Frapper ou ne pas frapper ? Conflit au sommet entre Netanyahou et Gantz,
au sujet du Chef de l’Air Force et de sa mission
Par Marc Brzustowski
Notre exergue pourrait aussi se lire comme : « Être ou ne pas être ? », impliquant les décisions essentielles qui devront être prises, cette année, face au danger nucléaire iranien.
Jusqu’à présent, on situait l’origine du conflit dans l’évaluation de la situation et le fossé qui se creuse entre Washington : favorable à un énième cycle de « négociations » avec Téhéran, et Jérusalem : lassé du retard des sanctions efficaces et certain que l’Iran noiera le poisson dans l’eau lourde pour atteindre le fait accompli.
Général-Major Amir Eshel
Le Yediot Aharonot nous apprend ce matin, 23 janvier, que le même type de désaccord se manifesterait, à l’occasion de la nomination du prochain chef d’Heyl Ha’avir, l’armée de l’air israélienne, entre le Premier Ministre et le Chef d’Etat-Major. Ce dernier réclame la confiance du gouvernement civil qui l’a lui-même promu à diriger toute question militaire. Il propose, à ce poste, l’actuel chef de la Branche de la Planification, Le Général-Major Amir Eshel. Or, celui-ci est, jusqu’à ce jour, réputé s’opposer à une frappe militaire contre l’Iran. Ce serait pour contrer ce risque de « couac » dans la chaîne de décision, que Bibi Netanyahou avancerait le nom de son principal conseiller militaire, le Général-Major Yochanan Locker, partisan de la Frappe. Celui-ci a, de ce fait, un accès illimité à tous les renseignements recueillis, afférant à la sécurité nationale. Les véritables positions de l’un et l’autre restent confidentielles et certains responsables militaires aiment à faire savoir que leurs visions sont identiques sur ce point crucial. Mais le fait que le Premier Ministre se soit ingéré dans le cours de cette désignation laisse penser qu’il craigne des réticences, si et quand la décision serait arrêtée…
Le Général-Major Yochanan Locker, l'homme de confiance de Bibi.
Il n’est pas question de se fier, ici, à ce qu’en pense la presse pour assurer d'arrière-pensées qui guideraient ces spéculations. Un avis porté à la connaissance du grand public n’est qu’un indicateur limité, quant aux processus qui se dérouleront en situation concrète, à l’instant « t ». De même, du fait de la tension croissante avec l’Administration Obama, on peut croire que, qui que ce soit, il s’agira aussi d’indiquer l’orientation qui prévaut, aux différents niveaux décisionnaires, politiques et militaires. L'enjeu est de taille.
Au même moment, les Etats-Unis et l’Europe tentent de dissiper les craintes de Jérusalem quant au manque de sérieux de l’Administration Obama, dans sa résolution à « stopper l’Iran », soit par le biais des sanctions, soit par tout autre moyen, militaire, au besoin : L’Abraham Lincoln, accompagné de 5 navires américains, britanniques et français, a franchi la « ligne rouge » fixée par l’Iran, il y a trois semaines : « plus de bâteaux « impérialistes » dans le Détroit d’Hormuz ». Cette remise des pendules à l’heure s’effectue, jusqu’à présent, sans incident. L’Union européenne a voté, ce matin, un package de sanctions « progressives » contre la Banque Centrale Iranienne et donc, les exportations pétrolières de l’Iran.
Parallèlement, l’évaluation des chercheurs Yoël Guzansky et Yonathan Lerner, de l’INSS affirme que les Etats-Unis feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher une action unilatérale israélienne contre les installations nucléaires iraniennes. En ce cas, l’Amérique menace Jérusalem d’une réduction drastique de leurs relations stratégiques. En contrepartie, elle offre la possibilité d’un pacte de Défense commune formel, voire l’entrée d’Israël dans l’OTAN. C’est, probablement, dans ce cadre que devaient se dérouler les grandes manœuvres Austere Challenge 12, et précisément pour sortir du « piège » pressenti, que Binyamin Netanyahou a choisi de les annuler, afin de ne pas lier les mains de la défense d’Israël au bon vouloir de Washington.
Depuis, c’est le Wait and See… dans la continuité des préparatifs israéliens. On peut aussi se demander si l’offre ne va que dans un sens, celui d’une sorte de « protection paternaliste » des intérêts israéliens par les Nations, mettant en danger la Doctrine Begin : à savoir la liberté totale d’action qui ne réfère qu’à la mesure des périls vécus par l’Etat Juif.
Une autre étude de l’Enterprise Institute affirme que, d’un autre côté, l’Armée américaine ne peut plus compter sur la Turquie pour mener des opérations au Moyen-Orient, a fortiori s’il s’agit d’actions contre l’Iran. Le discours de Rick Perry, lors de la course à la Présidentielle, contre l’AKP comme parti proche des terroristes, n’a pas arrangé cette perspective. Le candidat parlait en connaissance de cause, puisqu’il a été pilote déployé en Turquie, à Incyrlik. Ceci reviendrait à dire que l’US Army se verrait virtuellement confinée à ses porte-avions, aux bases du Qatar, du Bahrein, du Koweit et des Emirats… Au-delà d’une mésentente sur les enjeux et le timing, Obama n’a pas plus intérêt à déclasser Israël sur le plan stratégique, ni à passer, aux yeux des stratèges comme des électeurs, comme celui qui a renoncé devant l’épreuve de vérité.
L’autre dimension qui se profile, c’est que le monde ne s’arrête pas au Moyen-Orient. Dans l’ambition américaine, il se prolonge vers le Pacifique : tant sur le plan économique que stratégique, l’avenir du monde se dessine dans le mano-a-mano incertain entre l’Amérique et la Chine. Celle-ci est susceptible d’accuser Washington de transférer ses lourdes valises moyen-orientales vers l’Asie du Sud-Est. Elle évalue son « partenaire » et ses intentions conquérantes ou accommodantes en fonction des décisions prises à l’égard de l’Iran, notamment. Les pays d’Asie, dont la coopération est déterminante dans l’application ou l’inanité des sanctions, pensent qu’Israël et l’Arabie Saoudite sont les deux acteurs-clé, parce que les plus centralement menacés, de l’évolution du chaudron brûlant autour de Téhéran.
Le solo israélien, en ce sens, en même temps qu’il peut perturber l’agenda américain, peut aussi le soulager de la responsabilité d’avoir à choisir son heure. Washington pourrait se réfugier derrière une condamnation de la frappe, tout en menaçant Jérusalem de mesures de rétorsion, peut-être l’approuvant en sous-main, pour conserver la posture de « faiseur de paix » dont tend à s’auréoler Barack Hussein Obama. Sur le plan électoral, celui-ci pourrait bien y perdre ses soutiens juifs et pro-saoudiens au Sénat et au Congrès, favorisant l’élection d’un Président Républicain, qui aurait saisi l’opportunité de dénoncer la perte de prestige des Etats-Unis, l’absence de leardership du « Commander-in-Chief » et l’échec de sa politique économique et internationale.
Le jeu est donc serré et ouvert, au-delà même des risques de divorce stratégique. Et il n’y a pas que la question du nucléaire, mais tous les chemins détournés qui y mènent : d’Hormuz à Damas, en passant par Bagdad, Ankara et Beyrouth.
L'ennemi public n°1 des peuples du Moyen-Orient, Qassem Souleimani, futur Président et cauchemar de l'Iran?
La perspective de l’élection de l’actuel chef des Gardiens de la Révolution, Qassem Souleimani, à la présidence de l’Iran, à la place d’Ahmadinedjad, ne fait qu’électriser un peu plus l’atmosphère. Il a généré le scandale, dans tout le Liban comme en Irak, en déclarant, pour la première fois officiellement, ces deux pays comme de simples provinces-tampon de l’hégémonie iranienne. Ce n’est donc plus un secret de Polichinelle, Téhéran se servira de toute la région et des populations qui y résident comme « bouclier humain ». Cette prestation publique à risque influe négativement sur le prestige du Hezbollah, mis à mal dans diverses affaires de blanchiment d’argent, de trafic et de terrorisme à Bangkok. Nous sommes à l’heure où Moscou renforce ses liens stratégiques avec Bachar al-Assad, en pleine révolte contre son régime. Plusieurs dirigeants libanais, Walid Joumblatt, Amin Gemayel et Samir Geagea se sont rapprochés du Kurdistan irakien, montrant ainsi qu’ils jugent désuète la rhétorique du Hezbollah contre l’Occident et Israël, qu'elle mène à la gabegie économique et au fiasco politique. Joumblatt, en particulier, aurait tout à gagner à l’effondrement d’Assad, pouvant s’octroyer le rôle de nouvel émir transfrontalier des Druzes, des deux côtés, libanais et syrien, de la frontière.
Pour, l’opposition syrienne, la mission « humanitaire » de la Ligue Arabe ne fait qu’offrir plus de temps à Assad pour parachever son œuvre de destruction massive de son propre peuple. Dimanche, les troupes fidèles à Assad ont dû refluer d’une des villes périphériques de Damas, Douma, à 20 kms de la capitale, sous la pression des insurgés de l’Armée Syrienne Libre. De même, le Hezbollah est, de plus en plus, visible comme un faux-nez au milieu de la figure, dans la défense d’Assad : les rebelles l’accusaient la semaine dernière, de tirs de katiouchas contre la population civile, dans le secteur damascène. Un représentant des gardiens de la révolution iranienne n’hésite pas à gratifier la milice libanaise pour son intervention à Zubadani, dans la défense d’une base iranienne implantée à la frontière syrienne. Tandis que le Secrétaire-Général du courant du Futur libanais, Ahmad Hariri, a identifié que la garde prétorienne veillant sur Assad, lors de son apparition au Square Ommayad à Damas, était constituée de membres de la sécurité du Hezbollah. Un bus complet et 200 véhicules privés du Hezb. assurait la sécurité du Square. Guère plus probant, du côté des Perses : quatre camions iraniens bourrés d'explosifs chimiques ont été saisis à la frontière par les Turcs. Et l'Azerbaïdjan capture 3 hommes : Rasim Aliyev, Ali Huseynov et Balaqardash Dadashov, dont le dernier est un national iranien, envoyé par les Pasdaran à Bakou, pour exécuter des religieux juifs du réseau d'écoles du mouvement Habad, Loubavitch, en représailles de la perte de l'un de leurs experts atomistes...
La situation régionale étant des plus volatiles, les alliances sont en constante tendance au basculement. Une évolution imprévue ou plus rapide que prévue peut contrecarrer la planification, tant de Washington, Téhéran et Jérusalem, amenant l’un des belligérants non-officiels à entrer en action pour sauvegarder ses intérêts. Il est certain que la côte de popularité de l’axe de « la résistance irano-syrienne » est en chute libre au Levant et qu’elle aura grand mal à mobiliser les « rues arabes » dans une déclaration de conflit ouvert contre l’Occident et Israël. Même avec l’appui relatif des nouveaux bénéficiaires du « Printemps arabe » : les Frères Musulmans dont les intérêts sont à géométrie variable, selon que l’objectif est la prise du Caire… ou celle de Damas… Dans ce contexte d’érosion de l’habillage idéologique classique de l’anti-israélisme, une partie du jeu subtil qui se joue consiste aussi à laisser à l’Iran endosser le rôle de l’empêcheur de tourner en rond en Orient ; tout en conservant maîtrise et sang-froid, quant au timing précis pour suspendre le danger nucléaire qu'il brandit en forme de défi.