La Turquie a bombardé mercredi des cibles situées en territoire syrien en représailles à des tirs d'obus venus, également aujourd'hui, de Syrie qui ont provoqué la mort de cinq civils dans une localité frontalière de Turquie, a annoncé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan.
"Cette attaque a fait l'objet d'une riposte immédiate de nos forces armées (...) qui ont bombardé le long de la frontière des cibles identifiées par radar", a indiqué M. Erdogan dans un communiqué.
Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu s'est, de son côté, entretenu avec le secrétaire général de l'Otan Andres Fogh Rasmussen et "il a été décidé que l'Otan réunirait son conseil très prochainement", a précisé M. Erdogan.
Les obus tirés du côté syrien de la frontière ont également blessé neuf personnes dans la localité d'Akçakale, située dans le sud-est de la Turquie, a indiqué le maire de ce village, cité par les chaînes de télévision. "Parmi les trois morts se trouve une femme et un enfant de 6 ans", a dit le maire Abdülhakim Ayhan, sur la chaîne télévisée d'information CNN-Türk. Il a expliqué que des obus avaient atterri sur une habitation, provoquant ce lourd bilan.
"Il y a une colère dans notre localité envers la Syrie", a expliqué le maire, soulignant que sa localité avait été régulièrement touchée ces dix derniers jours par des balles perdues et des obus tirés dans les combats sporadiques qui opposent l'armée fidèle au président syrien aux rebelles autour du poste-frontière syrien de Tall al-Abyad.
Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu a convoqué une réunion d'urgence au ministère des Affaires étrangères après l'incident, a-t-on appris de source informée. Il s'agit d'un "incident très grave qui dépasse les bornes", a déclaré, de son côté, le vice-Premier ministre turc Besir Atalay dans des déclarations retransmises par les chaînes de télévision turques. Il a qualifié le bombardement d'"incident très grave".
Réactions internationales
Cet incident a provoqué une vague de réactions de la part de la communauté internationale. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a ainsi demandé au gouvernement syrien de "respecter totalement l'intégrité territoriale de ses voisins". Selon M. Ban, cité par son porte-parole, cet incident "démontre que le conflit en Syrie (...) a de plus en plus un impact négatif sur les voisins" de Damas.
Les Etats-Unis se sont dit "indignés" par le tir d'obus depuis la Syrie, a déclaré mercredi la secrétaire d'Etat Hillary Clinton. "Nous sommes indignés que les Syriens aient tiré de l'autre côté de la frontière (...) et nous déplorons les pertes en vies humaines du côté turc", a dit Mme Clinton lors d'un point de presse.
Ce nouvel événement dans le conflit syrien est, aux yeux de la secrétaire d'Etat, "très, très dangereux" et elle doit s'en entretenir avec son homologue turc.
La France a, pour sa part, "fermement" condamné l'incident et affirmé sa "solidarité" et son "plein soutien" à son allié turc, a indiqué le ministère des Affaires étrangères.
Le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a aussi exprimé sa "ferme condamnation" à la suite des tirs en provenance de Syrie, a déclaré mercredi à l'AFP une porte-parole de l'Alliance atlantique.
Cet incident est le plus grave entre la Turquie et la Syrie depuis la destruction d'un avion militaire turc par un missile syrien en juin.
Attentats à Alep
Parallèlement, en Syrie, au moins 37 personnes selon des sources officielles, peut-être 48 selon une ONG, ont été tuées et des dizaines d'autres blessées mercredi dans l'explosion de trois voitures piégées en plein coeur d'Alep, la grande ville du nord du pays que se disputent depuis plus de deux mois rebelles et forces gouvernementales.
"Le bilan pourrait s'alourdir car il y a beaucoup de blessés graves", a précisé à l'AFP un responsable de la deuxième ville de Syrie, sous le couvert de l'anonymat.
Deux voitures ont d'abord explosé à une minute d'intervalle, dans deux rues proches d'un club d'officiers donnant sur la célèbre place Saadallah al-Jabiri, en plein coeur de la ville, a affirmé une source militaire à l'AFP. Une troisième a explosé à Bab Jnein, à 150 mètres de la place, à l'entrée de la vieille ville, théâtre d'âpres combats depuis plusieurs jours.
Sur la place, le correspondant de l'AFP a vu, près du club des officiers, une partie de la façade d'un hôtel détruite et les deux étages d'un café effondrés. L'un des blessés dans la zone avait le visage couvert de sang.
"On a entendu deux explosions énormes, c'est comme si les portes de l'enfer s'ouvraient", a raconté à l'AFP Hassan, un employé d'hôtel de 30 ans. "Je suis sorti, j'ai vu une fumée épaisse puis je suis venu en aide à une femme, grièvement blessée aux bras et aux jambes", a-t-il ajouté.
"J'ai sorti des décombres un enfant de moins de dix ans qui a perdu une jambe", a indiqué de son côté un commerçant dont l'échoppe est située à une rue du club des officiers.
Qualifiant ces attentats de "terroristes", la télévision officielle al-Ikhbariya a montré d'énormes destructions sur la place, avec au moins deux immeubles totalement effondrés et des cadavres recouverts de débris. Depuis le début de la révolte contre le régime de Bachar el-Assad en mars 2011 qui s'est transformée au fil des mois en guerre civile face à la répression, les autorités assimilent les rebelles à des "terroristes" soutenus par l'étranger. La série d'attentats n'a pas été revendiquée dans l'immédiat.
L'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) a, pour sa part, fait état, d'au moins 48 tués, en majorité des militaires, et près de 100 blessées. "Les explosions ont visé un club d'officiers et des barrages de l'armée régulière", a indiqué l'ONG, en citant des sources médicales. Les voitures piégées ont explosé après des affrontements entre des rebelles et gardes du club des officiers, a précisé l'ONG basée en Grande-Bretagne.
Par ailleurs, les rebelles ont attaqué au mortier les installations de la sécurité politique à Alep ainsi qu'un ancien marché aux légumes où sont positionnés de nombreux soldats, rapporte l'OSDH, sans faire état de bilan. Dans la nuit, les rebelles ont également détruit deux chars. De violents combats ont en outre éclaté dans plusieurs secteurs de la métropole.
La série d'attentats intervient moins d'une semaine après l'annonce par les insurgés du lancement d'une attaque "décisive" pour prendre le contrôle de la grande ville du nord. Le week-end dernier, de violents combats ont éclaté aux abords des souks d'Alep, joyau historique au centre-ville.
( Lire aussi : A Alep, les commerçants pleurent leur souk détruit par les flammes)
Les rebelles "attaquent désormais les troupes du régime au coeur d'Alep", a affirmé à l'AFP Rami Abdel Rahmane, président de l'OSDH. "Avant, le centre était épargné, aujourd'hui, on peut dire qu'à part quelques rares quartiers, Alep n'est plus une ville sûre". Il a signalé qu'"il y a un an, un million de personnes manifestaient en faveur du régime sur cette même place Saadallah al-Jabiri". "Ca fait partie de la bataille décisive et le régime ne peut pas dire qu'il contrôle la ville", précise M. Abdel Rahmane.
Déploiement sécuritaire aux entrées de Damas
Au moins 15 soldats ont par ailleurs été tués dans des attaques rebelles et des combats dans une localité de la province d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, rapporte l'OSDH.
Plus au sud, des journalistes de l'AFP ont fait état d'un déploiement sécuritaire inhabituel aux entrées de la capitale Damas, théâtre également d'âpres combats depuis la mi-juillet.
Le quotidien officiel al-Baas avait annoncé mardi que la fin prochaine des opérations de sécurité dans l'ensemble de la province de Damas.
Sur le terrain, l'armée syrienne a concentré hier sur action dans la province de Damas, en particulier à Douma.
Au moins 16 personnes, dont trois enfants et cinq femmes, ont également trouvé la mort quand l'armée syrienne a bombardé Sahn, un village de la province de Hama (centre), a-t-on appris auprès de l'OSDH. Une vidéo amateur présentée comme tournée mercredi à Sahn montre une jeune mère pleurant la mort de son fils, littéralement coupé en deux par le bombardement. La vidéo montre également une autre femme pleurant, penchée sur le cadavre de son enfant.
En 18 mois de conflit en Syrie, plus de 31.000 personnes ont péri, en majorité des civils, selon un nouveau bilan de l'OSDH, qui s'appuie sur un réseau de militants et médecins. Mardi, les violences ont fait au moins 104 morts, dont 57 civils, à travers le pays, selon un bilan provisoire de l'OSDH.
Nouvelles déclarations de l'ancien Premier ministre
Dans ce contexte, le médiateur international Lakhdar Brahimi va retourner dans la région cette semaine pour s'efforcer d'obtenir un arrêt des bombardements par Damas, et en retour une réduction des violences de la part des insurgés.
Riad Hijab, ancien Premier ministre syrien qui a fait défection début août, a par ailleurs déclaré à la chaîne de télévision al-Arabiya que le président Bachar el-Assad a rejeté la demande d'une solution pacifique faite par de hauts responsables du régime après l'attentat qui a coûté la vie à plusieurs piliers du clan dirigeant en juillet dernier à Damas.
M. Hijab a expliqué que la mort du ministre de la Défense, le général Daoud Rajha, et du beau frère du président également vice-ministre de la Défense, Assef Chawkat, dans l’attentat de Damas, l'avaient persuadé qu'il n'existait pas de solution militaire à la crise. Il a dit avoir rencontré des hauts responsables du régime, dont le vice-président Farouk al-Chara, les dirigeants du parlement et le secrétaire général adjoint du parti Baas au pouvoir, et s'était mis d'accord avec eux pour demander à Bachar el-Assad d'entamer des discussions avec l'opposition.
"Bachar a accueilli cela par un refus catégorique. Il a refusé toute forme de dialogue avec l'opposition, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, et a dit +Je ne négocie pas avec une opposition divisée. Ce n'est pas une opposition patriote et elle est armée+", a rapporté Hijab. "Ce fut un choc pour chacun d'entre nous et nous avons quitté le palais. J'ai complètement perdu espoir, en particulier dans les derniers jours, lorsque l'Armée syrienne libre a pris le contrôle de près de 70% d'Alep", a-t-il ajouté.
Reportage
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