Le 26 février fut une journée triplement historique : historique d’abord parce que le régime a imposé un référendum sur la nouvelle Constitution ; historique deuxièmement parce que le peuple a encore une fois surmonté le mur de la peur et boycotté les urnes ; historique ensuite parce les opposants ont osé incendier trois bureaux de vote à Deir Ez-Zor en dépit de la répression et manifester au cœur de Damas en brûlant des copies de la Constitution ; historique enfin parce que le régime n’a pas peur du ridicule dans la mesure où il a ouvert autant les urnes que le feu de ses chars, faisant 70 morts...
Le peuple syrien se souviendra longtemps de cette journée. Au moins, jusqu’au renversement du régime et le remplacement de cette Constitution qui ressemble davantage à une mascarade électorale qu’à l’exercice réel de la démocratie. Cette journée fut historique par l’ampleur de la fraude organisée et légalisée. Il s’agit d’un « foutage de gueule » par excellence. Les 14 millions d’électeurs syriens ne disposent pas de cartes d’électeurs, et doivent voter grâce à n’importe quelle pièce d’identité (Carte nationale, passeport, permis de conduire). Les listes électorales ne sont pas à jour, et n’importe qui peut voter n’importe où - donc plusieurs fois !! La preuve c’est que des ouvriers syriens saisonniers au Liban ont pu voter à la frontière entre les deux pays, dans des urnes installées pour l’occasion !! La preuve réside aussi dans cette vidéo, montrant une partisane d’Assad venue voter à la place de ses enfants immigrés !!
Mais tous ceux qui se sont déplacés aux urnes ne sont pas forcément favorables à la nouvelle Constitution. Ils redoutent tout simplement les mesures de rétorsion administratives ultérieures, s’ils ne disposent pas du cachet « a voté »... Et à partir du moment où ils franchissent la porte du bureau de vote, la peur d’être filmés les empêche de cocher la case réservé au « refus de la Constitution ». Ils sont donc contraints d’approuver. Le piège est implacable !!
Le piège est aussi implacable parce que le régime prend de la main gauche ce qu’il fait semblant de donner de la main droite. Il a supprimé l’article 8 maisverrouillé le reste de la Constitution. Non seulement le président Assad peut achever son mandat, mais il a le droit à briguer deux nouveaux septennats. Il compte ainsi rester au pouvoir au moins 16 ans encore !!
Le piège est implacable parce que le régime fait semblant de laisser la porte ouverte aux amendements, pour tromper le monde. Le père Tony Dora, un soutien à Bachar Al-Assad, contribue à cette campagne en reconnaissant, dans une interview publiée le 24 février par le site de propagande Dampress. Il tend à donner un certain crédit au référendum, affirmant que tout citoyen doit se prononcer et peut rejeter la Constitution. Il avoue que « puisque le texte porte en lui-même des contradictions flagrantes, et puisque plusieurs articles sont rejetés par la majorité des Syriens, je vais voter contre. Mais nous allons travailler pour introduire des amendements au texte, comme la loi l’autorise, 18 mois après sa promulgation et son entrée en vigueur ». Or, à juste titre, le régime compte mettre à profit ces 18 mois pour achever le mouvement de contestation, arrêter ou pousser les rescapés à l’exil !! Après quoi, la Constitution n’aura plus lieu d’être.
La journée du 26 février fut historique car à l’hypocrisie du régime syrien se sont ajoutées les déclarations de la secrétaire d’Etat américain, Hillary Clinton. Après avoir appelé les militaires et les hommes d’affaires à cesser leur soutien à Assad, Clinton a déclaré, dans une interview accordée à la télévision « CBS News » depuis le Maroc, où elle effectue une tournée maghrébine, que « les Etats-Unis redoutent que des armes envoyées à l’opposition syrienne pour se défendre ne tombent entre les mains d’Al-Qaïda ou du Hamas palestinien », les deux mouvements étant considérés comme des organisations terroristes.
Les Syriens hésitent à qualifier et à quantifier ces propos. « Relèvent-ils d’une ignorance grave de Washington, qui est censé savoir qu’Al-Qaïda a toujours été exploitée par le régime syrien en Irak et au Liban notamment ? » La CIA l’avait pourtant reconnu dans un rapport rendu public début février 2009. Les Américains sont également censés savoir que les opposants en général, et l’Armée Syrienne Libre en particulier, ont catégoriquement rejeté la dernière sortie d’Ayman Al-Zawiri appelant à la lutte contre Assad. Washington n’est pas sans savoir non plus que Burhan Ghalioun, président du Conseil National Syrien (CNS), avait annoncé, le 9 décembre 2011, que « la priorité du nouveau pouvoir, après le renversement d’Assad, serait la fin de l’alliance avec l’Iran, le Hezbollah et le Hamas... »
Si ces raisons semblent justifier le dégoût des opposants syriens, elles n’entament pas leur détermination à poursuivre leur mouvement pour la liberté et la dignité. Ils n’ont aucune intention de changer de cap et de s’arrêter avant le renversement du régime, estimant que l’arrêt du mouvement s’apparente à un investissement à « fonds perdus ». La fin de la contestation et le maintien d’Assad signifient en effet que tous ceux qui ont osé manifester contre le dictateur sont condamnés. La poursuite de la révolte sera ainsi moins coûteuse pour le peuple que l’abandon du rêve de liberté et de dignité.
Les opposants syriens relèvent au moins quatre erreurs d’appréciation américaines : la première erreur est que Washington confirme l’existence d’un complot universel tant dénoncé par le régime, mais qui semble de plus en plus profitable à celui-ci. La deuxième erreur porte sur le mauvais choix américain en Syrie. Car, au lieu de soutenir un peuple révolté et de gagner sa confiance, les Etats-Unis prennent le risque de perdre cette confiance pour de longues décennies. La troisième erreur, découlant de la deuxième, est qu’en poussant les Syriens au désespoir, les Américains les poussent à s’allier avec le diable pour atteindre leur objectif. Enfin, la quatrième erreur, et de loin la plus douloureuse, est cette facilité à prendre les Syriens pour des mineurs. Là aussi, les Syriens hésitent entre l’ignorance et la duplicité. Mais le résultat est le même.
Stefano B.C.