Les priorités sécuritaires du Sud d’Israël, au métronome de l’instabilité en Egypte ?
Par Marc Brzustowski
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Israël n’a pas de stratégie ! C’est, du moins, ce que pense Nahum Barnéa, dans un éditorial d’ynetnews. D’énormes moyens technologiques, mais pas de réel talent pour les mettre en musique avec la maestria d’antan. Cela s’est vérifié au Liban, en 2006, et l’on en vit le contrecoup, actuellement : à force d’éviter de « tomber dans le piège » du cycle provocation-représailles, la dissuasion recule. Entretemps, « Plomb Durci » a été comme un regain d’orgueil et de mise au pas, avant retour aux savants calculs diplomatiques. C’est qu’on joue au mikado avec le pouvoir instable du Caire et l’huile sur le feu des révolutions, versée conjointement par l’Iran des Ayatollahs et les Frères Musulmans…
On a dénombré au moins 15 tirs de roquettes contre Israël, au cours de la nuit précédente, mais pas une mouche qui vole depuis une piste d’envol israélienne, au petit matin. Principe de la trêve unilatérale, avant déclaration unilatérale, pourrait-on ironiser.
Plus prosaïquement, mais aussi alarmiste, Netanyahou et le nouveau chef d’Etat-major se sont contentés de faire « passer le message » à la Junte égyptienne, chargée de mettre au pas les groupes jihadistes et d’attendre leur bon vouloir de faire graduellement baisser l’intensité de volume. Pas plus que Guilad Shalit n’a été libéré par ces entremises, on ne doit s’attendre à ce que la population du Sud cesse d’être l’otage de ces tractations.
A titre d’échantillon, 3 des principaux chefs et opérateurs des Comités populaires de la Résistance et du Jihad islamique ont, néanmoins, été rapidement localisés et rayés des organigrammes. Mais atteindre des cerveaux, surtout dans l’immédiat après-coup, n’enraie pas l’infrastructure souterraine qui leur a permis de duper toutes les « prévisions », à la date du 18.
Si, dans les heures à venir, deux des groupes récalcitrants, le Jihad Islamique en tête et les Comités populaires de la résistance, continuent de narguer Tsahal, célébrant leur « d.ivine victoire », façon Hezbollah, par de nouvelles salves, on peut s’attendre à ce que la pression de la rue devienne vite insupportable pour le tandem des décideurs (Netanyahou-Gantz). Ils tentent de convaincre les autres membres du cabinet restreint -au double-sens du terme- du bien-fondé de leur « vision » (s’il y en a une) de long terme. Ehud Barak, qui s’était, entretemps, métamorphosé en « coupeur de têtes » terroristes, devrait, assez souplement s’y plier et donc, remiser sa langue dans sa poche.
Il faut aussi être clair : une réoccupation de Gaza requerrait, après opération musclée, la permanence de 10 000 soldats à tous les coins de rue de Gaza-City. C’est soutenable, parce que cela s’est déjà vu. Mais cela n’offre aucune perspective de long terme. Sauf à offrir en cadeau de noces ce territoire qu’il a perdu en 2007, à Mahmoud Abbas, pour l’inciter à multiplier les provocations à l’international, tout en risquant d’être renversé par des forces reconstituées autour du Hamas ou du Jihad « glocal », un peu plus tard. Quoi qu’il en soit, Israël cherche à ne pas amplifier la pression diplomatique et médiatique, à l’aube du 20 septembre, devant l’ONU, pour s’assurer que la situation sur le terrain reste foncièrement similaire, malgré un rehaussement de la représentation symbolique de l’AP dans ces instances. Laquelle ne maîtrise absolument rien d’autre, sauf à suivre les injonctions du Fatah de rejoindre « la lutte armée », vieux mot d’ordre d’un appareil sur le déclin.
Le Jihad a ouvert une nouvelle brèche : l’axe Sinaï-Néguev, à partir de la Bande de Gaza, le centre de commandement de ses opérations. Son isolement relatif antérieur s’est grandement amélioré de l’interface avec les chefs de tribus du Sinaï et leurs hôtes, trafiquant et seigneurs de guerre de tout l’Orient entre Gibraltar et Téhéran. C’est donc cet Alien en voie de mutation qui, à l’heure qu’il est, dispose de la profondeur stratégique pour mettre en péril le traité de paix avec l’Egypte de Sadate en 1979. Il apparaît clairement que cet accord de « paix froide » est l’objet réel de toutes les attentions. On compte sur l’aide américaine massive au Caire et la détermination de l’armée à conserver ses prébendes essentielles, au-delà des élections d’octobre-novembre, pour que cet état de fait perdure sur le terrain, malgré les tentatives de détournement des Frères Musulmans et de leurs alliés de Gaza.
A l’aune de la révolution du square Tahrir (il y a… 7 mois) et en toute éventualité, il semble, a relire la tragédie du 18 août, que la planification sécuritaire aurait dû mettre un soin particulier à sécuriser la frontière du Sinaï. Lenteurs bureaucratiques, rivalités au sommet pour le poste (affaires Galant-Gantz, dont on paie les premiers arriérés aujourd’hui), autres chats à fouetter, ni l’Aman d’Aviv Kochavi, ni l’Etat-Major de Benny Gantz n’ont particulièrement insisté sur ces failles, visibles à l’œil nu du terroriste un tant soit peu avisé et organisé. Deux solutions techniques de moyen terme sont mises en avant : poursuivre le développement de la barrière de sécurité, dotée de détecteurs électroniques, sur les 118 kms qui ne sont actuellement pas couverts. Et s’en remettre à la production du Dôme de fer, par l’adjonction de pièces supplémentaires d’ici la fin 2011. Les patrouilles seront sûrement renforcées sur les points sensibles. Ce faisant, c’est un aveu de faiblesse aux yeux des assaillants et d’improvisation dans la planification.
L’Egypte commence à renforcer sa présence dans le Sinaï. Il est vrai qu’elle a lancé une première opération de grande envergure, après avoir offert Moubarak en pâture aux télévisions-guillotine, avides de tête à trancher (Fernandel dans « François 1er »). Israël, par l’entremise américaine en était parfaitement informé. Là encore, l’écume d’une vague terroriste, évacuée vers Israël à cause du rouleau-compresseur de l’armée égyptienne, était prévisible. Cafouillage : on le savait, mais ne s’y attendait pas en plein jour. Mais cela n’explique rien du niveau de préparation des tueurs coordonnés du jeudi 18 août. L’attentat complexe était planifié de longue date, les opérateurs étaient parfaitement préparés à frapper au moment opportun, celui-là en valant, qualitativement, un autre. Ils ont bénéficié de complicités et de couverture au poste-frontière. Ce paramètre de l’islamisation progressive de certains cadres de l’armée en Egypte entre dans les bases de données, même si le phénomène n’atteint pas l’ampleur des 50% d’officiers pro-Hezbollah dans les renseignements et les forces libanaises, au nord.
Mais la diplomatie militaire fait qu’Israël a intérêt à appuyer en profondeur la tentative de la Junte de reprendre le contrôle du territoire, sans donner trop d’arguments à la rue du Caire d’incendier plus de drapeaux et d’exiger le départ de l’Ambassadeur israélien. Pour Washington, et sûrement Paris et Londres, après l'écroulement de Kadhafi, il s'agit d'une priorité : ne pas permettre à Al Qaeda de contaminer le nouveau conseil libyen et d'infecter par métastases Le Caire...
Ce n'est pas une vue de l'esprit : après l'élimination de Ben Laden, deux noms ressortent au top de l'organigramme : le nouveau PDG de la multinationale, Ayman Al-Zawahiri, l'Egyptien, et son chef des opérations, l'autre égyptien Saïf al Adel, ancien officier de l'armée d'Egypte (qui peut y avoir conservé des contacts), lancé en Afghanistan dans les jambes de l'OTAN, par l'Iran, dès octobre 2010. On pourrait voir sa cosignature (avec d'autres, expériementés, comme le Hezbollah, alias Al Qods iranien) dans la configuration complexe d'Eilat -de type "Mumbaï 08". Lorsque les prisons ont été prises d'assaut par la foule, durant le "printemps", ce fut pour mieux laisser s'évader de nombreux cadres du Jihad islamique égyptien, le parti qui assassina Sadate (donc le signataire du traité) et dont le guide spirituel n'est autre... qu'Al Zawahiri. Penser que les Jihad islamiques d'Egypte et de Gaza n'ont strictement rien à voir l'un avec l'autre, qu'il s'agit d'une pure homonymie, relèverait de l'aveuglement volontaire. Résumons-nous : Hamas pour les Frères Musulmans, Jihad Islamique égypto-gazaouï -qui n'est qu'une émanation radicale du précédent- pour Al Qaeda et l'Iran, dans leur front commun anti-américano-sioniste... ça colle et risque de faire d'immenses dégâts dans le gruyère des "révolutions".
A l’extrême, Israël pourrait, en cas de besoin, réaliser une poussée de tanks dans le Sinaï contre une armée régulière, pas se lancer dans un second Liban au Sud, pour déloger des montagnes centrales les nouveaux Taliban qui s’y sont installés. La « coopération froide » avec la Junte, reste la voie de la sagesse, surtout vue de Washington… L'idée de réinvestir le Sinaï en totalité est saugrenue, sauf à ce que l'actuel pouvoir s'effondre définitivement, et que les Frères Musulmans réalisent le coup d'état dont ils rêvent. Il n’empêche que l’armée d’Egypte n’a, peut-être pas la volonté ni les moyens de reprendre, mètre par mètre, les montagnes du Sinaï central, nouveau bastion d’Al Qaeda dans la Péninsule. Encore moins ceux d'isoler la Confrérie islamiste au sein de l'opinion. Et pas plus, elle n'éprouve le besoin d'alimenter la brouille avec l'Iran, comme du temps de la rupture sous l'ancien Raïs.
Le véritable problème, lié à ces dispositions à l'indécision dans la Junte, est qu’il s’agit d’un pouvoir transitoire extrêmement sensible aux poussées de la rue.
D’autre part, la stratégie d’Israël semble ancrée à des modèles déjà obsolètes, où les principaux adversaires demeurent l’Autorité Palestinienne, pour les assauts diplomatiques, et le Hamas, pour la maîtrise relative des factions plus radicales à Gaza. Il suffirait de faire pression sur Haniyeh, par Le Caire interposé, pour qu’il comprenne son intérêt à contrôler les départs de feu et à maintenir un calme relatif : thèse de la « boîte postale ».
Mais le « monopole de la violence légitime » (ici, illégitime) est en train de glisser entre les mains d’outsiders. Ils n’ont rien d’anarchiques dans leurs coups de sonde des failles sécuritaires israéliennes. Ils réagissent aux impulsions de l’actualité internationale (chute de Kadhafi, sanctions contre Assad, déboires du Hezbollah au Liban…). Ils ont profité des mois et années de no man’s land sécuritaire pour établir leurs bases, centres de liaisons et de passage, à travers tout le Sinaï (deux fois la taille d’Israël) jusqu’en Libye et au Soudan. Leurs commanditaires à Téhéran et Damas, ont pour objectif de saper définitivement le traité de paix avec l’Egypte et de prendre le contrôle des forces radicales à chacune des frontières d’Israël. Peu importe les foules en colère, dans chacun des pays concernés, il suffit d’en massacrer une quantité suffisante, pour que le bras de fer se poursuive… Ils jouent des hésitations de leurs ennemis pour ajouter aux troubles et délégitimer les pouvoirs trop « tièdes » sur leur passage.
Le « blitz » de ces derniers jours est le fruit d’une opération de subversion iranienne qui surfe sur les conséquences incertaines et l’absence de perspective des « révolutions arabes ». Elles déstabilisent les coalitions hétérogènes de substitution aux anciens régimes autoritaires et clouent Israël dans la posture de citadelle assiégée, en manque total d'initiative, en panne de créativité... Surtout, elles laissent les Etats-majors sans solution de rechange que le « wait and see », offrant une « autoroute » aux expéditions terroristes. Ces groupes (CPR/J.I) se sont surarmés entraînés, bénéficient d’instructeurs Pasdaran et du Hezbollah. Ces nouvelles milices tirent parti des erreurs de leurs aînés (comme le Hamas en janvier 2009), bien qu’elles soient encore en apprentissage.
L’attentisme, au nord depuis août 2006 et au Sud, depuis décembre 2010, résulte aussi de la perte de coopérants fiables au sein des renseignements de certains pays arabes, comme l’Egypte. Elle laisse place à la percée des agents des pouvoirs qui n’ont rien à perdre, à miser tout leur savoir-faire dans le détournement du courant des révolutions.