Excellente analyse de J.P Bensimon
Le jour où Catherine Ashton franchit le mur du çon, ou pourquoi l’Union européenne n’aura pas de politique internationale
Catherine Ashton n’est pas n’importe qui. Membre du parti travailliste anglais, elle s’est illustrée depuis longtemps dans les causes de la gauche européenne en particulier celle du désarmement nucléaire. Cette militante qui n’a jamais été élue, a connu sous l’aile de Tony Blair une rapide envolée de sa carrière. Nommée pair à vie, elle a été reconnue comme le leader de son parti à la Chambre des Lords. Et voila que Gordon Brown lui a permis d’être nommée au poste enviable de Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Elle est censée représenter l’Union européenne et donner consistance à une arlésienne, la politique internationale du vieux continent.
Avant de prendre dimanche la route du Proche Orient (elle doit prononcer un discours programme au Caire), Catherine Ashton a lancé de fortes paroles, exclusivement des accusations et des injonctions adressées à Israël.
En voici quelques unes : « Nous avons besoin d’un règlement de paix négocié et il faut qu’il aboutisse rapidement, tout de suite. ». Parlant de Netanyahou elle a ajouté : « il est dans une position unique, il a une bonne cote en Israël et, ce qui n’est pas toujours le cas, il y a eu un mois de calme relatif…La possibilité d’un calme à long terme et la prospérité…cela ne peut être obtenu qu’à condition d’arriver à un règlement... Aujourd’hui, il n’est pas trop tard mais si on attend encore plus de deux ans il sera trop tard… Ma visite est le signe de l’importance que l’Union européenne attache à des relations étendues, en profondeur, avec nos partenaires méditerranéens et le monde arabe. »
Résumons. Mme Ashton veut des négociations israélo-palestiniennes maintenant. Et à qui adresse-t-elle cette demande qui est une accusation sans voile ? A Netanyahou, c’est-à-dire à Israël. Or dès sa prise de fonctions il y a 11 mois environ, Netanyahou a proposé une reprise immédiate des pourparlers. Les Palestiniens ne manifestèrent aucun empressement.
C’est alors que se déploya la première version de la politique Obama envers le monde arabe qui se traduisait par un flot de demandes humiliantes à Israël, au premier chef le gel immédiat et total de la « colonisation » en Cisjordanie et à Jérusalem Est.
Voyant cela, Mahmoud Abbas et les siens conclurent très logiquement qu’ils n’avaient qu’à se croiser les bras et laisser l’Amérique faire plier Israël pour leur compte.
Désireux d’épargner autant que possible une dégradation des relations israélo-américaines, Netanyahou fit alors deux concessions majeures. L’accord pour la création d’un état palestinien (qui n’était pas dans son programme) et un gel temporaire des constructions dans les implantations de Cisjordanie, mais pas à Jérusalem, la ville devant rester la capitale unifiée d’Israël.
L’administration américaine accueillit favorablement ces concessions, jugeant le moment venu de reprendre des négociations. Elle se heurta alors au refus de Mahmoud Abbas qui avait entretemps allongé la liste de ses exigences : gel total des constructions, accord préalable pour une partition de Jérusalem, etc. Nous sommes à la fin octobre 2009. Depuis, près de cinq mois se sont écoulés, et les Palestiniens campent sur leur position de refus de négocier, sans tout à fait rejeter l’hypothèse fragile de négociations indirectes arrachée par l’envoyé d’Obama, Georges Mitchell.
Et au lieu d’interroger Mahmoud Abbas ou la mascotte de l’Occident Salam Fayyad, Mme Ashton met en cause Israël et Netanyahou, qui sont prêts à commencer demain des négociations directes !
Comment expliquer cette inversion de la réalité ? Mme Ashton est-elle totalement ignorante du conflit proche-oriental ? Elle l’est assurément. Son épreuve de compétence devant le parlement européen a été désastreuse et elle n’a jamais travaillé sur les problèmes internationaux. Mais elle n’est pas seule. Ses déclarations ont été soigneusement préparées par son état-major et elles reflètent la politique de la majorité des états-membres de l’Union consistant à battre Israël comme plâtre pour espérer les faveurs arabes.
En tout état de cause, Mme Ashton a accusé Israël de ne pas faire ce qu’Israël essaie vainement d’entreprendre, laissant entendre que les Palestiniens sont privés de pourparlers du fait des Israéliens. Elle attribue à Israël un refus qui émane exclusivement des Palestiniens. L’état juif se trouve un peu dans la situation des Juifs allemands à l’époque nazie. Ils étaient accusés de vouloir la guerre. Mais c’étaient leurs accusateurs et non eux qui voulaient la guerre.
Le renversement des rôles entre Israéliens et Palestiniens ne se cantonne pas aux négociations. Ashton et l’Union européenne font dépendre la création d’un état palestinien de la volonté des Israéliens : les Palestiniens désirent un état pour réaliser leurs aspirations nationales et Israël le leur interdit, ouvertement ou en catimini.
Or il ne faut pas être grand clerc ni grand historien pour savoir que tout au long d’une histoire presque centenaire les Palestiniens ont toujours refusé la création d’un état palestinien assorti de la pérennité d’Israël. Les refus palestiniens les plus récents sont ceux de Camp David en juillet 2000, de Taba au début 2001 et celui opposé par Abbas à Olmert en 2008.
En juin 2009, Saëb Erekat, le responsable palestinien des négociations affirmait : “Il y a eu une érosion régulière des positions israéliennes au cours des années, au point qu’ils ont récemment offert aux Palestiniens 100% du territoire; les Palestiniens n’ont donc aucune raison de se précipiter pour accepter les offres d’Israël. » (Memri 13 juillet 2009). Cette déclaration donne l’idée la plus exacte de la volonté palestinienne d’une négociation, a fortiori d’un accord.
Presqu’au même moment, Abbas Zaki, l’ambassadeur de l’OLP au Liban, un des grands notables et penseurs de l’OLP, précise encore le point de vue palestinien. « A mon avis, avec la solution des deux États, Israël s’effondrera, parce que si on le chasse de Jérusalem qu’en sera-t-il de tous les discours sur la Terre Promise et le Peuple élu ? A quoi auront servi tous les sacrifices qu’ils ont faits ? Seulement à être contraints de partir ? Ils considèrent que Jérusalem a un statut spirituel. Les Juifs considèrent que la Judée et la Samarie est une part intégrante de leur rêve historique. Si les Juifs quittent ces endroits-là, l’idée sioniste commencera à s’effriter. Elle régressera d’elle-même. Alors nous irons de l’avant. » Déclaration télévisée du 7 mai 2009 (http://www.memritv.org/clip_transcript/en/2109.htm).
Mme Ashton, son équipe d’experts et l’Union européenne dans son ensemble, ne sont ni sourds ni mal informés. Ils savent tout cela, ils savent que les Palestiniens, en tout cas ceux qui les représentent, ne veulent ni négociation ni paix. Ils savent que ce que les Palestiniens veulent c’est la fin d’un pouvoir non islamique dans ce qu’ils estiment être la terre d’islam, la fin de l’état juif.
Mais ils croient que leur influence auprès des Arabes dépend de degré d’obséquiosité qu’ils sauront manifester, et que pour flatter les Arabes il faut accabler Israël.
Malheureusement l’influence dans les affaires internationales n’a jamais été acquise par la flatterie et la simple bassesse. Elle repose sur la force de l’acteur, sur la cohérence de sa vision et sa capacité à faire valoir des solutions réalistes. Elle repose aussi sur l’identification des vrais enjeux. Or aujourd’hui, pour les états arabes comme pour Israël, le problème c’est l’Iran nucléaire. Qu’il s’agisse de la force, de la cohérence et de l’unité, qu’il s’agisse du diagnostic et des solutions, l’Union européenne est un non-acteur, une impuissance, et Mme Ashton est l’incarnation de cette impuissance.
On va l’entendre tonner et accuser cette semaine, et puis on ne l’entendra plus. Le rapport des forces se noue pour l’essentiel en dehors de l’Union européenne et de son « haut représentant ». Qu’ils gesticulent si ça leur chante !
Gerard.David 15/03/2010 23:23