L’Agence officielle libanaise ANI, reprise par plusieurs médias, souligne ce soir que « des hommes armés ont enlevé deux évêques près d’Alep ». Il s’agit du métropolite d’Alep pour les Grecs orthodoxes, Mgr Boulos Yazigi, et du métropolite d’Alep pour les Syriaques orthodoxes, Mgr Youhanna Ibrahim. Les deux prélats circulaient ensemble en voiture en provenance d’un village situé à la frontière turque. Arrivés près de la ville d’Alep, leur voiture a été interceptée par un groupe armé qui les a enlevés et tué leur chauffeur.
Cet enlèvement intervient quelques heures après la désignation du chrétien Georges Sabra, un opposant historique au régime héréditaire des Assad père et fils, à la tête de la Coalition de l’opposition nationale, pour succéder à Moaz Al-Khatib qui a démissionné. Sabra doit assurer l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président. L’enlèvement des évêques Yazigi et Ibrahim serait à cet égard une tentative d’intimidation visant à embarrasser Sabra et à détourner les chrétiens de la révolution. Il serait de ce point de vue l’œuvre du régime.
L’enlèvement intervient au lendemain de la mise en ligne d’une vidéo par l’Armée syrienne Libre, montrant ses combattants en train de restaurer une église d’Alep, partiellement détruite par les bombardements du régime. Même barbus, les militants de l’ASL affirment protéger les 500 chrétiens qui demeurent dans leur quartier, et regrettent la fuite du reste de la population chrétienne. L’ASL affirme assurer la sécurité des chrétiens, mais également partage avec eux les rations alimentaires dont elle dispose. L’enlèvement de Yazigi et Ibrahim vise ainsi à neutraliser le message rassurant des rebelles et serait, là aussi, commandité par le régime.
Les deux prélats ont été enlevés alors qu’ils terminaient une visite d’une localité proche de la frontière turque, où sont massés les réfugiés. De ce fait, il peut leur être reproché leurs relations avec les fidèles, et avec les Turcs. Ce qui explique, ici aussi, que leur enlèvement sert la stratégie du régime.
L’annonce, par une agence libanaise, donc par définition alliée au régime, ou soumise au diktat du Hezbollah, est révélatrice à cet égard. Il pourrait s’agir d’une opération de pur intox destinée à terroriser les chrétiens et à les pousser à soutenir le régime.
Ces hypothèses n’écartent pas définitivement la responsabilité des groupes armés, accusés par le régime d’être affiliés à Al-Qaïda. Mais si c’était le cas, pourquoi ces islamistes se contentent-ils de tuer le chauffeur, en épargnant les deux évêques ? Pourquoi attisent-ils, par leur forfait, la crainte de la population et accentuent-ils la méfiance de la communauté internationale à leur égard, renforçant par la même l’embargo sur les armes ?
Des lectures jusqu’à l’infini sont possibles, et sont aussi contradictoires qu’inquiétantes. Mais le passé terroriste du régime et ses capacités manœuvrières ne permettent pas d’écarter la piste de sa culpabilité. Rappelons que ses services sont accusés d’avoir tué le fils du mufti Hassoun, et d’avoir exécuté le cheïkh Al-Bouthi. Auparavant, la culpabilité de la Syrie dans lesattentats contre des églises en Irak était établie. Dans ce cadre, Al-Qaïda en Irak, qui faisait de la Syrie son fond stratégique, son point de repère et de repli, et son passage obligé, avait enlevé et exécuté l’évêque de Mossoul, Mgr Faraj Rahou. Et ce, pour accentuer les pressions sur les Américains en s’en prenant à la minorité chrétienne.
Le même scénario se reproduit aujourd’hui en Syrie. Car, sous les régimes du Baath, en Irak et en Syrie, les Chrétiens étaient réduits au rang de sujets, interdits de penser et de participer à la décision. Tant qu’ils continuent à accepter qu’on pense pour eux, les Chrétiens n’auront aucun avenir. Partant de ce constat, de plus en plus de chrétiens syriens s’engagent dans la révolution. Ceci aussi peut expliquer l’enlèvement des évêques. Rappelons que plusieurs prélats, syriens et libanais, sont connus pour leur complicité avec le régime. Ils coopèrent sous la menace, par peur, ou par chantage. Certains le font aussi par opportunisme...
Dario S.