-on pas indirectement et passivement l’ancrage dans les esprits de certains de nos adolescents puis finalement l’implantation silencieuse, insidieuse et sournoise dans l’enceinte de notre école laïque d’idéologies qui n’ont d’autre objectif que d’abattre la culture française, l’idéal républicain et son assise laïque ? Je crois que nous devons vraiment mener une réflexion en profondeur sur ce qui se cache en vérité derrière les discours de ces adolescents qui en rejetant les enseignements de l’école laïque française nous passent un autre message : « La philosophie des Lumières est à tuer, l’islam va conquérir Rome. »
Je sais que ce que j’écris là peut paraître excessif à ceux qui n’ont jamais été confrontés à ce genre de situation mais j’ai longuement réfléchi à ces sujets, écouté et/ou lu les témoignages de nombreux enseignants qui les ont vécues. Or, ils sont avant tout aussi stupéfaits que préoccupés, une fois le choc psychologique passé, de constater que certains élèves, à l’image de cette jeune fille de 3ème, parlent déjà en martyrs, "chahida" signifiant "témoin de la vérité". Est-ce le discours normal d’une adolescente de 15 ans ? Evidemment non.
2/ Constat et conclusions analogues de Véronique Bouzou qui écrit dans son remarquable témoignage "Ces profs qu’on assassine" :
« Le prof : en première ligne devant la montée du communautarisme.
Dans le même ordre d’idées, les enseignants ne sont ni des politiques, ni des religieux. Nulle récupération d’aucune sorte n’a sa place à l’école.
Pourtant, si un professeur se pose avant tout en défenseur de la laïcité et de l’universalité des savoirs, sa mission a du plomb dans l’aile. En effet, il est confronté à la montée du communautarisme, d’un certain fondamentalisme religieux et de la misogynie qui en découle.
Je me souviens de ma stupeur quand le père d’un élève avait refusé un jour de me serrer la main, sous prétexte que j’étais une femme !
De quel stratagème un professeur d’histoire doit-il user pour éviter une émeute en classe de terminale quand il aborde la question du conflit israélo-palestinien ? Tout simplement botter en touche en choisissant de traiter la question de rechange prévue dans les programmes d’histoire en terminale, à savoir la question de l’Amérique latine, bien moins "risquée" dans des établissements scolaires en plein cœur de ghettos urbains et où la cause palestinienne ravive un antisémitisme à peine larvé.
Et quand il s’agit d’aborder la partie du programme portant sur des textes fondateurs en sixième, comment un professeur de français doit-il réagir lorsqu’il constate que l’un de ses élèves musulmans se bouche les oreilles à la lecture d’un extrait de la Bible ? Comment fait-il pour lui expliquer que l’approche de ces textes en classe se limite à une étude purement littéraire et qu’en aucun cas, il n’est question de religion ? …….
L’Ecole pratiquerait-elle une autocensure déguisée, n’offrant plus les mêmes enseignements à tous ses élèves en fonction de la "relativité des savoirs" ? »
Face à ces constats alarmants et aux analyses personnelles que j’ai développées, vous me demandez : que doivent faire les enseignants, le Rectorat, le Ministère ?
En plein débat sur l’identité nationale, j’écrivais dans un article intitulé " A l’émission Mots Croisés, Elisabeth Lévy ose dire des vérités qui dérangent" (article paru dans Riposte Laïque le 16.11.09) :
« Il faudra donc bien qu’un jour dans notre pays, la France, un Ministre de l’Education Nationale au moins, ce serait mieux encore si c’était un Président de la République, peu importe du reste qu’il soit issu des rangs de la gauche, du centre ou de la droite républicaines, ait le courage de s’adresser en ces termes à la Nation concernant l’avenir de notre école républicaine, termes que je propose ici : "Face aux évolutions préoccupantes observées dans l’enceinte scolaire, le temps de la récréation est terminée. Désormais, nous ne perdrons plus de temps à tenter de convaincre les familles dont les enfants ou adolescents contestent, rejettent, vilipendent tant les programmes d’enseignement que l’autorité des enseignants, à se plier aux règles qui régissent l’institution scolaire laïque républicaine française. A partir d’aujourd’hui, les élèves qui n’accepteront pas ces règles ne seront plus inscrits au sein d’un établissement de l’institution scolaire publique. Ils devront par ailleurs répondre à l’obligation d’instruction prévue par nos textes en ayant le choix entre soit suivre un enseignement à distance sous contrôle des autorités de l’Education nationale habilitées à exercer ce suivi, soit s’inscrire dans une école privée."
Qui va avoir le courage de prononcer un jour, dans notre classe politique, les mots qui fâchent et rompre ainsi avec le discours lénifiant que nous entendons tous depuis trop longtemps et qui nous a collectivement conduits à constater les dérives décrites par le Rapport Obin ? Qui ? »
Je n’ai absolument pas changé d’avis sur ce sujet. Je sais par ailleurs que ce que je préconise choque parfois, voire déplaît fortement à tous ceux qui dans ce pays refusent de voir la réalité en face. Pour autant, je maintiens que la première des mesures à prendre est de restaurer l’autorité des enseignants dans l’exercice de leurs fonctions d’une part, de ne pas accepter le moindre écart en ce qui concerne la remise en cause directe ou indirecte des enseignements de l’école républicaine et laïque. Or, aujourd’hui et bien que tous les enseignants en exercice à l’Education Nationale n’osent pas toujours l’exprimer de peur d’être la cible de réflexions désobligeantes, voire de pressions de la part de leur hiérarchie, combien d’enseignants peuvent affirmer en toute transparence avoir été soutenus par leur hiérarchie quand un élève remet en cause ce qu’on lui enseigne à l’école ? Combien d’enseignants apprécieraient que la parole se libère enfin pour exprimer le sentiment de mal être, parfois de détresse qu’ils ressentent devant les agressions verbales répétées, les humiliation, voire les menaces reçues de certaines familles ? Croyez-moi, ils sont très nombreux à être dans ce cas mais une chape de plomb pèse sur la Maison Education nationale. Disons qua sans trop exagérer, tant qu’il n’y a pas de blessés ou de morts qui font la une des journaux à l’Education nationale, aujourd’hui l’institution croise les doigts pour que chaque enseignant "gère au mieux" sa classe, quitte à s’enfermer dans une solitude qui conduit à la dépression et parfois au suicide, mais du moment que le Rectorat ou le Ministère n’est pas éclaboussé par les scandales, pas de souci : les inspecteurs de circonscription, les inspecteurs départementaux, le Rectorat et le Ministère peuvent dormir tranquilles sur leurs deux oreilles, la maison fait mine de bien tourner, considérant que mieux vaut sans doute laisser tranquillement les enseignants prendre conscience par eux-mêmes qu’il est parfois préférable de céder aux injonctions insupportables de certaines familles qui ici refusent d’adresser la parole à une enseignante femme, là ne veulent pas voir leur garçon se baigner dans l’eau "impure" dans laquelle se baignent les filles à la piscine lors du cours d’éducation sportive, ici encore refusent de manger du porc à la cantine ….. Et je ne parle pas des insultes permanentes, parfois des lettres de menaces quand nous n’arrivons pas au coup de couteau pris par un enseignant mais à ce moment là, la machine Education nationale commence alors à se bouger de crainte de "la mauvaise pub" que véhicule la presse ! Mais au fait, savez-vous comment on appelle la démarche qui consiste à exposer des enseignants et parfois des élèves aussi qui auraient la "mauvaise idée" de s’interposer en cas d’agression d’un enseignant et s’exposeraient de fait aux représailles une fois sortis de l’enceinte de l’établissement scolaire des meneurs de classe évidemment tous plus sympathiques les uns que les autres, à laisser des enseignants s’enfoncer dans un désarroi qui les conduit à la dépression et parfois à des actes désespérés dont Véronique Bouzou a eu le courage de parler dans son livre ? On appelle cela très précisément de la "non assistance à personne en danger".
Malheureusement, c’est un leurre de penser que la Maison Education Nationale va tenir longtemps encore sur des piliers dont les fondements vacillent dangereusement depuis quelques années. Et pour tout vous avouer, c’est cela qui m’inquiète : je crains très honnêtement, vu le ras le bol qui gagne chaque jour un peu plus de terrain dans le monde enseignant, principalement du C.P aux classes de Terminale, que la machine ne finisse par imploser. Ce jour là, la France se mettra définitivement en mouvement.
Bonapartine.