Le Hezbollah poursuit ses tentatives de saper les institutions libanaises et de provoquer le vide politique dans l’objectif de le remplir lui-même, ou à travers ses alliés chrétiens (le Courant patriotique libre du général Michel Aoun et Sleimane Frangié...), sunnites (Abdelrahim Morad, Chaker Berjaoui...) et druzes (Weäm Wahhab et Talal Arslan...) notamment. Pour y parvenir, le Hezbollah a littéralement poussé le premier ministre Najib Mikati à démissionner, en sachant qu’il sera difficile à son successeur, Tammam Salam, de former un nouveau cabinet. Dans ce climat, il est impossible d’organiser des élections législatives, et avec un parlement illégitime du fait de la prorogation de son mandat, il sera impossible d’organiser des élections présidentielles en 2014. Le vide sera alors total.
Sur le front sécuritaire, le Hezbollah tente de saucissonner le Liban. Après avoir organisé la razzia de Beyrouth et de la Montagne du Chouf, en mai 2008, le parti de Dieu a infiltré méthodiquement les régions chrétiennes, grâce à son allié Michel Aoun et à la complaisance des services de renseignement de l’armée qu’il contrôle. Tout le monde se souvient de la tentative d’assassiner Samir Geagea qui n’aurait pu avoir lieu si les snipers du Hezbollah ne bénéficiaient pas d’une couverture chrétienne. De même, les tirs ratés de missiles Grad (122 mm), jeudi dernier, contre le palais présidentiel et le commandement de l’armée depuis la montagne chrétienne, n’est que le prolongement de la même politique et implique la même couverture. Seul le Hezbollah et le FPLP-CG d’Ahmed Jibril disposent de ces missiles. A la demande de Bachar Al-Assad, ils auraient cherché à intimider le président libanais pour avoir osé dénoncer les violations syriennes du territoire libanais auprès de l’ONU et de la Ligue arabe.
Le Hezbollah a également armé les alaouites de Rifaat Eïd à Tripoli, la principale ville du Nord considérée comme un réservoir humain et électoral du Courant du Futur de Saad Hariri, allié de Geagea qui a fait de la souveraineté libanaise et du désarmement du Hezbollah sa priorité. Plus au nord, dans le Akkar, le parti de Hassan Nasrallah a soutenu et armé le Parti national syrien pour soumettre le Akkar. Tout le monde se souvient de l’assassinat des deux cheïkhs sunnites Ahmed Abdelouahed et Mohammed Al-Mureeb en mai 2012 et ses conséquences sur les relations entre la population et l’armée.
L’assassinat de Wissam Al-Hassan, et celui de Wissam Eïd, les deux officiers des renseignements qui ont enquêté et dévoilé le rôle du Hezbollah dans la mort de Rafic Hariri et de la vingtaine d’autres souverainistes, sont venus fragiliser l’institution sécuritaire libanaise, après avoir soumis l’armée par infiltration ou par intimidation. L’épisode de Chiyah, en janvier 2008, puis de Beyrouth en mai suivant, en attestent.
Plus récemment, et pour préparer son ingérence militaire en Syrie (à Al-Qoussaïr et dans la banlieue de Damas), le Hezbollah a tendu un piège implacable à la grande ville sunnite de la Bekaa, Ersal. Les faits qui ont suivi cet épisode confirment que l’affaire de Ersal était bel et bien organisée par le Hezbollah pour isoler Ersal et avoir les coudées franches en Syrie, profitant du vide institutionnel et de la complicité de certains officiers de l’armée.
Aujourd’hui, c’est le tour de Saïda de connaître le même sort. La montée en puissance - verbale - de l’imam radical Al-Assir n’était en effet qu’une réaction à la présence du Hezbollah à Saïda à travers les brigades de la résistance (Saraya al Moukawama). Le Hezbollah ne pouvait que s’en contenter, puisque Al-Assir devait siphonner les voix du Courant du Futur, qualifié de très mou face aux radicaux chiites. En radicalisant les sunnites, le Hezbollah entend aussi crédibiliser le discours de son allié Michel Aoun, foncièrement hostile aux salafistes et autres barbus, mais qui, au final, n’est que leur allié objectif comme en atteste l’épisode de Michel Samaha.
Ainsi, alors que les partisans de l’imam Al-Assir manifestaient ce dimanche à Abra, une banlieue de Saïda, et que l’armée dressait un cordon de sécurité autour de leur mosquée (Bilal Ben Rabbah), des tirs provenant des appartements du Hezbollah, dont la présence est vivement dénoncée par Al-Assir - ont visé à la fois l’armée que les manifestants. Un proche d’Al-Assir a été tué, ainsi que quatre militaires dont deux officiers. Ces tirs provenant d’une 5ème colonne ont mis le feu aux poudres et provoqué les violents accrochages dont le bilan est désormais de 8 militaires tués et une vingtaine de blessés.
Le Hezbollah a ainsi réussi à opposer l’armée aux sunnites et à détourner l’attention de son implication en Syrie. Il a également réussi à passer sous silence la manifestation des Chiites opposés à sa politique organisée par le Courant de l’appartenance libanaise d’Ahmed Al-Assaad devant l’ambassade d’Iran. En échos au projet du Hezbollah, les partisans de Michel Aoun ont organisé un sit-in et coupé les routes à Beyrouth pour dénoncer les agressions dont est victime l’armée libanaise, exactement comme ils l’avaient fait après l’embuscade de Ersal. Les mêmes partisans semblent oublier les agressions menées par le Hezbollah contre l’armée : l’assassinat du général François Hage et du pilote d’hélicoptère Samer Hanna, pour ne citer que ces deux là.
Les Libanais sont ainsi appelés à bien canaliser leur colère et leur émotion. Certes, l’armée libanaise était et restera la colonne vertébrale de l’indépendance du Liban. A ce titre, elle est une ligne rouge qui doit être infranchissable. Mais les larmes de crocodiles versées par les uns et les autres, par opportunismes ou par machiavélisme, sont encore plus périlleuses pour le Liban que les attaques armés contre les militaires. Défendre l’armée sans mesurer la menace que représente le Hezbollah devient ainsi suicidaire pour tous, y compris pour le Hezbollah. Car, victime de sa puissance, le parti se laisse caresser par le contrôle du Liban, ce qui précipitera sa fin définitive.
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Stefano B. C.