Question de sécurité et de "traçabilité" sanitaire, de risques potentiels d'usage de matériel obsolète. Qui contrôle quoi et dans quel but? L'ONU ou le Hamas?
Fribourg équipe Gaza sans le savoir
«De quoi vous me parlez ?» Hubert Schaller tombe des nues. Le directeur général de l'Hôpital fribourgeois semble tout ignorer de la présence de matériel médical provenant de son établissement dans le complexe hospitalier al-Chifa, le principal dans la bande de Gaza. «Je ne comprends pas ce que vous me dites», répète-t-il. «Non, je n'en sais rien. Il faut que je me renseigne auprès du responsable de la logistique.»
Et pourtant, des instruments chirurgicaux, des lits de consultation, du matériel pour la physiothérapie, des fauteuils de gynécologie, des lits pédiatriques, la plupart du temps obsolètes et mis au rancart, sont sur le point d'entrer dans ce bout de territoire palestinien tenu d'une main de fer par le Hamas.
«Nous avons récupéré ce matériel à l'Hôpital cantonal de Fribourg avant de l'installer dans des petits bus qui ont transité par le port de Gênes, il y a quelques jours», confirme Anouar Gharbi, porte-parole de Droit pour tous, une association pro-palestienne active à Genève. «Ils font partie d'un convoi d'une centaine de véhicules qui attend d'entrer à Gaza par la frontière égyptienne.»
C'est même le second envoi humanitaire effectué depuis la Suisse dans le cadre de la campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza, poursuit Anouar Gharbi. «La première, c'était en mai 2009.» A cette époque, le réseau suisse de solidarité avec Gaza, dont fait partie le conseiller national Josef Zisyadis (pop/VD), a réussi à faire passer une trentaine de bus et de camions avec, déjà, du matériel médical en provenance de l'Hôpital fribourgeois, site de Fribourg.
Du lourd en fait, puisqu'il s'agissait de blocs opératoires, de matériel chirurgical, de compresses... Encore une fois, Hubert Schaller ne sait rien de cette aide humanitaire. Sait-il tout de même que Gaza est sous embargo de la communauté internationale, que l'armée israélienne ne laisse rien passer dans la région ? Plus grave encore, est-il au courant que les islamistes du Hamas sont boycottés par la planète entière, ou presque ? Sait-il tout simplement qu'il est politiquement explosif, si les Israéliens saisissent du matériel médical fribourgeois à Gaza ? «Je vais me renseigner», coupe Hubert Schaller.
Après cinq jours de silence, la direction de l'hôpital a retrouvé trace dans ses archives d'une seule opération humanitaire qui remonte au mois de juillet 2008: le site de Fribourg avait alors offert 12 lits pour adultes et 3 lits pour enfants à l'organisation caritative HIOB International. Mais toujours rien sur Gaza. Finalement, Sébastien Ruffieux, secrétaire général de l'Hôpital fribourgeois, a reconnu hier que l'établissement a fait don de matériel à l'association Suisse-Tunisie Solidarité.
Mais le problème demeure: cette aide humanitaire sert les intérêts du Hamas, en guerre ouverte avec l'Autorité palestinienne. En contrôlant l'aide étrangère en provenance d'Egypte, le mouvement extrémiste peut récupérer l'initiative idéologiquement parlant. Et surtout veut doubler sur le plan humanitaire l'ONU, qui est la seule organisation censée coordonner les envois dans la bande toujours sous blocus israélien.
L'activiste tunisien Anouar Gharbi balaie ces arguments du revers de la main, en expliquant notamment que la Direction du développement et de la coopération suisse est également présente depuis longtemps à Gaza. «L'important, c'est que notre aide sauve des vies.» Mais comment a-t-il fait pour obtenir le matériel fribourgeois ? «Nous avons un contact à Fribourg qui a prospecté pour nous. Il s'est renseigné et a récolté les dons que nous avons acheminés à Gaza.» Donc, la piste de l'association Suisse-Tunisie Solidarité n'est pas loin.
En revanche, le porte-parole de Droit pour tous dément qu'il existe une cellule pro-Hamas à Fribourg, tout en avouant n'avoir pas insisté auprès du site hospitalier de Fribourg pour lui expliquer où allait débarquer ce matériel. Bref, l'affaire s'est réalisée dans un flou qui a bénéficié à l'association pro-palestienne.
«L'urgence est telle qu'il faut agir», poursuit Anouar Gharbi. «D'ailleurs, quatre Suisses attendent le feu vert des Egyptiens pour acheminer notre aide humanitaire et aller sauver des Gazaouis. Nous leur laisserons également les bus qui transportent le matériel médical.»
Mais n'a-t-il pas l'impression d'avoir roulé dans la farine l'hôpital de la ville de Fribourg ? «Non», répond le porte-parole de Droit pour tous. «Nous avons récupéré du matériel médical usagé. C'est tout. Et je peux vous affirmer qu'il sera bien utile à Gaza.»
Source: Sid Ahmed Hammouche, La Liberté - mercredi 21 octobre 2009