Radio France apporte un soutien remarqué à Charles Enderlin. France Inter l’avait déjà reçu dans son émission « Partout ailleurs », le 8 octobre 2010 et France Culture dans ses « Matins » le 11 octobre suivant (1). France Inter lui a consacré à nouveau une émission dans le cadre de sa série « Rendez-vous avec X », samedi 27 novembre, de 13h20 à 14h.
C’est donc la troisième fois en moins de deux mois qu’elle assure sa promotion. M. Enderlin a publié, en effet, en octobre dernier un livre intitulé « Un enfant est mort » qui, comme son titre à leurre d’appel humanitaire l’indique, est un plaidoyer pour justifier son reportage controversé sur la mort d’un enfant palestinien de 12 ans, Mohammed Al Durah, à un carrefour de Gaza, le 30 septembre 2000. Sans avoir été présent sur les lieux et en se fiant au seul témoignage de son caméraman, il avait imputé cette mort aux tirs israéliens.
Or, de l’enquête menée par plusieurs personnes dont Philippe Karsenty, animateur d’un site d’observation des médias, il ressort nombre d’indices qui conduisent à mettre en doute cette thèse. On aurait pu attendre d’une chaîne publique de radio qu’elle pratique le doute méthodique et se montre rigoureuse dans l’examen des indices qui fondent l’une et l’autre thèses. Eh bien ! Pas du tout ! De l’aveu même de l’animateur de l’émission, Patrick Pesnot, X « « (a instruit) un vrai procès à charge ». Pourquoi pas, si les charges sont évidentes ? Or, elles n’ont pas l’air de l’être tant que ça, à voir les arguments avancés par X : ce sont des leurres dont un agent secret à le secret ! i Ils permettent d’esquiver avec soin tout examen précis des indices de la thèse adverse, et tendent donc, par retour de boomerang, à la confirmer.
1- L’argument d’autorité
Le premier argument brandi par X est l’argument d’autorité qui tire sa puissance du seul réflexe de soumission aveugle que déclenche la parole d’une autorité comme si celle-ci ne se trompait jamais ni ne trompait. On en relève plusieurs variantes.
1- Charles Enderlin est présenté d’abord comme un journaliste d’exception, donc à la crédibilité incontestable en toutes circonstances : « Je ne connais pas Charles Enderlin, observe X d’entrée, mais j’admets avoir été souvent impressionné par la lucidité, l’objectivité avec laquelle dans un contexte aussi passionné il effectue son travail de journaliste en Israël ». Son « travail a été honoré par plusieurs récompenses ». Et « en Israël, Enderlin demeure un journaliste respecté ».
2- On ne peut ensuite accuser Charles Enderlin d’être anti-israélien ni anti-sémite. Il est juif, né d’une mère juive autrichienne réfugiée en France et une partie de sa famille a péri à Auschwitz. Il vit en Israël depuis 1969 dont il a aussi la nationalité. Il y accomplit régulièrement ses périodes de réserve militaire obligatoire. Le responsable du site Rue 89 qui le connaît, raconte même que dans les années 90 « certains confrères l’accusaient plutôt de trop pencher pour Israël ».
3- Charles Enderlin n’était certes pas sur place lors de la tragédie, mais « il (connaît) parfaitement les lieux pour y être passé à de nombreuses reprises ».
4- Il a, d’autre part, une « confiance totale » en son caméraman palestinien, Talal Abou Rahma, dont les explications « l’ont convaincu ». Celui-ci est lui même professionnellement irréprochable et n’a jamais été pris en défaut. Les services de sécurité israéliens eux-mêmes ont démenti à son sujet catégoriquement toute affiliation à un mouvement nationaliste palestinien. Et il était sur place comme témoin oculaire.
5- Enfin, les autorités israéliennes n’ont pas repris à leur compte la thèse contraire à celle de C. Enderlin. Lui et son caméraman ont d’ailleurs conservé leur accréditation pour exercer en Israël.
- Observations
Ce portrait hagiographique permet, en attendant, d’esquiver les indices contradictoires soulevés par la thèse adverse.
1- Or, la qualité de M. Enderlin n’est pas en cause au départ : « Errare humanum est, perseverare diabolicum », l’erreur est humaine, c’est la persévérance dans l’erreur qui est diabolique.
2- L’absence sur les lieux de C. Enderlin , n’est toutefois pas contestée. Seulement, la connaissance alléguée qu’il en a, permet-elle de trancher le problème des responsabilités des tirs mortels ?
3- La présence de son caméraman suffit-elle aussi à fonder son témoignage ? L’usage d’une caméra dont on est embarrassé, ne peut-elle troubler l’observation d’un contexte alentour, du seul fait de l’attention réservée au sujet qu’on filme.
4- Enfin, si, dans un premier temps, les autorités israéliennes ont d’abord admis la responsabilité de leurs soldats, elles ont aujourd’hui corrigé leur point de vue pour adopter une position d’attente estimant que les responsabilités ne pouvaient pas encore être éclaircies.
2- Le leurre d’appel humanitaire
Un second leurre simultanément employé est le leurre d’appel humanitaire. Il vise à stimuler le réflexe de compassion envers la victime et symétriquement le réflexe de condamnation envers le bourreau. À cette fin,une distribution manichéenne des rôles est clairement établie par X.
1- La victime désignée ici est Charles Enderlin, objet d’une « vraie chasse à l’homme ». Il a été menacé « à son bureau et à son domicile ». Sa fille lycéenne, elle-même, selon ce qu’il écrit lui-même dans son livre, aurait été lors d’une épreuve orale du baccalauréat stigmatisée et sévèrement traitée par une examinatrice israélienne à la découverte de son identité.
La raison en serait les positions dérangeantes pour Israël défendues par C. Enderlin - et pourtant admises « par des historiens sérieux » - sur l’origine de la 2ème Intifada provoquée par la venue d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées quelques jours auparavant et sur le soutien apporté dans un premier temps par Israël au mouvement islamiste Hamas pour diviser les Palestiniens.
2- Les bourreaux sont évidemment les contradicteurs de C. Enderlin. Ils sont accusés de mener cette « chasse à l’homme », une « campagne anti-Enderlin » « omniprésente », une « inlassable campagne de dénigrement » et de développer une « propagande haineuse » ; « l’affaire Al Durah (ne servirait en fait)que de prétexte ».
Ces contradicteurs sont au surplus des adeptes des « thèses conspirationnistes ». L’un d’eux, Philippe Karsenty, fait même l’objet d’une attaque personnelle : il est présenté comme « étant très à l’aise », pour être un « ancien consultant en finance » et dénoncé comme le « moteur principal de cette campagne de dénigrement ». Il est accusé de mener une « croisade » et d’être un « lobbyiste très habile ». D’autres sont mieux traités comme l’ancien ambassadeur israélien en France Barnavi qui n’aurait été qu’une victime de l’ « acharnement incessant » de Philippe Karsenty.
- Observations
1- L’accusation de conspirationnisme est aujourd’hui l’arme favorite des chantres de « la mythologie de la transparence ». Elle stigmatise quiconque qui, instruit par Histoire, ose prétendre que le secret régit la relation d’information car nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. C’est vrai que l’expérience montre qu’autour de soi les acteurs de la relation d’information ont à coeur d’avancer à visage découvert. Soutenir le contraire ne relève-t-il pas de l’affabulation propre à la paranoïa ?
2- Le leurre d’appel humanitaire permet à son tour, d’autre part, d’écarter ce qui devrait seul importer : la réfutation des arguments de l’adversaire. La condamnation sans preuve des personnes dénoncées comme bourreaux vise à jeter en même temps le discrédit sur leur thèse tandis que la compassion suscitée par la victime doit inciter à accorder du crédit à la sienne.
3- Le leurre de la vaccine
Un troisième leurre est le leurre de la vaccine, ainsi appelé par R. Barthes parce qu’il procède comme un vaccin qui par inoculation de germes inactivés suscite la production d’anticorps salvateurs. Ce leurre consiste à reconnaître un peu de mal pour faire admettre un grand bien ou rejeter un plus grand mal.
1- X est, en effet, contraint de reconnaître un peu de mal : il lui est difficile de l’esquiver.
* C. Enderlin, concède-t-il, « a peut-être péché par imprudence en affirmant dans un commentaire que les tirs qui ont tué l’enfant étaient israéliens. Il s’est sans doute un peu trop avancé. ».
* De même, le caméraman a eu tort « dans ces premières déclarations, (d’affirmer) que les Israéliens avaient intentionnellement tiré sur l’enfant. Il ne pouvait pas le savoir. C’est évident. »
2- Mais ces erreurs évidentes reconnues, X ne porte pas davantage attention aux arguments de la thèse adverse. Le leurre de la vaccine feint, on le voit, de recevoir certains arguments gênants de l’adversaire car trop évidents mais pour mieux rejeter globalement sa thèse.
- Observations
1- Le caméraman a, par exemple, encore prétendu que les tirs ont duré une quarantaine de minutes. Au nombre de balles que tirent à la minute les armes automatiques de guerre en usage, c’est au moins un millier d’impacts qui aurait dû être relevé. Or, on n’en compte que 8 sur le mur près duquel se tenaient le père et son fils derrière un baril de béton.
2- De même, X écarte toute possibilité de montage en raison de la présence de nombreux autres reporters susceptibles de le démentir. Or, comment expliquer que le caméraman de France 2 a été le seul à filmer l’épisode de « la mort de l’enfant » ?
4- Le leurre de diversion
Des leurres de diversion sont ensuite multipliés pour toujours éviter l’examen de la thèse adverse.
1- X accable, par exemple, l’auditeur d’un luxe de détails inutiles censés replacer les faits dans le contexte historique : la 2ème Intifada, les provocations de Sharon, son arrivée au pouvoir en février 2001.
2- Ensuite il fait donner le leurre de l’ethnisme : le caméraman « est palestinien et c’est fondamentalement ce qu’on lui reproche ».
3- Puis, par sous-entendu, il insinue que la destruction des bâtiments près desquels se sont produits les tirs est un aveu de culpabilité de l’armée israélienne, puisque toute reconstitution du drame été rendue ainsi impossible.
4- Enfin, la thèse de l’adversaire qui dénonce une mise en scène est mentionnée, mais pour être aussitôt caricaturée en trois variantes sans examen sérieux des indices, aussitôt balayés d’un revers de main :
* l’une, qualifiée de « la plus extravagante », est celle qui voit dans ce reportage un montage palestinien de toutes pièces où tout est fiction, bruitage, acteurs, chiffon rouge simulant le sang, enfant différent montré à la morgue.
* Une seconde supposerait une simulation du père avec un autre enfant, le sien étant mort le matin.
* La plus « absurde » serait l’assassinat pur et simple de l’enfant par les Palestiniens à des fins de propagande.
- Observations
1- L’émission reconnaît, cependant, que cette mort de l’enfant près de son père a eu un grand retentissement dans les pays arabes et musulmans. « Ces images, est-il reconnu, (ont été) abondamment exploitées. Et d’abord, naturellement, et de façon parfois cynique, par le camp pro-palestinien. » Des timbres postaux ont même été diffusés à l’effigie du père et de son fils.
2- Mais jamais X ne procède à une contre-expertise des indices recueillis par la partie adverse.
- Une analyse balistique, par exemple, observe sur les images du reportage des impacts circulaires et non ovoïdes laissés par les balles sur le mur contre lequel se blotissaient le père et le fils derrière un baril de béton. Cette forme d’impact circulaire signe un angle de tir perpendiculaire par rapport au mur qui ne peut pas être attribué aux armes israéliennes qui, se trouvant orientées à environ 35 degrés par rapport au mur, auraient dû laisser des impacts ovoïdes.
- D’autres indices jettent aussi le doute, comme l’absence de traces de sang au sol malgré les puissantes hémorragies qu’auraient dû infliger les armes de guerre, ou la ressemblance incertaine entre l’enfant filmé dans le reportage et celui montré à la morgue, ou encore l’absence d’autopsie.
5- Le leurre par omission
Enfin un leurre par omission permet d’écarter l’autorité judiciaire qui jette précisément le doute sur la thèse défendue par C . Enderlin.
1- Sans doute, à la différence des deux autres émissions sur France Inter et France Culture qui l’avaient en toute malhonnêteté passée sous silence, la procédure judiciaire intentée par C. Enderlin et France 2 contre Philippe Karsenty a-t-elle été évoquée (1). Mais pourquoi X l’a-t-il présentée dans la plus grande confusion ?
2- Il ne ressort clairement que la condamnation pour diffamation en première instance de Philippe Karsenty par le tribunal correctionnel de Paris, le 19 octobre 2006.
3- Et si sa relaxe, le 21 mai 2008, par la Cour d’appel est rapidement mentionnée, les auditeurs n’ont sûrement pas compris grand chose aux motivations de cet arrêt.
- X a mélangé deux autres procédures intentées par Philippe Karsenty et conclues deux ans plus tard en 2010, l’une contre l’Express qui l’avait injurié dans un article sur une émission de Canal + présentant l’affaire, et l’autre précisément contre Canal + à propos de cette même émission. P. Karsenty a été débouté contre L’Express, le 1er juillet 2010, mais Canal + avait été précédemment condamné, le 10 juin 2010 (2).
- X signale certes que la Cour d’appel a jugé P. Karsenty « de bonne foi » mais en s’empressant de souligner que l’affaire est maintenant devant la Cour de Cassation sur pourvoi de C. Enderlin et de France 2.
- Il se garde bien, en revanche, de mentionner les motifs de la Cour d’appel. N’est-ce pas pourtant important ? L’élément constitutif de la diffamation est la mauvaise foi. Or, l’enquête de P. Karsenty a été jugée suffisamment sérieuse et légitime pour que la mauvaise foi ne puisse pas lui être reprochée. Le « droit de libre critique » lui a été reconnu. Surtout, a conclu la Cour, « un examen des rushes(qui n’ont pourtant pas été tous remis par France 2 !!!) ne permet plus d’écarter les avis des professionnels entendus au cours de la procédure » : ceux-ci avaient mis en doute l’authenticité du reportage (3).
- Observations
Pourquoi X a-t-il omis cette information capitale qui montre que la thèse qui contredit celle de C. Enderlin paraît recevable aux yeux de « professionnels » qui se sont exprimés devant la Cour d’appel ?
On connaît la prière : mon Dieu, occupez-vous de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ! Il n’est pas sûr que cette défense de C. Enderlin par l’agent secret X et France Inter soit la plus efficace. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis le paquet pour défendre son reportage controversé. Mais avec quels arguments convaincants ? L’expérience montre que l’ usage de l’argument d’autorité, du leurre d’appel humanitaire, du leurre de la vaccine, du leurre de diversion et du leurre par omission n’est nécessaire que quand la thèse à défendre n’est pas assez solide pour affronter celle qui la conteste. France Inter,dans son émission outrancièrement partiale de samedi 27 novembre, « Rendez-vous avec X », vient d’en apporter une fois de plus confirmation. X peut bien garder l’anonymat, il n’en a pas moins jeté le masque. Paul Villach
(1) Paul Villach, « La partialité délibérée de France Inter et de France Culture dans l’affaire Al-Durah », AgoraVox, 19 octobre 2010
(2) Paul Villach, « Canal Plus, en croisade contre Internet, se retrouve condamné pour diffamation envers P. Karsenty », AgoraVox, 14 juin 2010.
(3) Paul Villach,
- « France 2 et Enderlin déboutés, Média-Ratings relaxé », AgoraVox, 27 mai 2008.
- « L’affaire Enderlin, France 2 et Média-Ratings : une pétition en faveur de l’infallibilité journalistique ? », AgoraVox, 9 juin 2008.