http://www.controverses.fr/blog/blog_trigano.htm Le concept de "pogrom médiatique" Par Shmuel Trigano Le concept de « pogrom médiatique », malgré sa tonalité critique virulente, pourrait bien avoir une valeur heuristique intéressante pour comprendre certains des effets de la guerre de Gaza sur les pays d’Europe de l’Ouest et tout spécialement la société française. Il ne faudrait bien sûr pas l’entendre dans sa portée idéologique mais sociologique. A quoi a-t-on assisté en effet avec la guerre de Gaza, comme avec la précédente guerre du Liban, ou la deuxième Intifada, sinon à un épisode d’extrême violence symbolique envers Israël, particulièrement effervescent par son émotionnalité, la virulence radicale de la condamnation, la stigmatisation, l’unanimité étrange d’un bout à l’autre du spectre politique ? Le pogrom était un bref embrasement d’une population qui dévastait le quartier juif et tuait les Juifs. Point n’est le cas, heureusement mais, de fait, les Juifs se sentent déshonorés, méprisés, abandonnés, exclus, isolés dans leur environnement. Comme s’ils avaient été roués de coups réels. Ils le sont, certes, d’une certaine façon, par les agressions dont ils ont été la cible. Le passage du symbole à l’acte s’est produit à travers de grandes et violentes manifestations, répétitives, organisées selon un plan manifestement prémédité d’envergure nationale, visant à créer une atmosphère d’émeutes. Des actes d’agression ont été perpétrés contre des Juifs mais c’est surtout leur personne symbolique qui a reçu des coups. La dignité et l’image de soi font aussi partie de la personne humaine qui n’est pas seulement corporelle. C’est elle qui a été la cible du pogrom médiatique. Et les traits qui l’ont frappée sont d’un genre unique. La morale et l’humanitarisme ont été fourbis comme des armes. Propres. Morales. Totales. Le discours de la cruauté d’Israël, mis en scène par le Hamas et les télévisions arabes, a été asséné soir et matin en crescendo de l’appel fébrile à sauver un peuple d’un génocide. A Gaza il n’y avait qu’une armée d’enfants, des hôpitaux, des réserves de vivres, des centrales électriques... Nous touchons là à l’essence de la violence perpétrée sur la personne d’Israël. Elle est vertueuse ! Plus le souci des « enfants » et des « civils » est « disproportionné », plus fort et radical est le coup (symbolique) porté. Plus Israël est stigmatisé et diabolisé. Pour des motifs humanitaires ! Le coup est ainsi moral et « clean » car il frappe « à côté ».. L’iconisation quasi religieuse des enfants victimes vise à la déshumanisation des Juifs. Les téléspectateurs savent tout de telle ou telle famille palestinienne dont on leur raconte l’histoire humaine, très humaine. Ils savent tout des blessés, des enfants. Mais rien des individus israéliens, de leurs enfants, de leurs femmes, de leurs blessés. On ne voit sur les écrans que des tanks, des soldats, une armée. La société israélienne n’existe pas dans le regard des médias. Ce souci « humanitaire » s’inscrit très bien dans la perspective idéologique plus vaste qui sacralise la mémoire des Juifs morts au moment où l’on accable les Juifs vivants. On aura remarqué qu’au moment même où ils traînaient dans la boue Israël, sa cruauté, son racisme, les journalistes ont dûment condamné le pape pour avoir reconnu un évêque négationniste...Israël est sur la sellette mais il est clair que le traitement « disproportionné » dont il est l’objet concerne le Juif que l’on cible en lui, de façon détournée. Quel pays au monde s’attire en effet cette furie planétaire ? C’est une guerre de religion qui est ici à l’oeuvre et l’Europe s’y inscrit ouvrant la boite de Pandore de bouleversements qui la submergeront. La question juive est de retour, de façon inédite. Les événements consécutifs à Gaza, notamment en France, rééditent les troubles qui ont accompagné la deuxième Intifada. La récurrence du même phénomène confirme que la crise d’alors n’était point passagère. Cependant, aujourd’hui, on est en droit de se poser la question de savoir où elle conduit. Un pogrom symbolique est en soi sans grande gravité concrète, si ce n’est la déstabilisation et l’égarement des Juifs d’Europe. Il n’y a pas mort d’homme (sauf qu’il peut donner lieu à la tragédie d’un Ilan Halimi ou d’un Sébastien Sellam) mais mort d’images. Le pogrom symbolique recèle en lui la potentialité de développements graves. Il peut être la première étape de voies de fait, elles, bien réelles. Un mouvement social (et l’antisémitisme en est un) commence par une fiction (la cause palestinienne), qui substitue un objectif imaginaire à une réalité insupportable (les problèmes du monde arabe et des musulmans d’Europe). Puis cette fiction donne naissance à une mentalité qui prend le but substitué pour slogan, pour devenir un emblème autour duquel un nouvel ordre se structure et une organisation qui lui est dévouée apparaît. Aujourd’hui, la porte est ouverte à la troisième étape, celle de la cristallisation, avec la constitution d’une organisation quelconque qui pourra partir à l’assaut de sa cible. Nous entrons dans une phase dangereuse. La question est très concrète : à quand la prochaine explosion collective contre Israël ? Le prochain pogrom médiatique ? Et avec quelles conséquences concrètes sur la personne physique des Juifs ou d’Israël, dans l’arène planétaire ? Les parias magnifiques par Shmuel Trigano La guerre de Gaza et son impact sur l’opinion publique donne à voir avec un réalisme terrifiant ce que le monde a dans l’âme quand il pense à Israël et au peuple juif. L’attitude de la « communauté internationale » est particulièrement significative, à ce propos. Une cécité totale à la réalité de la situation s’accompagne d’un « souci humanitaire » qui ne s’est que très rarement exercé durant le calvaire des Israéliens ( 7 ans de tirs de missiles sur le sud d’Israël et la progression inquiétante de ce canardage vers les centres vitaux du pays, la constitution d’un pouvoir totalitaire, de style fasciste, promoteur de haine et de mort, l’enrôlement et l’embrigadement de toute une population au service de la politique impérialiste de l’Iran intégriste sur toute la région et la haine permanente). La décision de cessez le feu du Conseil de sécurité fut très significative de l’état d’esprit ambiant envers Israël. Si l’on observe bien l’histoire du conflit israélo-arabe, on constate que toutes les victoires militaires d’Israel, remportées contre des agressions arabes, ont été annulées par la politique des puissances et notamment l’ONU, j’ajouterais tout spécialement la France. Ces victoires auraient pu à chaque fois constituer un point final du conflit, obligeant les Etats arabes à assumer la défaite de leur ambition exterminatrice à l’égard d’Israël, comme cela se passe dans tout conflit. Bien au contraire, les puissances occidentales ont tout fait pour empêcher une telle situation. Il fallait empêcher « l’humiliation arabe » (rappelons qu’elle découle de l’existence d’Israël)... Que laissait entrevoir la demande de cessez le feu dans l’opération de Gaza sinon la volonté qu’Israël accepte de rester la cible de son ennemi le plus implacable sans réagir, sinon, qu’Israël renonce à sa souveraineté politique pour confier son destin à un consortium onusien où le camp qui lui est ennemi occupe le haut du pavé et qui ne s’occupe du sort des Israéliens que lorsqu’il en a le temps ? Derrière ce décor de théâtre décadent une perversité morale gigantesque est à l’oeuvre qui voue les Juifs à la condition de victimes éternelles. La « communauté internationale » veut-elle sauver le Hamas et lui redonner la possibilité de viser les centres vitaux d’Israël qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. Le souci humanitaire est un principe auquel il ne faut pas renoncer et tout montre qu’il est loin d’être absent de l’action israélienne mais il s’agit d’une guerre et pas d’une promenade. Si le Hamas a été « élu », c’est aussi parce que les Gazaouites font corps avec sa politique. Pourquoi n’en supporteraient-ils pas les conséquences désastreuses ? Pourquoi les populations civiles de tout coeur et de tout corps engagées dans la lutte contre « les Juifs » (c’est ainsi que les Israéliens sont appelés à Gaza) échapperaient-elles à leur responsabilité ? Seraient-ce parce qu’elles seraient par principe innocentes ? Personne n’évoque les « populations civiles » israéliennes, à croire que tout Israël est un camp militaire et qu’à Gaza, il n’y a que des civils. On ne voit d’ailleurs qu’eux à la T.V. Qui tirent les roquettes et les missiles ? Qui se demande pourquoi les cameramen palestiniens et arabes qui abreuvent le monde de scènes sanguinolentes n’ont jamais montré d’hommes en armes ? Comment les médias occidentaux ont-ils pu gober, sans états d’âme, ce compte rendu manipulatoire, où le décompte des victimes est celui du Hamas ? Telle est la vraie question et le coeur du problème. Il faut remarquer à nouveau que le syndrome qui s’est développé en France à l’occasion de la deuxième intifada est à l’oeuvre, quand le gouvernement Jospin a demandé aux Juifs de ne pas réagir aux 450 agressions dont ils étaient victimes « pour ne pas jeter de l’huile sur le feu »... Demande était faite alors aux Juifs français d’accuser le coup de l’agression envers eux en silence pour sauver « la paix publique ». C’est exactement ce que fut le syndrome munichois de l’opinion européenne face au régime nazi : apaiser l’agresseur en sacrifiant la victime. A la même époque, faisaient rage en Europe pourtant la compassion universelle pour les victimes de la Shoa et la célébration de leur mémoire. C’était une conjonction de contraires absolument nouvelle, mariant l’excellence morale des Juifs à leur déchéance sociale et politique. Un profil nouveau du « Juif » se mit en place , à l’oeuvre en fait subrepticement depuis les années 1990 mais qui se confirme depuis lors de plus en plus et que je définirais, en me souvenant de la pensée de Georges Bataille, comme le profil du paria magnifique, c’est à dire la figure d’un homme révéré et célébré mais vivant dans la condition la plus misérable, dans l’exclusion quasi sacrée, au statut très bas. Prestige combiné à abaissement. Ces personnages ont existé dans toutes les sociétés, cristallisant à la fois le contraire de l’ordre social et symbolique et en même temps sa source la plus forte. C’est autour de leur condition abaissée que les sociétés se réunissent dans des périodes de crise pour se souvenir qu’elles sont humaines, par delà leurs conflits de pouvoir et de prestige. Or, pour que celà soit possible il faut impérativement que le paria magnifique reste au plus bas, en l’occurence qu’il renonce à sa souveraineté et à sa capacité de se défendre, qu’il continue à s’exposer passivement aux attaques de ses ennemis. C’est la condition de sa sacralité. Pourvu qu’il se conforme au rôle consensuel auquel il a été assigné : à la condition de victime, hier, aujourd’hui et demain. Tel est le schéma psycho-symbolique qui porte la décision du Conseil de sécurité, un schéma que l’on retrouve à l’oeuvre dans beaucoup de formes culturelles, prépondérantes aujourd’hui, où le Juif est valorisé dans sa propre contrition, dans la haine de soi, dans l’aveu. Une partie du cinéma israélien, si célébré en Occident, s’inscrit dans ce créneau, condition du succès. Ce schéma, De Gaulle l’avait très bien exprimé avec sa sortie sur « le peuple sûr de lui et dominateur », assignant aux Juifs le rôle de la victime passive comme condition de la miséricorde européenne. « Un capital considérable d'intérêt et même de sympathie s'était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire dans la Chrétienté; un capital qui était issu de l'immense souvenir du Testament, nourri par toutes les sources d'une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu'inspirait leur antique malheur et que poétisait, chez nous, la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu'ils avaient subies pendant la Deuxième Guerre mondiale... Si Israël est attaqué, lui dis-je alors en substance, nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative » . Cette condition de « paria magnifique » a été vécue en France, dès la fin des années 1990, par quelques « intellectuels juifs ». Magnifiques, par principe, par leur activité et leur statut social mais exclus en douce de toutes les arènes du débat public et de la respectabilité intellectuelle, ramenés à leur origine « ethnique », comme la chose devint évidente durant la deuxième Intifada , pour annuler leur argument et surtout leur identité d’intellectuels. A moins que pour quelques rares individus, voire un unique intellectuel - en vertu non d’un droit mais d’un privilège - la fonction de conscience malheureuse et déchirée ne leur soit asignée sur tous les écrans et dans tous les journeaux. Cette configuration est tout à fait différente de celle qu’analysait Hannah Arendt pour la modernité quand elle remarquait que les intellectuels juifs, pour être admis dans la bonne société et le cercle intellectuel, avaient deux possibilités, celle de se comporter comme des parvenus , en trahissant, bien qu’avec une nostalgie inextinguible, leur appartenance au peuple juif, ou comme des parias, s’ils restaient fidèles à eux mêmes. Kafka, à ses yeux, fut le modèle du paria. Le monde devient de fait, aujourd’hui, kafkaïen pour les Juifs, accusés du crime que leurs ennemis commettent ou veulent commettre sur eux, sans que leur parole ne porte, sans que la foule en fureur ne prenne soin d’examiner les faits rationnellement et les responsabilités. Malgré son rang social, l’intellectuel juif se voit annulé dans sa fonction d’intellectuel et étiqueté, enfermé dans la case « communautaire », c’est à dire, dans l’esprit de tout le monde, « communautariste ». Ce système de rapports ne fait en vérité qu’ajouter de l’huile sur le feu, car les transgresseurs sont exemptés de leur responsabilité et reçoivent un encouragement à leur comportement déviant. Mettre dos à dos Hamas et Israël, expliquer la violence par le « cycle de la violence » pour le Moyen Orient ou les « « conflits inter-communautaires » pour la France (c’est à nouveau le cas aujourd’hui), c’est choisir programmatiquement d’innocenter les coupables, en courant de surcroît le risque de les amalgamer avec leur « communauté », et d’accuser la victime d’être responsables de ce qui lui arrive. Il n’y a jamais eu d’agressions des Juifs contre des sites musulmans en France et Israël, qui s’est retiré de Gaza et a enduré durant 7 ans des tirs de missiles du Hamas sur son territoire sans riposter. Il semble que personne n’ait encore compris que cette problématique se retourne inéluctablement contre la société qui s’en rend coupable, nationale ou internationale. Le déni, durant de nombreux mois, des actes antisémites des années 2000 annonçaient et légitimaient dans le principe les émeutes des banlieues françaises. Le même comportement aujourd’hui annonce d’autres événements graves dont toute la société française (et internationale) aura à pâtir. Un cercle vicieux s’installe aussi indirectement qui ne peut que « jeter de l’huile sur le feu ». La célébration formelle de l’excellence de la figure (victimaire) des Juifs ( devoir de mémoire de la Shoah obllige !) ne peut que susciter jalousie et ressentiment chez leurs ennemis, dans un premier temps, qui appelle, dans un deuxième temps, la tentative des célébrateurs de « calmer » leur ressentiment en tentant de rétablir « l’équilibre » psycho-symbolique en abaissant encore plus la condition des Juifs, en les enchainant encore plus à leurs ennemis. C’est un retour régressif à un passé révolu qui se produit ici. Il est possible que des Juifs soient prêts à endosser à nouveau les habits de la victime désignée – ces personnalités se produisent même sur toutes les scènes (et pour cause) – mais il ne faut pas négliger la révolution mentale qui s’est produite il y a 60 ans dans la conscience juive : le sionisme, projet de libération du Juif qui se propose d’ériger le peuple paria en sujet souverain de l’histoire. La mauvaise foi planétaire se brisera sur cette nouvelle donne. |