Silence, la Russie vote...
Iran : Concours de paysage apocalyptique et crise des missiles de Cuba en plein Moyen-Orient.
Par Marc Brzustowski
Jamais les souvenirs lointains de la Guerre Froide n’ont été aussi prégnants. A l’heure de la visite prévue du Ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov et de son chef des renseignements extérieurs, à Damas, le régime Assad vient de reprendre ses bombardements aériens de Homs, Zabadani et de plusieurs autres localités. L’opposition annonce déjà 50 morts au petit matin. Ces massacres en série, sont eux, bien réels, au vu de toutes les menaces virtuelles utilisées pour permettre leur perpétuation sans que nul n’ose dépasser le stade de l’indignation codifiée. Parallèlement, le Hezbollah annonce qu’en cas d’intervention étrangère dans la crise syrienne, il tirera, en toute logique (?), ses roquettes et missiles sur Israël. Un blogueur iranien appelle Ali Khamenei, le Guide Suprême, à raser Israël en 9 minutes. Et, le New York Times, les diplomates européens ne sont pas en reste, pour… prévenir toute attaque préventive israélienne contre les installations nucléaires iraniennes, pourtant source de tous les maux…
Ce matin, l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat, en poste au Pakistan, affirme qu’Islamabad ne pourrait rester les bras croisés et serait forcé d’appuyer les représailles iraniennes en cas de frappe d'Israël. On peut se demander ce qui permet cet ajout d’un belligérant atomique supplémentaire dans la boucle des menaces déjà fort peuplée : il semble reposer sur la répétition tautologique du fait accompli : puisque le Pakistan (et l’Inde, allié d’Israël) dispose déjà de la bombe, pourquoi ne s’en servirait-il pas ? Et par conséquent, pourquoi l’Iran devrait-il en être privé ? Jusqu’à présent, jamais Islamabad n’a proféré de menace de cet ordre, trop préoccupé par son propre bras de fer avec l’Inde, autour du Cachemire et de l’Afghanistan. Nous obtenons-là le premier tableau apocalyptique multipolaire, où, n’importe quel Docteur Folamour armé réellement ou potentiellement de la bombe s’apprêterait à la faire monter dans la balance pour le grand bal des débutants au jeu de la fin du monde…
Un autre diplomate européen met en exergue que les pays du sud de l’Europe, déjà fragiles, comme la Grèce et l’Italie, seraient les premières victimes de l’accentuation de la crise par la guerre. Mais, une fois encore dans la description du fait accompli, la crise de l’eurozone précède et accompagne le développement des tensions au Moyen-Orient ou celles liées au « Printemps Arabe », et il n’existe pas de situation où seuls les pays économiquement sains et bien-portants seraient susceptibles d’entrer en conflit. Voire, c’est souvent l’inverse qui se passe. La seule prospective européenne de défense passive de ses richesses, en la matière, c’est l’OPA que réalise la Chine à chaque nouvelle entreprise ou chaque nouveau port industriel, susceptible de tomber dans son escarcelle.
La crise syrienne et les progrès vers la bombe iranienne sont étroitement imbriqués. Téhéran -et, en arrière-fond, Moscou, voire Pékin qui se veut neutre et non ingérant,- se sert de la tragédie qui s’intensifie en Syrie comme décompte à rebours des jours qui le séparent du fait accompli. Protégé par ses missiles balistiques, l’Iran pourrait alors se passer de Bachar et trouver d’autres voies pour allonger le bras jusqu’en périphérie d’Israël.
Comme les forces al Qods de Qassem Souleimani, préssenti par le Guide comme son prochain Président favori d’Iran, l’ont fait en Irak, elles pourraient choisir d’armer, aussi bien un côté que l’autre, pour garder une certaine maîtrise de la situation par le chaos. Et, quoi qu’il en soit, le vainqueur leur devrait toujours une fière chandelle. Même si le chef du Conseil National Syrien, Burhan Galioun menace Nasrallah de mesures de rétorsion, s’il soutient ostensiblement Assad, cela signifie aussi qu’un certain modus videndi entre la future Syrie et le mouvement chi’ite pourrait perdurer, au cas où il changerait d’avis.
L’improbable résolution de la crise syrienne que le Conseil de Sécurité de l’ONU s’emploie à faire baigner dans son sang quotidien, prix exigé par Vlad. Poutine le vampire pour sa réélection, n’augure donc que partiellement d’un recul temporaire de la menace iranienne et de son bras armé libanais.
Restent les tergiversations, accompagnées de sanctions plus ou moins ineffectives, de l’Administration Obama. Il s’agit de tordre le bras d’Israël, dépeint comme le velléitaire de toute cette crise, prêt à agir pour le propre compte de sa sécurité. C’est, quand même, un comble, ou à quoi servirait l’Etat de droit, à l’heure de la mondialisation proliférante des menaces ?. Ce jeu, orchestré par le Président américain et son Secrétaire à la Défense, Léon Panetta, ne pourra durer que jusqu’en mars, date à laquelle les inspecteurs de l’AIEA rendront leur rapport sur la « coopération » de l’Iran aux inspections. Autant dire que cet ultime rapport fera l’effet de celui précédant la guerre du Golfe II, où il s’agissait de s’assurer des bonnes intentions de Saddam Hussein. C’est pourquoi Panetta a parlé d’avril, mai ou juin, comme dates fatidiques qu’il dit craindre, d’une intervention militaire unilatérale de l’Etat hébreu. Il faudra à la Maison Blanche activer rapidement un quelconque téléphone rouge. Mais qui est encore abonné à ces vieilleries, à l'heure où le doigt actionnant la gâchette devance, et de loin, les causeries policées en vue d'un "gentleman agreement"?
La multiplicité des acteurs potentiels et des fronts rend la situation d’autant plus électrique et imprédictible. A la menace atomique s’ajoute le péril asymétrique en périphérie directe d’Israël, mais aussi des pays du Golfe, fournisseurs du pétrole (menace de fermeture du Détroit d’Hormuz), ainsi que la guerre civile syrienne, que les diplomaties continuent de présenter comme un "risque", à l'heure où elle bat son plein depuis des mois. Retard à l'allumage...
Léon Panetta et Barack Obama ont à cœur de ne pas laisser Netanyahou et Barak jouer le rôle des Kennedy dans la résolution de la crise des missiles de Cuba, en octobre 1962. Mais, à l’époque, la menace se dressait face à Miami et les sous-marins nucléaires soviétiques patrouillaient dans les eaux proches des Etats-Unis. Kennedy était d'autant plus crédible qu'Harry Truman n'avait pas renâclé, par deux fois, à faire preuve du sérieux de ses menaces : le Japon s'en souviendra éternellement. La justification de cet acte continue de faire débat 63 ans après les faits. Détruirele potentiel nucléaire iranien prêt à l'emploi n'est, en rien, équivalent, au risque de laisser à Téhéran le loisir de se prendre pour le maître du monde...
L’Amérique et la Russie, se sont, depuis, habituées aux guerres par procuration qui ne les impliquent que dans un rôle symbolique de leaders du monde : faites ce que je dis, pas ce que j'aurais fait. Le Moyen-Orient disposait de tous les atouts pour figurer un magnifique tableau d’opérations. On sait qu’alors, dans les années 60, il s’en était fallu de très peu pour éviter l’apocalypse. On en est très proche aujourd’hui, d’autant que l’idéologie même qui tient debout le régime des Mollahs ne s’inspire que de surnaturel et de conspirations devant renverser tout ordre rationnel.
Toutes les doctrines échafaudées de dissuasion sont donc des espèces de façon d'éviter la guerre menacées de disparition sous le chaos engendré par la non-gouvernance du monde. Tout le reste n'est après, qu'entropie. La pire crise pétrolière accompagnera l'accès de l'Iran à la bombe, faisant danser l'OPEP au son de la flûte du 13ème Imam, le Détroit d'Hormuz implosera bien, quoi qu'à rebours, la Syrie baignera encore longtemps dans le sang...
De concert, Bachar al Assad, Ali Khamenei, et indirectement, Vladimir Poutine, sont prêts à survivre au prix du dernier vivant au Moyen-Orient. Obama n’espère sa réélection qu'à reculons, sous la pression de Mitt Romney et du déclin économique. La cour ostensible que mène Ahmadinedjad en Amérique Latine est là, néanmoins, pour rappeler à cette Administration molle, que l’Iran a l’ambition de se substituer à l’Union Soviétique d’alors et que son périmètre de déstabilisation ne s’arrête pas à l’autre hémisphère. Cette menace émergente, appuyée par le Venezuela et quelques autres latins sort progressivement l’électorat américain de sa torpeur isolationniste et de ses bons sentiments pour le reste du monde…