accompagné
par la maîtrise vocale d'Aschkel
Par Marc Brzustowski
Pour © 2011 lessakele et © 2011 aschkel.info
Dans les années 1970, les Etats-Unis ont été accusés de fomenter des coups d’Etats en Amérique Latine. On se souvient du Chili. Quel fut exactement, le rôle de la CIA, durant des périodes noires comme l' «opération Condor », qui fit, au moins, 30 000 desaparecidos en Argentine? Une fois la situation bien en main, il faut reconnaître à Jimmy Carter d’avoir incité à une certaine libéralisation dans ces pays, à partir de 1976. Il n’en perdait pas moins l’Iran du Shah, 3 ans plus tard, puis son successeur, la maîtrise des évènements au Liban.
Même si les Etats-Unis ont soutenu jusqu’à la veille les régimes autoritaires du Moyen-Orient, un renversement de tendance se fait jour. Depuis le début de la crise en Egypte, le 25 janvier, l’Administration Obama s’est faite militante et particulièrement pressante, prenant faits et causes pour la rue. Elle s’est affichée contre Hosni Moubarak, dont elle réclamait, à mots à peine couverts, la tête. Le véritable problème commence lorsque les pressions qu’elle exerce sur ces pouvoirs excitent les foules à des revendications maximalistes et proprement ingérables, en matière de gouvernance. La situation tient alors de l’anomie sans régulation possible, comme aurait dit Emile Durkheim.
Au soir du 10 février, nous voilà captivés par le petit écran, dans l’attente de l’évènement mondial. Dès le matin, le patron de la CIA, Léon Panetta, est venu nous l’annoncer : Moubarak, conformément au souhait de la Maison Blanche, doit, très vraisemblablement, donner sa démission. Et qui sait ? Partir. Dans la journée, d’autres informations suggèrent que les Emirats Arabes Unis s’apprêtent à offrir l’asile politique à l’ancien dictateur déchu, humilié, exilé en son propre palais.
Force est de constater que nous avons assisté à un non-évènement de simple passation de pouvoir en direction d’Omar Suleiman, ses renseignements et son armée, comme il était facile de le prédire sans risque, depuis le 30 janvier, soit le début de la crise (: lCI).
N’y a t-il rien d’étrange à ce que Panetta, l’homme le plus secret du monde, se change soudain en Monsieur Transparence et se fasse présentateur télé des nouvelles du soir ? Au plus, devrait-il s’autoriser à glisser ce qu’il sait à l’oreille de son Président afin d’ajuster les meilleures décisions avec les toutes dernières informations et l’anticipation de leurs conséquences. Diane Feinstein, élue démocrate à la Commission du Sénat sur le Renseignement, pointait, dès la semaine précédente, de graves lacunes, les agences américaines étant incapables, selon elle, d’apporter « une évaluation en temps réel » aux décideurs. Elle leur reproche, notamment, de ne pas même être au fait des informations en accès libre sur Facebook, malgré les risques pointés, par ces mêmes services, fin 2010, d’une déstabilisation de la région.
Cette fois, donc, on prend les devants, en inoculant l’information pour être presque certain d’en conserver la maîtrise et de retirer le bénéfice de l’évènement.
Mieux encore, tout au long de la soirée, pendant qu’on annonçait le discours de Moubarak dans l’heure qui suit, le Président Barack Obama, en jeune professeur de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fait un discours inaugural, retransmis par les chaines américaines, sur la nouvelle ère en gestation au Moyen-Orient. Il réaffirme son engagement personnel auprès des peuples en révolte. Ces apparitions ont détonné, comme s’il se faisait fort de prendre de vitesse l’histoire en cours. La concurrence des acteurs bat son plein : il fallait être là et s’imposer sans attendre le contenu de ce qu’on savait déjà, puisque Panetta l’avait révélé le matin même.
Le public à capter n’était pas tant américain, du reste, qu’assemblé sur la désormais fameuse place Tahrir, devenu le centre de l’attention mondiale. C’est à ce peuple égyptien impatient que Barack Obama allait pouvoir, dans quelques instants, annoncer en direct, que le perroquet Moubarak avait enfin plié bagage et s’était soumis à son maître américain. Barack Hussein, prince d’Egypte !
Des observateurs français faisaient part, sur la chaîne Itélé, du sentiment de certains de leurs informateurs égyptiens, de vivre un véritable « Woodstock » égyptien. Des « hippies » barbus, en sandales, keffieh et djellaba sont à nos portes ! Depuis des semaines, toutes les chambres d’hôtel donnant sur la place Tahrir, avaient été retenues à l’intention des correspondants des chaînes internationales. Peu d’images, en revanche, ont filtré, en provenance de l’arrière-pays. Non, c’était bien là, l’arène où le matador Obama allait donner le coup de grâce au taureau Moubarak !
C’est encore faire fi de la brouille profonde qui s’est instauré entre l’Arabie Saoudite, première puissance pétrolière mondiale, et l’Administration, si ce n’est l’homme, Obama. Des rumeurs ont circulé, ce même matin du 10 février, selon lesquelles le Roi Abdallah était mort d’une crise cardiaque au cours d’un appel téléphonique du Président américain. Du jamais vu dans l’histoire des relations internationales : un Président tue par mégarde le roi du pétrole, à cause de sa gestion inqualifiable des affaires proche-orientales. Aussitôt les marchés financiers plongent dans le rouge. Puis vient le démenti. Mais, de fait, le Roi Abdallah, ami de Moubarak, reproche amèrement à Obama son lâchage de l’Egyptien, ainsi que celui de Saad Hariri au Liban. Il fera tout pour garantir la stabilité de l’Egypte, mais s’apprête, contre la politique américaine, à tenter le rapprochement avec l’Iran.
En réalité, nous sommes témoins d’une réelle désarticulation des équilibres géostratégiques : la Chine est devenue l’un des acteurs de tout premier plan et l’Amérique affiche son déclin et sa dépendance, par addiction à l’image, tout en se donnant le rôle de la puissance qui instaure le « changement ». Obama, mixte d’idéologie et d’opportunisme, subit ces inflexions, tout en tâchant de se mettre à jour. Pékin n’est pas vraiment embarrassé par les questions de liberté civique et de droits de l’homme. Encore moins ne se pose t-il de question sur l’opportunité d’accéder à des ressources énergétiques essentielles auprès de régimes peu scrupuleux. Et, pourtant, dans l’esprit de beaucoup, la place Tahrir est devenue Tien An Men. Et pourtant, tout à l’unilatéralisme du discours construit par les médias, peu se sont réellement interrogés sur le silence, et la censure imposée par les services chinois aux mots-clés : Moubarak, Egypte, Tunisie, etc. Ni sur le sentiment en Chine et en Russie, au sujet de l’agenda et du tempo, apparemment imposés par l’Amérique.
La valeur symbolique des slogans auxquels s’accrochent les médias américains et européens ressemble à s’y méprendre aux subprimes et autres produits financiers dits toxiques, qui ont plombé les marchés financiers, en novembre 2008. Ils annoncent un « changement », une « transition », mais ne garantissent rien le jour d’après. Le Président Obama est devenu le courtier international de ces transactions occultes.
Si le discours se nourrit de symboles, on s’oriente vers une stabilisation malgré tout, à travers le nouveau régime d’Omar Suleiman, sujet à des secousses telluriques qui ne sont pas prêtes de s'estomper. Il a pour mission essentielle d’empêcher l’effondrement de l’économie de l’Egypte et de veiller à ce que les Islamistes, comme en Algérie dans les années 1990, ne détournent pas l’élan démocratique à leur profit. On dit cet homme du renseignement proche d’Israël, curieux de tout ce qui s’y passe, avide d’informations sur la guerre secrète entre l’Etat hébreu et la révolution islamique. Surtout, il reste l’homme-pivot des difficiles relations entre les pays arabes dits modérés et l’état juif. Donc un garant authentique, quant à lui, de la paix régionale. Lui seul est capable de ramener le roi saoudien à plus de mesure, évitant qu’il n’aille trop loin dans l’ouverture des relations avec Téhéran.
Suleiman sera concurrencé, lors des élections de septembre, par Amr Moussa, l’homme de la Ligue Arabe et Mohammed El-Baradeï, celui des Frères Musulmans et de l’Iran. Contrairement aux grands élans médiatiques gorgés de spontanéisme, aucun de ces trois principales figures de proue n’a particulièrement l’aura d’un grand démocrate. Si le pays des Pharaons survit au chaos qui menace toujours, sa « révolution » devrait accoucher d’une souris. Suleiman a tout intérêt à lâcher du lest aux instances de contre-pouvoir tout en empêchant qu’elles ne tombent entre les mains des réseaux fédérés par les deux autres candidats potentiels.
Le Moyen-Orient est, désormais, à même d’afficher son indépendance relative vis-à-vis de Washington, à travers des dirigeants stables et responsables, deux notions-clés qui ont déserté la Maison Blanche. Le contre-modèle de la « révolution iranienne » n’est pas la démocratie occidentale, ni le régime autoritaire traditionnel de Moubarak. Il s’agira d’une troisième voie de pluralité politique et économique, fondée sur des relations conviviales avec la Russie, l’Inde et où le poids grandissant de la Chine, sur l’échiquier, comptera autant que le partenaire américain, devenu facteur d'ambiguïté, de troubles et d’instabilité. Il faudra de l’esprit d’innovation et le goût du risque à proposer aux « émergents », et non plus vivre sur les tas d’or tirés des richesses du sous-sol. Ces valeurs-clés, un seul pays voisin de l’Egypte en dispose…