Le Hamas, bras armé des Frères, bientôt éclairé par l’œil satellitaire du Gokturk et d’Al Jazeera ?
Par Marc Brzustowski
Le futur satellite turc Gokturk
La stratégie de reconversion du Hamas, hors de l'orbite irano-syrienne, file droit sous le vent du Printemps Arabe. Les nouveaux climats régionaux lui assurent la garantie de son statut de bras armé des Frères Musulmans. Cette ligne est menée sous l’égide du guide idéologique et spirituel Youssouf al-Qaradawi, depuis le Qatar et le Caire, sous le parrainage d’Erdogan. Si on peut s’interroger sur les perspectives d’un Hezbollah enclavé au Liban, dont le destin est lié à celui du maître de Damas, la milice islamiste de Haniyeh et Meshaal a montré avoir l’échine plus souple et rebondir comme un chat, face aux évènements.
Alors que Mahmoud Abbas est relativement discrédité et laissé à lui-même, sans véritable parrain que la Jordanie d’Abdallah, prêt à utiliser ses services, le Hamas, branche « politique ou « militaire », est, donc, très courtisé. Il bénéficie déjà du financement d’Ankara, mais surtout de la diplomatie de l’Emir Qatari, dans le Golfe persique, pour mieux assurer sa prise de contrôle en cours de l’arène palestinienne.
C’est par cet intermède jordanien que des émissaires d’Abbas et Netanyahou doivent se rencontrer à Amman, mardi, pour la première fois où l’on ose évoquer une « reprise des pourparlers directs », malgré les démentis de Saeb Erekat.
En réalité, on doit se demander si cette cascade de « rencontres au sommet » n’a pas engagé une course-poursuite dans la redistribution des cartes régionales, en vue de la chute prochaine du régime alaouite des Assad.
Deux puissances : celle, bancaire du pétrole et du gaz qatari, et celle de l’un des plus grands pays historiques de la région, la Turquie, se partagent le rôle de chefs duettistes, orchestrant la musique du « printemps islamiste ». Ce sont les seuls qui contrôlent réellement, et pour cause, la confrérie égyptienne des Frères Musulmans. L’un, l’AKP turc, pour être directement issu et avoir prospéré grâce à la finance islamique, récoltée par les bonnes œuvres du cheikh Al Qaradawi ; l’autre, Doha, pour être le fournisseur de la manne énergétique et le metteur en scène médiatique du « Printemps Arabe », grâce à sa chaîne satellitaire qui fait et défait les rois en Orient : Al Jazeera.
Le Qatar a tout d’une grande en matière diplomatique, bien que ce ne soit qu’un Emirat intercalaire entre les deux grandes puissances théologiques de la région : l’Iran et l’Arabie Saoudite. Ayant clairement pris le parti du royaume wahhabite, dans les désordres au Bahreïn, il joue aussi un rôle de premier choix en Syrie, fort de sa petite expérience des conflits nés de ces insurrections, en Libye et en Egypte, grâce à son alliance de circonstance avec l’OTAN. Son présentateur-vedette, Youssouf Al Qaradawi, toujours le même, joue encore les « médiateurs » entre les Etats-Unis et les Taliban, en Afghanistan. C’est dire l’étendue de son influence sur la géostratégie régionale et au-delà.
Erdogan compte bien s’appuyer sur cet élément essentiel pour revivifier son rêve néo-ottoman, qui passe par la mainmise sur la case « Palestine », par Hamas interposé. Il est aussi le principal artisan de la prise en main des Rebelles syriens, par l’entremise de ses passe-droits au sein de certains comités représentatifs, qui ont pris siège et langue à Istanbul.
Surtout, ces deux entités qui prétendent redistribuer des cartes, pratiquent un art consommé de l’équilibre entre ce qu’il faut d’anti-Israélisme et de bons offices rendus à l’Administration Obama, afin de marginaliser leurs adversaires :
- d’une part, l’Iran, qui gouverne encore ce qu’il reste de forces syriennes fidèles à Assad et de milice chi’ite surarmée, mais politiquement sur la tangente, au Liban ; les évènements régionaux n’ont fait qu’accélérer la course à l’arme nucléaire comme seule planche de salut d’un régime menacé de l’intérieur…
- d’autre part, Israël, honni pour développer les richesses sous-marines pétrolières et gazières dans l’Est de la Méditerranée, en compagnie de Chypre et de la Grèce. Et parce que l’Etat Hébreu reste, à cette heure, l’allié militaire le plus fiable de Washington, en cas de chauffe autour des installations nucléaires du pays précédemment nommé : l’Iran des Mollahs.
Dans ce cadre, l’annonce d’une transition future à Damas, lorsque le régime Assad sera comme un fruit mûr prêt à tomber de l’arbre, est une des clés de l’avenir : la posséder permettrait de faire la nique à l’Iran, en perte de vitesse, sauf menace balistique concrète contre les pays pétroliers qui l’entourent ; et de pousser Israël dans ses retranchements : plusieurs fers sont au feu pour modifier les rapports stratégiques locaux. D’abord, la pression des Islamistes en Egypte met directement en danger l’avenir du traité de paix de 1979, entre Begin et Sadate. S’il s’effondre, un nouveau front du Jihad s’étoffera, grâce aux trafics de la Péninsule du Sinaï et à la démultiplication de groupes, plus ou moins, affiliés au Hamas, y compris parmi les Bédouins de la région.
Il faudra alors que de nouveaux « médiateurs » intéressés se substituent au traité, ayant suffisamment d’influence, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la scène palestinienne. Il faudra aussi représenter un intérêt stratégique pour Washington, de façon à ce que la Maison Blanche laisse la bride sur le cou à certains des pays ou groupes impliqués. La Turquie est comme un "chien dans le jeu de quilles" de Moscou en Asie Centrale, que les Etats-Unis ménagent à toutes fins utiles.
D’un autre côté, l'Amérique fera ce qu’il faut pour ne pas perdre les bénéfices de l’immense effort déployé, en Irak, notamment. De même, élabore t-elle les stratégies de repli d’Afghanistan. D’où leur préférence marquée pour les pourparlers avec les Frères Musulmans et les pouvoirs politiques qui les représentent. Washington a fini par comprendre qu’il n’y avait rien à attendre de négociations avec l’Iran et tout intérêt à faire admettre à Téhéran que sa révolution « exportée » profiterait plus aux Sunnites qu’aux Chi’ites, au point de se retourner contre ses initiateurs.
Pour Israël, ce « new deal » auquel se prête la Maison Blanche, est, à terme, aussi dangereux, même s’il semble provisoirement compensé par une meilleure synchronie avec les USA sur le seul problème iranien…
Difficile de présager ce que l’on peut en attendre, à moyenne et plus longue échéance. Il faut, à la fois, mettre toute son énergie à combattre l’ennemi déclaré d’aujourd’hui, l’Iran nucléaire, tout en ne perdant pas de vue la façon dont l’Amérique s’acquitte de sa perte de prestige régional, en sous-traitant avec d’autres adversaires, encore outsiders et dissimulés sous un vernis de « modération », rapports de force obligent.
Au-delà des menaces immédiates, comme celle des missiles de Téhéran, la technologie acquise par la Turquie va jouer un rôle de guidance des conflits de « basse intensité », dans l’environnement immédiat. On a déploré, sans beaucoup agir, - ouvertement, du moins,- le fait que les armes de Kadhafi soient tombées entre des mains hostiles.
Sous deux ans, le nouveau satellite turc, le Gokturc, sera capable d’émettre des images de haute résolution, qui pourront être revendues à toutes sortes de pays ou groupes terroristes souhaitant maintenir l’Etat Hébreu sous la menace directe de missiles de moyenne portée de plus en plus perfectionnés. Les acheteurs potentiels de ces images, susceptibles de poser de véritables casse-tête sécuritaires aux Israéliens, ne manquent pas.
De même, dans l’optique d’une frappe éventuelle sur les installations nucléaires iraniennes, il n’est pas sain qu’Ankara acquiert les informations liées au bouclier anti-missiles américain, qu’il puisse transmettre selon le sens qu’il prête à ses propres intérêts de long terme. La mainmise, par Frères Musulmans interposés, sur l’agitation dans la rue arabe, est une forme d’assurance de peser de plus en plus sur les enjeux, au détriment d’Israël : un pays enclavé, que l’Occident a tendance à assimiler au faiseur de conflits régionaux, à cause d’une paix qui serait d’autant plus impossible que le Hamas deviendrait le soliste interprétant comme il l’entend ce que ce mot signifie pour lui. Le groupe islamiste de Gaza, peut bien prendre ses distances à l’égard de Téhéran. C’est qu’il a, sûrement, misé sur d’autres façons d’arriver, un jour plus lointain, aux mêmes fins.
Au-delà du péril iranien, une autre guerre a déjà commencé, dans les interstices générés par les futures périodes de ni guerre ni paix. Elle concerne des pays proches, en voie de retournement, comme l’Egypte et la Turquie et le bassin plus lointain, du Maroc jusqu'à l'Asie Centrale. Les médias détenus par le Qatar sont une arme puissante d’appoint, pouvant, aussi bien, manipuler la « rue arabe » que, par ricochet, influer sur l’opinion occidentale, fuyant le conflit direct.
La volonté de briser "l'arc chi'ite" - comme on en prend le chemin, à travers le "déverrouillage" de la question syrienne, voire la réduction à presque néant des ambitions iraniennes - n'a de chance de réussir que si l'on a déjà anticipé les étapes suivantes. La redéfinition des enjeux offre bien des opportunités à l'émergence des outsiders prêts à monter au créneau, dès que l'espace occupé par l'Iran et ses affidées se libérerait...