Si la démission du ministre du Travail, Charbel Nahas, présentée mardi 21 février au général Michel Aoun - et non au Premier ministre Najib Mikati comme l’exige la Constitution - n’a pas entraîné celle du gouvernement, c’est que ce dernier demeure une nécessité syrienne. Nahas s’était rebellé contre le gouvernement et contre le président de la République, en refusant de signer un décret relatif aux indemnités de transport au profit des salariés. A Beyrouth, des rumeurs affirment que la démission de Nahas résulte de la perte de l’appui de son parrain syrien Bahjat Sleimane, un ancien patron des renseignements, plus préoccupé actuellement par la situation en Syrie que par la carrière de ses protégés !
Au-delà de ces rumeurs, la chute de Charbel Nahas confirme que le général Michel Aoun l’a sacrifié pour protéger son propre gendre, le ministre de l’Energie, de l’Electricité et des Ressources en eau, accusé d’implications dans le scandale du gasoil subventionné, et suspecté de vouloir introduire les Iraniens au Liban. Mais en sacrifiant Nahas pour protéger son gendre, Michel Aoun a suscité une vague de protestations au sein même de son courant. Ses partisans ont désormais la certitude qu’il est « digne d’aucune confiance ».
Le mini-remaniement attendu au gouvernement l’aura empêché de démissionner, et aura prolongé sa durée de vie conformément aux intérêts syriens. Car, de l’aveu même des principaux dirigeants de la majorité hétéroclite, composée du Hezbollah, du Mouvement Amal de Nabih Berri et du Courant Patriotique Libre (CPL) du général Aoun, ainsi que d’une multitude de groupuscules idéologiques mais microscopiques liés à la Syrie, « la chute du gouvernement est une ligne rouge que le Premier ministre ne peut pas franchir ». Ce qui explique que, depuis plusieurs semaines, le gouvernement divisé et paralysé est interdit de démissionner !
De fait, le maintien du gouvernement Mikati, en l’état, reste une nécessité impérieuse pour la Syrie. Damas redoute le retour des souverainistes aux affaires, avec les conséquences que cela pourrait avoir sur l’évolution de la situation en Syrie. Le régime de Bachar Al-Assad peut en effet compter sur le gouvernement Mikati et sur l’armée, placés sous l’influence du Hezbollah et bénéficiant de la couverture chrétienne de Michel Aoun (et accessoirement du Patriarche maronite) pour empêcher les civils syriens de fuir les massacres collectifs et de se réfugier au pays du Cèdre.
Rappelons que depuis son retrait du Liban, la Syrie a systématiquement refusé la délimitation et la sécurisation des frontières avec le Liban, de façon à continuer à fournir illégalement des armes au Hezbollah. Aujourd’hui, Damas affirme être victime de la porosité des frontières, et réclame des mesures mais à sens unique : « interdire la fuite des Syriens vers le Liban, lutter contre l’entrée en Syrie d’aides humanitaires et éventuellement militaires, mais autoriser aux combattants du Hezbollah d’entrer en Syrie pour aider le régime à réprimer ». Bien que paralysé, le gouvernement actuel est idéal pour exécuter les ordres de Damas.
L’apesanteur qui règne au Liban a également permis à l’ambassadeur de Syrie à Beyrouth de réunir, ce jeudi, les alliés inconditionnels de Damas pour réitérer leur soutien à la dictature de Bachar Al-Assad, et pour critiquer les ingérences extérieures en Syrie, prenant pour cible la Conférence de Tunis, prévue demain. Ce faisant, le régime syrien exploite le Liban contre la communauté internationale et accentue les divisions inter-libanaises. Plus que jamais, la ligne de démarcation entre le régime syrien et ses opposants se prolonge au Liban et sépare les souverainistes, toutes confessions confondues, et les pro-syriens.
Le maintien en place, à Beyrouth, d’un gouvernement inefficace et dangereux pour le Liban, est une nécessité syrienne, permettant à Bachar Al-Assad de disposer du pays du Cèdre comme bon lui semble. Il pourra y placer ses richesses en prévision de sa chute, y abriter ses proches sur le chemin de l’exil, le pulvériser pour exporter sa crise... A titre d’exemple, plusieurs hauts dirigeants syriens ont d’ores et déjà acheté de luxueux appartements dans le quartier Jnah, au sud de Beyrouth, en bordure du fief du Hezbollah, pour mettre leurs familles à l’abri. Certains partisans du général Aoun finissent par admettre les erreurs du CPL depuis la signature de son accord stratégique avec le Hezbollah et son alignement sur Assad. Ils regrettent qu’ils ne peuvent plus remonter l’histoire et corriger le tir. Pour conclure, ils constatent que les Syriens, sortis par la porte en 2005, reviennent par la fenêtre en 2012, grâce en partie à leur champion.
Stefano B.C.