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22 novembre 2010 1 22 /11 /novembre /2010 08:15

 

 

 

Les malheurs de l'Arabie heureuse - le cas Yéménite

Par Stéphane Mantoux



Arabia Felix, où Arabie Heureuse : c'est ainsi que les Romains désignaient l'actuel Yémen, et en particulier l'ancien Yémen du Nord, terre d'origine du phénix, dont les beautés avaient été célébrées par Ovide ou Virgile. Une Arabie Heureuse qui associe le monde arabe à la fertilité, un lieu commun encore utilisé par Aimé Césaire en 1944. Mais entendons-nous bien : cette image renvoie aux bédouins parcourant la région avant l'arrivée de l'islam, au mythe du royaume de Saba de la Bible, dont la reine avait rencontré le roi Salomon. La représentation ne change qu'avec l'oeuvre de Paul Nizan, Aden Arabie (1931) qui dresse un tableau un peu moins rose de l'Arabie Heureuse, dans un ouvrage que d'aucuns comparent au Déclin de l'Occident de Spengler. 

Aujourd'hui le Yémen inquiète : l'attentat manqué contre le vol de la Northwest Airlines le 25 décembre 2009, revendiqué par la branche d'Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique, a attiré l'attention sur cet Etat, l'un des plus pauvres de la planète et le plus pauvres du monde arabe, et qui serait devenu le nouveau foyer du terrorisme islamiste dans le Golfe. Comme le disait un article de Foreign Policy1, le Yémen a, grâce à cet événement, connu ses 15 minutes de gloire dans les média, avant que d'autres préoccupations prennent le relais dans l'actualité. 

De fait, si la menace s'est considérablement accrue depuis 2006, on est en droit de se demander s'il s'agit de la priorité absolue pour le Yémen et les Occidentaux. Car ce petit pays à l'histoire tourmentée, qui a mis près d'un siècle à se réunifier, traverse aujourd'hui de graves difficultés qui débordent le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme » consécutive aux attentats du 11 septembre 2001.
Cette série d'articles se veut une rapide mise au point sur la question, en commençant par un rappel des faits, du point de vue de l'historien.










Le long chemin vers l'unité 







Le Yémen a connu longtemps la colonisation : le Royaume-Uni s'empare du Sud en 1834, tandis que le Nord est incorporé de longue date dans l'Empire ottoman, puis à l'Arabie Saoudite. Cette partition liée à la colonisation reste vivace au moment de la décolonisation : le Yémen du Nord, indépendant de l'Arabie Saoudite dès 1934, est admis à l'ONU en 1947 ; le Yémen du Sud obtient son indépendance en 1963 et entre à son tour à l'ONU en 1967 2




Le sentiment national yéménite surgit au début des années 1960 : coup d'Etat républicain, antimonarchique, au Nord, en septembre 1962 et lutte anticoloniale, libératrice, en octobre 1963, au Sud 3. Certains historiens font aussi remarquer la persistance d'un Etat central au Yémen, sous la forme de l'hégémonie de confédérations successives de tribus. Malgré les ingérences étrangères souvent présentes dans l'histoire du Yémen, il y a donc bien un semblant d'autorité politique.

Le Yémen (1994).Le Monde Diplomatique.



Le Yémen du Nord (République Arabe du Yémen, ou RAY, jusqu'en 1990) est le plus peuplé, mais le moins étendu. Il a fait partie de l'Empire ottoman, puis de l'Arabie Saoudite jusqu'à son indépendance en 1934. Il est dominé par l'imamat théocratique zaydite 4, réimposé après le départ des Turcs en 1918. Pendant quelques années (1958-1961), il fait partie de la République Arabe Unie créée par l'Egypte et la Syrie. Les premiers troubles politiques du Yémen du Nord surviennent en 1962 lorsque la monarchie est renversée par un coup d'Etat républicain : la guerre fait rage jusqu'en 1970. La guerre civile au Nord entre 1962 et 1970 opposant les républicains, soutenus par l'Egypte de Nasser, et les monarchistes appuyés par l'Arabie Saoudite et la Jordanie, est un des conflits régionaux majeurs de la guerre froide. Les républicains l'emportent finalement et installent un nouveau régime politique, bientôt renversé par les militaires en 1974, qui installent un parti unique au pouvoir. De nombreux coups d'Etats perturbent la vie politique du pays. Il faut attendre l'avènement d'Ali Abdallah Saleh, qui est toujours l'actuel président du Yémen, en juillet 1978, pour que la RAY retrouve un semblant d'ordre. Le Yémen du Nord fait partie de la Ligue Arabe depuis 1947, mais il entretient des relations difficiles avec l'Arabie Saoudite, qui a toujours cherché à contrôler cette région. 




Le Yémen du Sud (République Démocratique et Populaire du Yémen jusqu'en 1990, ou RDPY) est le territoire le plus étendu mais le moins peuplé. Il a appartenu aux Britanniques entre 1839 et 1967. Mais seule l'enclave d'Aden est sous administration directe : une vingtaine d'émirats forme des protectorats où perdurent des archaïsmes médiévaux. La RDPY est dirigée par le Front National de Libération, qui a chassé le colonisateur anglais, puis par le Parti Socialiste Yéménite créé en 1968 ; le président de la République jusqu'en 1980 est Abdel Fatth Ismaïl. Comme son voisin du Nord, le Yémen du Sud intrège la Ligue Arabe en 1967, mais soutient plutôt le côté marxiste : Syrie, OLP, etc. Il est étroitement lié avec le bloc soviétique, et ce dès 1967. La RDPY soutient une guérilla marxiste à Oman : elle appuie la rébellion du Dhofar qui s'étale entre 1964 et 1975. 




Les deux républiques du Yémen s'affrontent deux fois par les armes, pendant la guerre froide. La RAY déclenche un premier conflit en 1972 : elle encourage le Front National Uni du Sud-Yémen, une guérilla qui opère au Sud pour déstabiliser le pouvoir en place. Un autre conflit oppose les deux républiques en 1979. 




A partir de 1980, alors que le Yémen du Nord voit sa puissance grandir du fait de la reprise en main politique, de la découverte de gisements de pétrole bientôt exploités par des compagnies étrangères, et par un processus de démocratisation timide, le Yémen du Sud, lui, tombe à son tour dans l'instabilité. Un coup d'Etat a lieu en 1980 qui renverse le président Ismail : Ali Nasser Mohamed prend sa place. Le 13 janvier 1986, lors d'une réunion du comité central du PSY, deux gardes du corps du président Ali Nasser tirent sur Ali Antar, un opposant politique soutenu par l'ancien président Ismail. Deux factions du PSY s'affrontent en fait pour le pouvoir au sein d'un trio qui avait consacré la victoire du camp pro-soviétique en 1978. Les combats font plus de 15 000 morts et provoquent un exode massif des vaincus au Nord 5




Le 22 mai 1990, la République Yéménite est proclamée de par la volonté des deux partis uniques au pouvoir : le Conseil Général du Peuple (CSG) en RAY et le Parti Socialiste Yéménite en RDPY. La constitution du Yémen réunifié est ratifiée par un référendum populaire en avril 1991. Les premières élections législatives ont eu lieu en 1993. Une coalition gouvernementale partage les responsabilités politiques : Ali Abdallah Saleh, ancien président de la RAY, devient le président de la nouvelle République, tandis que Ali Salim Al-Bid, secrétaire général du PSY, est vice-président ; Haydar Abou Bakr Al-Attas, président de la RDPY entre 1986 et 1990, devient président du Conseil des Ministres. Sanaa, l'ex-capitale de la RAY, devient la capitale du nouvel Etat tandis qu'Aden, ancienne capitale de la RDPY, en devient la capitale économique. 




Pourtant, une nouvelle guerre inter-yéménite éclate entre le 5 mai et le 7 juillet 1994, qui se termine par la défaite de l'armée du Yémen du Sud et de ses ex-dirigeants retranchés à Aden. Le 21 mai, ils avaient proclamé une éphémère République Démocratique du Yémen qui est bientôt écrasée par les troupes de Sanaa. C'est la fin des velléités d'indépendance du Sud, dont les principaux dirigeants vivent aujourd'hui en exil et tombent sous l'accusation infamante de « séparatisme » 6 . 







Le Yémen face à la « Global War on Terror » 







Sur le plan international, le Yémen est longtemps ostracisé en raison de son soutien à Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe (1990-1991), un cas relativement rare dans le monde arabe à ce moment-là (du moins au niveau des Etats, pas des opinions publiques). Le Yémen pâtit économiquement de cette posture puisqu'il lui faut accueillir 800 000 réfugiés yéménites dont plus de 750 0000 ont été expulsés de l'Arabie Saoudite voisine. Il faudra attendre la visite de Bill Clinton en 2000 au Yémen pour que le pays rentre en grâce aux yeux de la communauté internationale 7

"Mouvantes frontières yéménites", Le Monde Diplomatique, octobre 2006.



Mais le 9 novembre de la même année, l'attaque au large du Yémen du destroyer américain USS Cole, attribuée à Al-Qaïda, force le pays à se positionner par rapport à la guerre globale contre le terrorisme menée par Washington. Après les attentats du 11 septembre 2001, beaucoup d'observateurs se demandent si le Yémen est un partenaire ou une cible potentielle (le père de Ben Laden est originaire du Yémen, et beaucoup d'habitants du pays se trouvent alors dans l'Afghanistan des talibans, etc). Il faut noter que c'est l'un des seuls Etats à avoir intégré dans son jeu politique un parti islamiste, issu du mouvement des Frères Musulmans, le Rassemblement Yéménite pour la Réforme ou parti Islah (né en 1990), à l'exercice du pouvoir entre 1993 et 1997. Le chef de la formation, Abdallah Hussein al-Amar, est à la fois président du Parlement, chef du parti islamiste et leader de la principale confédération tribale du Yémen. Contrairement à d'autres pays du monde arabe qui peinent à intégrer les islamistes au jeu démocratique, le Yémen a gagné avec cette caractéristique une certaine stabilité. Cela ne l'empêche pas de bénéficier d'une mauvaise image auprès des Occidentaux : l'université al-Îman, fondée par le cheikh al-Zandani, meneur de la tendance la plus conservatrice de l'Islah, régulièrement qualifiée de salafie, est régulièrement suspectée de liens avec Al-Qaïda




Les Etats-Unis ont pourtant choisi de faire du Yémen un partenaire. Le président Saleh, à l'image du général Musharraf au Pakistan, n'a ainsi pas vu de troupes américaines envahir son pays, mais a au contraire reçu un soutien financier et technique de plus en plus important pour former ses forces de sécurité nationale. Les moyens des garde-frontières sont améliorés ; de nouveaux logiciels utilisés dans les aéroports permettent de transmettre l'identité de chaque visiteur aux autorités locales, mais également aux Américains. Les forces spéciales sont entraînés par des conseillers venus des Etats-Unis. Un bureau du FBI ouvre à Sanaa 8. Le Yémen donne des gages de bonne volonté en jugeant de façon rapide et expéditive les responsables de l'attaque de l'USS Cole et ceux du pétrolier français Limbourg, assailli au large du pays en novembre 2002. Cela n'empêche pas les Américains d'intervenir directement s'ils l'estiment nécessaire : le 3 novembre 2002, le chef présumé d'Al-Qaïda et 5 de ses compagnons sont tués par un missile tiré par un drone. Le cheikh al-Mu'ayad, cadre de l'Islah expatrié en Allemagne et accusé d'être le relais financier d'Al-Qaïda et du Hamas, est arrêté par les services secrets américains et allemands, extradé aux Etats-Unis et condamné à 75 ans de prison, malgré les protestations de Sanaa. Les aides civiles au Yémen sont considérables : elles se chiffrent en millions de dollars et ciblent en priorité les régions indiquées comme le terreau du terrorisme islamiste. 




Le soutien américain au Yémen s'est en fait rapidement traduit par un resserrement politique qui s'était déjà manifesté en 1994, après la défaite de l'insurrection sudiste. Le pouvoir yéménite avait alors mis fin à la parenthèse de multipartisme en armes consécutive à la réunification de 1990. Il ne restait alors plus en lice que deux partis : le Congrès Général du Peuple et l'Islah, le Parti Socialiste étant évincé. Le 28 décembre 2005, le numéro deux de ce dernier parti est assassiné dans des conditions obscures ; par ailleurs, les pressions sont de plus en plus fortes sur la presse et les intellectuels contestataires. Aux élections législatives de 2003, même l'Islah est victime de la censure du pouvoir puisque son nombre de sièges diminue considérablement par rapport à 1997. La revue de l'Islah est bientôt interdite : le pouvoir cherche visiblement à se passer d'un allié devenu inutile. Cela n'empêche pas le président Saleh de se montrer extrêmement critique, à l'occasion, à l'encontre de l'allié américain : par exemple lors de l'invasion de l'Irak en 2003. Rapidement toutefois, et malgré la visite du président yéménite aux Etats-Unis en 2004, des tensions apparaissent entre les Américains et le Yémen. L'Arabie Saoudite menace de construire une barrière le long de sa frontière avec le Yémen pour empêcher les infiltrations. L'enquête sur l'attentat contre l'USS Cole révèle de nombreux complicités dans l'appareil de sécurité ; en février 2006, une évasion rocambolesque permet à 23 détenus accusés de terrorisme de s'échapper ; par ailleurs la résistance irakienne comprendrait de nombreux Yéménites. 







L'insurrection houdite 







Saada est un gouvernorat montagneux au nord-ouest du Yémen, à la frontière avec l'Arabie Saoudite, et qui est l'enjeu depuis juin 2004 d'une guerre sans merci qui s'est progressivement étendue aux régions voisines, en particulier Amran, al-Jawf, Marib et Hajja. C'est bien là le principal problème auquel doit faire face le gouvernement yéménite, bien plus que la menace terroriste islamiste. 




Hussein Badr al-Dîn al-Hûthî est le descendant d'une famille de l'aristocratie religieuse du Nord-Yémen (les hachémites, descendants du prophète, seuls candidats à l'imamat zaydite) 9. Avec la révolution de 1962, le zaydisme a en effet connu un certain recul, d'autant plus qu'il se retrouve concurrencé par des mouvements wahhabites et salafistes financés par l'Arabie Saoudite10. Le Yémen se partage depuis des siècles entre deux tendance religieuses majoritaires : le zaydisme chiite et le chaféisme sunnite11. En 1990, al-Hûthî fonde le Hizb al-Haqq, une résurgence d'un zaydisme politique, c'est à dire de l'imamat qui dirigeait le pays jusqu'à la révolution de 1962. Entre 1993 et 1997, il est l'élu de son parti au Parlement. Il crée une association, la Jeunesse Croyante, qui, après le 11 septembre, prend un ton nettement anti-américain et anti-israëlien. Le chef de l'Etat, à partir de la fin 2002, craint que les propos d'al-Hûthî ne nuisent à l'alliance américaine. Le président Saleh lance donc contre le personnage une opération de police en juin 2004, qui se transforme vite en offensive militaire : pour le décrédibiliser, on le dénonce comme un suppôt du zaydisme réactionnaire d'avant la révolution, et comme un allié de l'Iran via le parti libanais Hezbollah. Une accusation qu'al-Hûthî a toujours démenti, se réclamant dans une lettre au président de la République d'un sentiment profondément national et républicain. Le pouvoir yéménite a ainsi maladroitement associé l'anti-américanisme populaire et le zaydisme renaissant sous la houlette d'al-Hûthî. Les opérations militaires montrent également l'ineffacité des forces spéciales et la disproportion des moyens employés contre une menace finalement assez banale. On a ici l'impression que le pouvoir yéménite cherche à sauvegarder le compromis républicain bâti depuis la révolution de 1962 en s'attaquant aux « perdants de l'histoire », à savoir la minorité zaydite12. D'autant plus que l'armée se livre à des exactions ciblées autour de Saada, le berceau historique du zaydisme au Yémen. Cela a permis à al-Hûthî de recruter parmi la population locale quantité de combattants au nom de la restauration du zaydisme mais aussi du combat anti-impérialiste. L'Islah, quant à lui, se tient sur une prudente réserve. Du 18 juin au 10 septembre 2004, les combats font rage dans les montagnes Marran, à 30 km au sud-ouest de la cité de Saada, où al-Hûthî a trouvé refuge. En définitive, al-Hûthî, encerclé dans une grotte de la région de Marran, près de la frontière avec l'Arabie Saoudite, est finalement tué par l'armée le 10 septembre 2004. La mort du leader de la Jeunesse Croyante ne met pas fin aux combats : il reste en particulier le problème des prisonniers faits dans les deux camps. 








Le problème de la rébellion zaydite met aussi en lumière une usure du pouvoir incarnée dans le président Saleh, qui avait promis de ne pas se représenter en 2006. Mais après avoir si bien muselé l'opposition, il a finalement été réélu pour un nouveau mandat qui s'arrête en 2013.


Yémen : la guerre s'aggrave au nord-Le Monde Diplomatique, octobre 2009.


Le deuxième round de combats, entre mars et mai 2005, oppose le père de Hûthî et un membre du Parlement, Abdallah al-Ruzami, et leurs partisans, aux forces gouvernementales. Les affrontements font rage au nord et à l'ouest de Saada, où les rebelles trouvent du soutien et un terrain montagneux qui permettent de ralentir la progression de l'armée. Le troisième round débute fin 2005 et met aux prises des milices tribales pro-gouvernementales face aux deux nouveaux chefs rebelles, les frères de Hûthî : Abd-al-Mali et Yahya. Le quatrième round, entre février et juin 2007, démarre suite aux accusations de persécutions de la communauté juive d'Al-Salem à l'encontre des rebelles, accusations que ces derniers ont rejeté. Suite à une médiation du Qatar, un cessez-le-feu est obtenu le 17 juin ; un accord formel est signé le 2 février 2008. Les combats se poursuivent cependant au nord de Sanaa, impliquant la Garde Républicaine commandée par le fils du président Saleh, mais aussi des milices de la confédération tribale des Hashid pro-gouvernementale : celle-ci et l'armée sont financées par l'Arabie Saoudite. Le 17 juillet 2008, pour l'anniversaire de des 30 ans de pouvoir, le président Saleh annonce un cessez-le-feu unilatéral. Les opérations militaires ont été particulièrement violentes, impliquant de nombreux raids aériens, et ont provoqué une situation humanitaire désastreuse, avec plus de 130 000 personnes déplacées mi-2008. 







Le Sud au bord de la sécession ? 







A l'insurrection houdite dans le Nord-Yémen s'ajoute une autre menace, à terme bien plus grave pour le président Saleh : celle d'un retour d'une tentative sécessionniste du Sud-Yémen 13. Les habitants du Sud ont en effet de plus en plus le sentiment d'être victimes d'une « colonisation intérieure » des Nordistes, un sentiment aggravé par la misère, le chômage et l'inflation. Des fonctionnaires nordistes ont envahi l'administration locale et les services de sécurité. Des terrains anciennement nationalisés ont été récupérés de force par des sbires du régime. Après la défaite de 1994, ce sont pas moins de 65 000 militaires sud-yéménites qui ont été mis à la retraite d'office (38 000 rien qu'à Aden). Ces soldats démobilisés, organisés en comités régionaux, ont été le fer de lance d'une contestation par des manifestations et des sit-in très nombreux. 




A Aden, la défaite de l'Etat sud-yéménite est vivement ressentie de par l'absence d'armes et d'une tribu exprimant le pouvoir politique. Une nostalgie très forte s'exprime à l'égard de la RDPY et même de la période de colonisation britannique. Les manifestants se rassemblent lors de dates symboles, comme le 7 juillet 2007 à Aden, anniversaire de l'entrée des troupes unionistes -nordistes- dans la ville. Le 2 août de la même année, des milliers de personnes se rassemblent pour condamner « l'invasion du Yémen du Sud » par l'armée nordiste le 7 juillet 1994, en souvenir de l'invasion du Koweit par Saddam Hussein en 1990. Le 14 octobre à Rafdan, des manifestants défilent alors que c'est l'anniversaire dans le pays du début du soulèvement contre l'occupant britannique : les heurts avec les forces de l'ordre font 4 morts. 




Le 13 janvier 2008, une autre grande manifestation a eu lieu à Aden en mémoire de l'anniversaire des combats de rues sanglants entre factions du PSY en 1986, date qui marque le début de la fin pour la RDPY. Baptisé « Rassemblement pour la Réconciliation », cette manifestation provoqua en fait plusieurs victimes lors d'affrontements avec les forces de l'ordre. L'identité sudiste se construit lors de ces rassemblements, où l'on critique d'ailleurs la politique du PSY, accusé d'avoir fait le jeu des nordistes. L'opposition sudiste reste cependant très divisée : en 2004 a été fondée au Royaume-Uni la Southern Democratic Assembly ; Ali Nasser Mohammed réside à Damas, où il fondé le Centre Arabe d'Etudes Stratégiques, et reste partisan du fédéralisme, pas du séparatisme, tout en étant victime de plusieurs attentats en 2007. Les nouveaux leaders du mouvement sudiste se trouvent en fait sur place, comme Nasser al-Nouba arrêté après la manifestation du 2 août 2007 à Aden. Un des principaux soutiens de la cause est le quotidien d'Aden Al-Ayyam. C'est le quotidien le plus diffusé du Yémen, et le siège du journal est un véritable salon politique et culturel à Aden. Le propriétaire du journal a d'ailleurs été l'objet d'intimidations, notamment en février 2008. 













Al Qaïda au Yémen : une menace secondaire ? 







L'organisation a une présence ancienne dans le pays : des membres importants d'Al-Qaïda ainsi que de nombreux combattants en Afghanistan sous le régime des talibans ont parfois été d'origine yéménite 14. De nombreux nationaux ont participé à la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan ; de retour dans leur patrie, ils sont incorporés dans l'armée ou dans les forces de sécurité. Durant la guerre civile de 1994, le président Saleh envoie plusieurs centaines de ces vétérans combattre les sécessionnistes du Sud-Yémen15. Un groupe terroriste islamiste est connu assez tôt : l'Armée Islamique d'Aden-Abyan, dirigé par un proche de Ben Laden, et qui organise un attentat contre des Marines transitant vers la Somalie en décembre 1992 : les explosions dans deux hôtels tuent deux touristes. Le même groupe sera responsable de l'enlèvement de 16 touristes étrangers en décembre 1998 (dont 4 sont tués dans une tentative de sauvetage) et peut-être de l'attaque sur le pétrolier Limbourg. Près de 40 % des détenus de Guantanamo proviennent de cet Etat. 




Al-Qaïda a maintenu des camps d'entraînement au Yémen jusqu'à la fin des années 90. De nombreuses attaques et de nombreux projets terroristes y ont trouvé place : outre l'attaque de l'USS Cole le 9 novembre 2000 (17 marins américains tués), il faut citer une tentative de faire sauter l'ambassade américaine en juin 2001 (8 arrestations), une explosion accidentelle tuant 2 membres d'Al-Qaïda en juin 2002, trois missionnaires américains tués en décembre 2002 (on hésite encore à en attribuer la responsabilité à Al-Qaïda), deux touristes belges tués en janvier 2008, une attaque sur l'ambassade américaine en mars 2008 (1 mort), d'autres en août/septembre de la même année (16 morts), 4 touristes sud-coréens abattus en mars 2009, et la liste reste encore longue. 




Le chef de l'organisation au Yémen après les attentats du 11 septembre, al-Harithi, avait été tué par un missile tiré par un drone américain Predator en novembre 2002. Son successeur, Muhammed Hamdi al-Ahdal, avait été arrêté par le gouvernement yéménite en 2003. 




Il faut attendre quelques années pour que l'organisation prenne un nouveau départ. Parmi les 23 détenus échappés en février 2006 au moyen d'un tunnel d'une prison de Sanaa, on trouve Jamal Ahmad Badawi et Jaber al Banna, deux membres importants d'Al Qaïda au Yémen. Le premier a été le planificateur de l'attaque sur l'USS Cole. Finalement 20 des 23 détenus seront repris, tués ou se sont rendus. Badawi s'est rendu au gouvernement yéménite en 2007 sous la promesse de coopérer. Parmi les trois « survivants » de l'évasion figure Nassar al Wahishi, ancien secrétaire de Ben Laden devenu chef d'Al-Qaïda au Yémen. La formation officielle de la branche d'Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique survient en janvier 2009 : c'est le résultat d'une fusion entre les groupes opérant en Arabie Saoudite et ceux actifs au Yémen proprement dit. Le second de Wahishi est Qasim al Raimi, autre rescapé de l'évasion de 2006. La branche saoudienne de la nouvelle organisation a été particulièrement active entre 2003 et 2007. Les cadres comprennent notamment d'anciens détenus de Guantanamo relâchés en novembre 2007, saoudiens, ainsi que d'autres de la même nationalité passés par le programme de réhabilitation de ce même Etat.





Les combattants yéménites d'Al-Qaïda incluent en particulier un bon nombre de vétérans des opérations en Irak qui ont ramené avec eux les techniques utilisées sur place : IED, attentats-suicides (par voiture ou gilet explosif), etc. L'attaque de l'ambassade américaine le 17 septembre 2009 révèle ce changement de tactique : deux camions bourrés d'explosifs sont utilisés : le premier fait sauter la barrière de sécurité extérieure tandis que le second s'en prend à l'ambassade elle-même. Le 15 mars 2009, Al-Qaïda attaque un groupe de touristes sud-coréens, en tuent 4 plus l'accompagnateur yéménite : le 18, la délégation sud-coréenne comprenant des officiels et les familles des victimes est victime d'une attaque à la voiture piégée. Les vétérans d'Irak sont mieux entraînés et mieux organisés que les terroristes plus anciens, et trouvent un terreau plus fertile au Yémen. L'organisation a développé des groupes de plusieurs centaines de combattants, et elle recherche l'adhésion populaire 16. A terme, elle est capable de constituer une menace plus importante pour le président Saleh. Reste à savoir dans quelles dimensions. 
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A tous nos chers lecteurs.

 

Ne vous est-il jamais venu à l'esprit d'en savoir un peu plus sur le titre de ce blog ?

Puisque nous nous sommes aujourd'hui habillés de bleu, il conviendrait de rentrer plus a fond dans l'explication du mot lessakel.

En fait Lessakel n'est que la façon française de dire le mot léhasskil.

L'hébreu est une langue qui fonctionne en déclinant des racines.

Racines, bilitères, trilitères et quadrilitères.

La majorité d'entre elle sont trilitères.

Aussi Si Gad a souhaité appeler son site Lessakel, c'est parce qu'il souhaitait rendre hommage à l'intelligence.

Celle qui nous est demandée chaque jour.

La racine de l'intelligence est sé'hel שכל qui signifie l'intelligence pure.

De cette racine découlent plusieurs mots

Sé'hel > intelligence, esprit, raison, bon sens, prudence, mais aussi croiser

Léhasskil > Etre intelligent, cultivé, déjouer les pièges

Sé'hli > intelligent, mental, spirituel

Léhistakel > agir prudemment, être retenu et raisonnable, chercher à comprendre

Si'hloute > appréhension et compréhension

Haskala >  Instruction, culture, éducation

Lessa'hlen > rationaliser, intellectualiser

Heschkel > moralité

Si'htanout > rationalisme

Si'hloul > Amélioration, perfectionnement

 

Gageons que ce site puisse nous apporter quelques lumières.

Aschkel pour Lessakel.

 

 

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