Manfred Gerstenfeld interviewe Betsy Gidwitz
Betsy Gidwitz
“ Vingt ans après l’effondrement de l’Union Soviétique, il n’y a que quelques dirigeants juifs laïcs qui sont sortis du lot en Russie. Le Va’ad, fondé en 1989, était la première organisation nationale authentique. Il avait pour but de représenter tous les Juifs présents en Union Soviétique. Cela dit, il n’avait aucun mandat pour cette mission et ses finances étaient limitées. Son rôle a pris fin avec l’effondrement de l’Union Soviétique.
“Par la suite, une nouvelle organisation Va’ad a vu le jour en Russie. Mikhaïl (Micha) Chlenov, un intellectuel et analyste des grandes tendances en Russie, en est la personnalité charismatique. Il conseille, aussi, d’autres organisations juives. Va’ad reste une petite opération située à Moscou. Il n’a pas développé de bureau exécutif laïc ni de soutien financier régulier. Les principales tâches de Va‘ad consistent à aider plusieurs associations juives à obtenir des subventions. Il représente, également, la Communauté Juive de Russie dans plusieurs arènes internationales juives ou sionistes. »
Le Dr. Betsy Gidwitz est consultante indépendante impliquée sur des sujets concernant les Etats post-soviétiques. Résidant actuellement à Chicago, c’est un ancien membre de l’Institut de Technologie de la Faculté du Massachusetts. Gidwitz est aussi membre du Bureau de l’Agence Juive pour Israël, où, en tant que dirigeante laïque, elle préside le comité supervisant ses activités parmi les Juifs russophones.
“Au cours des dernières années, se sont fondées de plus vastes organisations de coordination. La plupart ont été initiées et financées par des oligarques juifs, qui sont aussi leurs principaux dirigeants. Presque toutes revendiquent un mandat national, voire international. Par contre, très peu se préoccupent de construire une base d’adhérents ou un bureau de dirigeants opérationnel.
“Le Congrès des Juifs de Russie (CJR) a été l’une des premières de ces organisations conduites par un oligarque. Il a été créé en 1996 par Vladimir Gusinsky, qui a, par la suite, été contraint à l’exil par le Kremlin. Le CJR est, à présent, dirigé par Yuri Kanner, un homme d’affaires moscovite. Son prédécesseur était Vyecheslav (Moshe) Kantor, qui est ensuite passé à autre chose, pour devenir Président du Congrès Juif Européen. La fortune de M. Kantor, en tant que magnat de l’engrais, a été un facteur essentiel de sa rapide ascension.
“Le CJR poursuit un agenda centré sur le soutien et le développement des études académiques juives russophones, des projets d’action sociale juive à Moscou et St Petersbourg, des programmes sélectionnés du Grand Rabbin de Moscou Pinchas Goldschmidt, et de culture générale juive comprenant un petit centre communautaire juif à St. Petersbourg. Le CJR se perçoit aussi comme la voix nationale de la communauté juive de Russie.
“Bien qu’il se soit établi comme une organisation d’envergure nationale, son rayon d’action effectif se concentre essentiellement sur Moscou et St. Petersbourg, où résident la majorité des Juifs Russes. Le CJR n’a pas encore développé la capacité de prendre en compte l’ampleur des besoins communautaires de la population juive russe.
Une évolution encourageante de ces dernières années a été la croissance du Groupe Philanthropique de la Genèse, une entité semblable à une fondation, soutenue par un petit groupe de Juifs Russes aisés. Le GPG ne réalise pas ses propres activités, mais procure une assistance financière significative à différentes organisations parrainant des programmes de reconstruction identitaire juive parmi les adolescents et jeunes adultes juifs russophones dans les états anciennement soviétiques, la diaspora juive russophone et en Israël. Le GPG est géré selon les normes occidentales de responsabilité.
Une autre organisation qui présage de solides espoirs pour l’avenir, correspond au développement des Maisons Moishe, dans plusieurs villes post-soviétique : ce sont des résidences pour de petites associations de jeunes adultes qui reçoivent une assistance sous forme de logements subventionnés, en échange de la réalisation fréquente de programmes juifs ayant pour objectif d’attirer leurs pairs vers des activités juives. Les activités caractéristiques de la Maison de Moishe comprennent des dîners de Shabbat, des clubs du livre juif, des groupes de discussion autour de thèmes juifs, et quelques programmes hors-site plus larges.
“Après plus de trois générations de culture politique autoritaire soviétique, on trouve difficilement des Juifs de notre époque contemporaine post-soviétique, qui savent comment –et comprennent même tout simplement la nécessité de – construire le consensus, respecter les points de vue minoritaires et favoriser le sens des responsabilités. Pas plus qu’ils ne savent comment travailler dans un environnement composé autant par des équipes professionnelles que des volontaires. Les chefs de l’oligarchie qui sont les titulaires des associations de coordination juives russophones se voient attribuer des rôles dirigeants en échange de leur soutien financier. On comprend mal les situations de conflit d’intérêt qui surgissent. La succession dans le rôle de dirigeant, lorsqu’elle a eu lieu, n’est, habituellement, que le transfert de pouvoir d’un oligarque à l’autre, sans autre procédure prévue.
“Dans la plupart des cas, les oligarques qui apportent l’écrasante majorité des fonds opérationnels de l’association qu’ils représentent, la conçoivent comme leur propriété privée. Leurs conseils d’administration sont souvent incompétents. Les concepts élémentaires de besoins et obligations d’un programme sont hors d’atteinte, pour une population qui a peu de sens de la communauté ou de la responsabilité mutuelle. Cela laisse le champ grand ouvert aux organisations juives internationales, dont les plus prééminentes sont le Jewish Joint Distribution Committee et l’Agence Juive pour Israël ».
Goidwitz conclut : “ Beaucoup qui se trouvent dans des positions courantes d’autorité au sein des communautés juives de Russie sont perçus comme tenant la plus large partie de la population juive otage de leurs egos, de leurs intérêts financiers et de leurs besoins d’obtenir les faveurs de personnages politiques locaux ou nationaux. Peu de dirigeants juifs qu’on puisse nommer comprennent la nécessité de se lancer dans une planification sérieuse –ou de construire un vrai consensus.
“Cependant, plusieurs programmes relativement nouveaux, portant la focale sur la construction de la communauté juive parmi les jeunes adultes juifs tiennent leurs promesses d’un meilleur avenir juif, assurant que les Juifs Russophones sont capables de développer la collecte de fonds et des capacités de management financier dans l’environnement politique russe incertain ».
Le Dr. Manfred Gerstenfeld préside le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.
Adaptation : Marc Brzustowski.