Par Maître Bertrand Ramas-Mulhbach
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Le 11 janvier 2012, la Cour Suprême israélienne a rejeté le recours présenté contre la Loi du 31 juillet 2003, qui interdit le regroupement familial des palestiniens mariés à des arabes israéliens, c'est-à-dire l’installation en Israël des palestiniens originaires des Territoires de Cisjordanie ou de Gaza qui se marient à des arabes israéliens ou à des résidents palestiniens vivant en Israël. Cette loi, dont le terme était, à l’origine, fixé au 31 août 2004, est régulièrement reconduite d’année en année. Elle était, à l'origine, motivée par des impératifs de sécurité puisqu’entre 1993 et 2003, plus de 100 000 palestiniens ont obtenu le droit de s’établir sur le territoire israélien, permettant à des terroristes palestiniens de se livrer librement à leurs activités anti-israéliennes sur le territoire juif.
La décision de la Cour Suprême a, logiquement, été diversement appréciée. Pour la députée de la gauche israélienne, Zeava Galon à l’origine du recours (tout comme pour les organisations israéliennes qui se qualifient « de défense des droits de l’Homme »), cette loi est discriminatoire pour les citoyens arabes israéliens directement concernés par les mariages avec des résidents des territoires de Cisjordanie ou de Gaza. Aussi, la députée a particulièrement mal accueilli la décision qui signifie pour elle : « si vous voulez vous marier avec un ou une Palestinienne vous n'avez qu'à partir ». Elle reproche essentiellement à l’institution d’avoir failli à sa mission : « La Cour suprême a failli à son devoir de défense du principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi et de lutte contre le racisme, et a cédé aux pressions de la majorité de droite au Parlement ». De même, pour l’association arabe Adalah, « La Cour suprême a approuvé une loi dont l'équivalent n'existe dans aucun Etat démocratique au monde, qui prive les citoyens d'une vie de famille en Israël sur la seule base de l'appartenance ethnique ou nationale de leur conjoint ». Voire encore pour l'Association pour les droits civiques en Israël (ACRI) : « C'est un jour noir pour les droits de l'Homme et la Cour suprême ». Notons que même la Présidente de la Cour Suprême, Dorit Beinish (qui a voté en faveur du recours) estime : « toute atteinte à la vie des familles met en cause le principe d'égalité ».
Inversement, le juge Asher Dan Grunis, (qui brigue la présidence de la Haute Cour) a justifié dans ses attendus : « la défense des droits de l'Homme ne doit pas aboutir à un suicide national, les impératifs de sécurité devant primer sur la défense des droits de la famille ». De même et sur un plan national et identitaire, le Ministre de l'Intérieur Eli Yishaï a rappelé : « La sécurité nationale ne doit pas seulement être envisagée sous l'angle de la lutte contre le terrorisme, mais aussi démographique afin de ne pas mettre en cause la majorité juive au sein de l'Etat d'Israël ». Notons enfin que certains juristes sont partagés comme Claude Klein, Professeur de droit à l'Université hébraïque de Jérusalem, pour qui la décision a « des relents de racisme, même si elle a une justification d'ordre démographique et surtout de sécurité ».
La question mérite donc d’être posée de savoir si Israël, qui se définit comme Etat juif et démocratique, privilégie sa judaïté au détriment de son caractère démocratique ou si, inversement, c’est le principe même du regroupement familial qui s'avère être, dans son application, anti-démocratique. En effet, la Loi fondamentale du 7 mars 1992 sur la liberté et la dignité précise dans son article 7 que toute personne a droit au respect de sa vie privée et de son intimité. Ainsi, et théoriquement, comme les Lois internationales relatives aux droits de l’Homme font figurer le regroupement familial parmi les prérogatives individuelles, il devrait profiter à tous les ressortissants de l’Etat juif. Le mécanisme est en réalité utilisé à d'autres fins.
Initialement, le regroupement familial avait pour vocation de permettre à des personnes issues de pays différents de poursuivre ensemble leur vie maritale, dans le pays de leur choix. Des personnes liées sentimentalement ne sauraient, en effet, se voir refuser la possibilité de poursuivre leur histoire d’amour dans le pays de résidence d’un époux, conformément à un principe découlant des droits de l’homme.
En réalité, il est observé dans les pays démocratiques, une application curieuse du regroupement familial. Le procédé est le suivant : des personnes étrangères en situation régulière dans un Etat démocratique, retournent dans leur pays d’origine pour trouver un conjoint et le faire venir dans le pays de résidence. Le conjoint étranger bénéficie alors d’une régularisation de sa situation administrative dans le pays démocratique. Puis, après une ou plusieurs naissances d’enfants, les époux divorcent (hélas très fréquemment) avant que chacun d’eux ne retournent dans le pays d’origine pour trouver un nouveau conjoint dont ils vont régulariser la situation par ce même mécanisme du regroupement familial dans le pays d’accueil. Une nouvelle progéniture pourra alors de nouveau grandir en toute quiétude… En somme, le regroupement familial devient un mode d’immigration régulière offert à des personnes qui en réalité, n’avaient aucune raison d’en bénéficier.
Ce mode opératoire pose techniquement de nombreux problèmes. Tout d’abord il détourne le principe du regroupement familial de sa vocation initiale. Ensuite, il occasionne un coût considérable puisqu’il met à la charge du pays d’accueil le coût des naissances avec les allocations familiales, le coût des soins avec les systèmes d’assurance maladie et désormais, par exemple en France, le coût de la circoncision avec la Loi de la députée Valérie Boyer qui la fait supporter par la Sécurité Sociale (en dépit de l’atteinte au principe de laïcité). En outre, le mécanisme entraîne à très court terme un déséquilibre démographique et une faille dans le concept de nation avec de nouveau débats comme celui des présidentielles de 2012 en France concernant l’insertion d’une nouvelle fête nationale pour "l’aid el kebir" alors que la fête du 14 juillet serait supprimée (sic). Il favorise enfin la mise en place d’organisations qui perçoivent des fonds considérables pour organiser ces « étranges histoires d’amour »...
Dans de nombreux pays européens, le déséquilibre démographique qui en résulte devrait prochainement les conduire à une situation voisine de celle de la Palestine mandataire du début du XX° siècle, lorsque les Juifs sont arrivés en masse, compte tenu de la promesse faite d’y fonder un foyer national juif. Une population non nationale devient ainsi majoritaire, avec son système de valeurs, de culture et de culte, ce qui permet d’entrevoir une scission de la société (et sa plongée dans le chaos), dans la mesure ou la système démocratique confère le soin de légiférer au plus grand nombre, et donc d’opter éventuellement dans le futur, pour l’instauration de républiques islamistes (modérées bien entendu).
La question philosophique se pose alors non plus sur un plan national mais au niveau de la planète : est-il préférable de permettre au plus grand nombre de s’établir au sein des Etats démocratiques pour bénéficier du gîte et du couvert, de la sécurité sociale, et des moyens de subsistance, grâce au procédé détourné dit du "regroupement familial", ou au contraire, faut-il privilégier les racines historiques de l’Etat d’installation. En Europe, de nombreux pays ont, collectivement, décidé de rompre avec leurs traditions nationales, culturelles et identitaires, au profit des institutions de l'Union Européenne. Ils devraient (à court terme) en supporter les conséquences néfastes.
La Cour suprême israélienne a fait, pour sa part, le choix pragmatique inverse de privilégier l’identité historique nationale juive au détriment d’un principe qui se dit démocratique mais qui, dans son application, ne l’est pas. Sa décision (qui pourrait être prochainement adoptée dans d'autres pays démocratiques), se doit donc d'être respectée.