Bachar Al-Assad est conscient que son régime est rejeté par la majorité du peuple syrien. Depuis la chute du tunisien Ben Ali, en janvier 2011, Assad a ordonné le renforcement du dispositif répressif en Syrie, pour avoir une longueur d’avance sur ses opposants. Il a alors interdit les antennes paraboliques (14 janvier 2011) et imposé des récepteurs collectifs afin de censurer les télévisions étrangères et filtrer le flux d’information. Il a également renforcé la surveillance électronique, alternant « levée des restrictions sur Internet » et « cyber-attaques » contre les sites de l’opposition (4 février 2011). Mais ces mesures n’ont pas empêché le peuple de se soulever, en mars 2011, et de communiquer avec l’extérieur en dépit de la censure. Le renforcement de la lutte électronique devenait alors indispensable pour la survie du régime. Le clan au pouvoir s’étaitassocié avec le clan de Ben Ali en Tunisie (28 janvier 2011), et plus particulièrement avec Sakher el-Materi, dans la lutte électronique, en vain.
Depuis lors, la République islamique a mis à la disposition de son allié syrien les techniques utilisées en Iran pour étouffer le « Mouvement vert ». Des voitures banalisées sillonnaient les rues syriennes pour capter, localiser et identifier les utilisateurs d’internet, coupables de transmettre les images et les vidéos de la répression. Mais ce dispositif s’est révélé insuffisant. La Syrie a alors exploité les radars mobiles russes de type Avtobaza et s’est tournée vers des entreprises occidentales pour traquer ses opposants.
Comme nous l’avions signalé le 4 novembre 2011, la firme italienne AREA basée à Milan a fourni du matériel sophistiqué pour intercepter et décrypter les messages électroniques et les échanges sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter). Selon des sources syriennes, « plusieurs entreprises américaines, allemandes et françaises (NetApp, NTAP et Qosmos) ont fourni une technologie capable d’archiver les échanges et de recouper leurs auteurs, afin de constituer une importante base de données électroniques ». Les mêmes sources ajoutent que « des instructeurs italiens ont séjourné à Damas pendant un mois pour entraîner les services syriens à utiliser ce matériel importé clandestinement depuis l’Italie via les réseaux iraniens en Afrique ».
Cette base de données ainsi constituée a été recoupée par « l’armée électronique de Bachar Al-Assad », qui s’occupe également de la propagande pro-régime sur les réseaux sociaux et des attaques électroniques menées contre les sites de l’opposition. Cette armée électronique passe en revue les messages interceptés et les vidéos postées par les opposants afin de définir les priorités dans la lutte contre l’opposition. Elle identifie les manifestants sur les vidéos, et les citoyens qui acceptent de témoigner sur les télévisions étrangères et ordonne leur arrestation.
Parallèlement à ce travail de terrain, le régime a légiféré en matière de « commerce électronique et de lutte contre le piratage et la cybercriminalité », prévoyant de lourdes peines et autorisant la justice à utiliser légalement les échanges électroniques comme des pièces à conviction. Ainsi, le virtuel devient réel pour traquer les activistes !
Grâce à cette base de données constituées depuis plusieurs mois, le régime a procédé, le 16 février 2012, à l’arrestation d’activistes à Damas, Daraya, Barza, Tall, Alep, Hama et Deraa... comme le journaliste et activiste Mazen Darwich et la blogueuse Razzane Ghazzawi (la France a réclamé leur libération, le 15 mars). Le même procédé a été utilisé pour localiser le centre de presse de la révolution, à Baba Amro à Homs, et de le bombarder, le 22 février, tuant les deux journalistes Rémi Ochlik et Marie Colvin.
Le 14 mars 2012, le site Huffigtonpost.fr détaille les techniques utilisées par les services syriens dans la traque électronique, confirmant ce que Mediarabe.infoavait révélé en novembre 2011. Le même site explique, dans un article très documenté du 15 mars, comment Damas a piégé les utilisateurs d’Internet.
Pour conclure, il est aisé de constater qu’en autorisant l’accès « libre » à la toile, au début de la révolte, le régime a utilisé une vieille technique bien rodée par les dictatures. Elle consiste à « permettre aux opposants de se montrer pour mieux les compter et les décapiter » !
L’implication technique, directe ou indirecte, de gré ou de force, de certains Occidentaux dans la traque des opposants syriens, et dans les crimes commis par le régime, est ainsi établie. Mais qu’en est-il de leur responsabilité morale ?
Dario S.