http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/arte-journal/DOS-sida/3929458.html
Quelles sont les conséquences à court ou moyen terme du mouvement de contestation en Syrie ? Quel est l'impact des sanctions occidentales contre le régime ? Comment la révolte de la population parvient-elle à rassembler les différentes communautés de Syrie ? Pour répondre à ces questions, ARTE s'est adressé à Masri FEKI, écrivain et chercheur en géopolitique à l'Université Paris 8. Homme de paix et de dialogue, il est engagé dans la défense des minorités au Moyen-Orient et dans le rapprochement israélo-arabe. Il contribue régulièrement à des journaux arabes, israéliens et turcs. Il est aussi l'auteur, entre autres ouvrages, de "L'Iran et le Moyen-Orient, constats et enjeux" (Studyrama, Paris, 2010) "Géopolitique du Moyen-Orient" (Studyrama, Paris, 2008) et "L'axe irano-syrien, géopolitique et enjeux" (Studyrama, Paris, 2007).

L'Union européenne sanctionne le président syrien (Article Temps réel Nouvel Obs.com)

Masri Feki, spécialiste du Moyen-Orient : « La Syrie n’est pas isolée de son entourage arabe, même si elle a très tôt choisi son camp, le camp iranien et le camp des organisations radicales au Liban et dans les Territoires palestiniens, on voit que la population syrienne n’est pas coupée de la réalité arabe et que le train des révolutions arabes qui a éclaté à Tunis au mois de décembre n’est pas encore arrivé à son terminus. La Syrie fait face à ces révoltes populaires de la même façon qu’on agit les autorités égyptiennes et tunisiennes, le mouvement de contestation est loin de s’essouffler. Et on voit que la Syrie aujourd’hui a beaucoup de mal, le régime syrien est en train de parler de réformes et essaie de jouer sur la rhétorique du complot occidental et du complot anti-résistance des forces impérialistes ; c’est exactement le même discours que tenait Saddam Hussein jusqu’à sa chute en 2003 et qu’ont tenu plusieurs dictateurs dans la région et cela malheureusement ne facilite pas les choses. Mais le mouvement de contestation est en marche et je le vois mal s’essouffler dans les semaines à venir. »
Qu'est ce qui pourrait faire bouger le président syrien ?
Masri Feki : « Et bien je pense que c’est la rue syrienne, c’est la rue syrienne qui va le pousser. De toute façon je pense que le président syrien n’a pas le choix. Malheureusement, il essaie d’éviter certaines « erreurs » de la part des présidents égyptiens et tunisiens -mais on voit qu’il a du mal. Au départ, il a voulu être ferme en ne faisant surtout aucune concession à l’opposition, absolument pas de réformes, pour ne pas paraître faible devant son opinion publique. Mais au bout de quelques jours, quelque semaines, il n’a pas pu résister et finalement il a commencé à faire une concession après l’autre, il a commencé par lever l’état d’urgence qui était en vigueur depuis 40 ans déjà et mettre en place une nouvelle loi concernant le droit de manifester et un certain nombre de réformes très très timides. Mais la rhétorique est la même, le système n’ a pas appris de ce qu’il s’est passé dans la région, les médias sont toujours verrouillés, complètement fermés à toute critique à toute représentation de l’opposition. Et moi je crains, je pense que le président syrien va au mur, il marche dans une impasse ».
Vous venez d’évoquer les médias syriens, totalement muselés par le régime mais il y a un média qui n’est pas coupé par le régime syrien : internet. Est-ce pour mieux observer les opposants, mieux repérer les réseaux de transmission de vidéos qui affluent sur le net ?
Masri Feki : « Je pense que ce n’est pas une mesure de tolérance de la part du régime syrien, il n’a pas vraiment le choix. D’ailleurs il y a un certain nombre de sites internet qui sont censurés. C’est vrai que le régime de Moubarak avait coupé internet pendant plusieurs jours et pas que l’internet, j’ai moi-même de la famille en Égypte et pendant plusieurs jours, il n’y avait aucun moyen de communication, ni par téléphone portable, ni par internet. Donc le régime syrien n’a pas eu recours à ces mesures là puisque il s’est avéré qu’elles n’ont pas abouti en Égypte. Mais on voit quand même qu’il y a plusieurs sites internet qui sont verrouillés, des blogueurs qui sont arrêtés juste après avoir publié des articles sur leurs blogs. Mais oui, c’est vrai que c’est une fenêtre sur le monde l’internet et c’est le seul moyen de communication qui est très difficilement contrôlable par le régime ».
Quel est l'impact des sanctions européennes et américaines (gel des avoirs et des visas) sur Bachar Al-Assad et les autres membres du pouvoir visés ?
Masri Feki : « L’impact est important dans la mesure où la Syrie dépend beaucoup de l’aide de la communauté internationale mais surtout de l’Union européenne. La Syrie depuis l’assassinat du Premier ministre libanais Harriri et du retrait syrien du Liban, a beaucoup investi dans l’amélioration de ses relations avec l’Union européenne, avec les pays européens, donc c’est un coup dur pour la diplomatie syrienne. Mais il faut savoir que cela restera insuffisant tant qu’il n’y a pas une coordination, une coopération entre les puissances européennes et les principaux pays membres de la Ligue Arabe comme on l’a vu en Libye par exemple. En Libye, il y a eu une coopération très forte entre la Ligue Arabe et les pays occidentaux et c’est dans ce sens là que les sanctions peuvent s’avérer plus importantes. Mais bien entendu, il y a aussi des pays occidentaux, des grandes puissances, qui ne coopèrent pas du tout, qui n’avancent pas du tout dans le sens de sanctions contre le régime syrien comme la Russie, comme la Chine et bien entendu comme la république islamique d’Iran et certains pays de la région. Mais je pense que le premier pas maintenant serait effectivement d’accentuer les sanctions sur le régime syrien de façon graduelle mais aussi en se rapprochant des pays arabes et en essayant de faire basculer les positions de la Ligue Arabe, en tout cas des principaux pays arabes et notamment l’Égypte, dans le même sens.
La répression semble lier toutes les communautés syriennes, même les Alaouites -la branche du chiisme à laquelle appartient le président syrien -commencent à rejoindre le mouvement, quant à la communauté kurde, elle ne semble pas non plus se faire l'écho de revendications particulières sinon le départ d'Al Aassad et la mise en œuvre de réformes....
Masri Feki : « C’est une question très très sensible, il faut savoir que la composition démographique de la Syrie ressemble sensiblement à celle de l’Irak, donc cela évidemment ne rend pas très optimiste. Néanmoins, c’est vrai que les minorités, notamment les minorités religieuses dans la région sont souvent assez conservatrices et craignent le changement, notamment à l’heure actuelle où il y a quand même une montée en puissance depuis une quinzaine d’années d’un islam politique radical qui menace les minorités religieuses ou en tout cas qui est craint par les minorités religieuses. Et d‘autant plus que le régime syrien est un régime à la fois laïc et issu d’une minorité religieuse. Vous avez donc non seulement les Alaouites mais aussi les Druzes, les Chrétiens, qui ont été en tout cas au début du mouvement de contestation assez réticents par rapports aux Sunnites qui eux, étaient déjà très farouchement opposés au régime depuis un certain moment et soutenus par d’autres pays de la région comme l’Arabie Saoudite. Mais globalement je pense que aujourd’hui on peut quand même dire que le mouvement de contestation syrien est réellement populaire et qu’il regroupe des représentants de toutes les communautés, y compris même de la communauté alaouite de Syrie dont est issu le président et une grande partie de la classe dirigeante syrienne. »