Point de vue de Khaled Asmar - Beyrouth
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Nous nous joignons à Human Rights Watch pour lui rappeler la nature de ce régime. A Paris, personne ne pourra dire qu’on ne savait pas
lundi 24 janvier 2011 - 18h29, par Khaled Asmar - Beyrouth

Alors que le président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer s’apprête à se rendre en visite officielle en Syrie, du 26 au 28 janvier, Human Rights Watch épingle, dans son rapport sur les droits de l’homme, le régime syrien, parmi d’autres dictatures, et accuse les pays occidentaux de complaisance à leur égard. Pourtant, "les responsables français, éclaboussés par la chute de Ben Ali en Tunisie, n’ont pas encore séché" !!
Bernard Accoyer, président UMP de l’Assemblée nationale, sera accompagné d’une délégation de députés issus tant de la majorité que de l’opposition. Ce qui atteste que l’aveuglément n’a pas d’étiquette politique. Marc Le Fur (UMP), vice-président de l’Assemblée nationale et vice-président du groupe d’amitié France-Syrie, Jean-Claude Guibal (UMP), Jérôme Lambert (PS) et François Loncle (PS), membres du même groupe d’amitié, feront le voyage à Damas alors que la dictature syrienne assène les coups aux intérêts français dans la région, notamment au Liban. Si cette visite s’inscrit dans la perspective du renforcement du dialogue entre les parlementaires français et syriens, ses retombées, le jour où le peuple syrien se révoltera, seront proportionnelles à la complicité et à la complaisance françaises avec la dictature.
En effet, Human Rights Watch (HRW) indique, dans la partie consacrée à la Syrie de son rapport 2011 publié ce lundi, qu’« un grand nombre de gouvernements ont tendance à accepter les prétextes et arguments fallacieux avancés par des gouvernements répressifs, préférant adopter des stratégies complaisantes basées sur le dialogue privé ou sur la coopération, au lieu d’exercer de réelles pressions visant à assurer le respect des droits humains ». Et d’ajouter, le rapport 2011 souligne qu’« au lieu de faire preuve de fermeté à l’égard des chefs d’Etat responsables de violations de droits, de nombreux pays, dont plusieurs États membres de l’Union européenne, adoptent des politiques qui ne comportent aucun élément de pression susceptible d’inciter à un changement de politique dans ce domaine ».
Selon le rapport de HRW, les autorités syriennes continuent à violer fréquemment les droits civils et politiques des citoyens, et notamment en arrêtant des militants politiques et des défenseurs des droits humains, en censurant des sites web, en plaçant en détention des blogueurs, et en imposant des interdictions de voyager. L’état d’urgence décrété en 1963 demeure en vigueur, et les multiples agences de sécurité syriennes continuent à arrêter des personnes sans mandat d’arrêt et à les maintenir en détention sans contacts avec l’extérieur pendant des périodes prolongées. La Cour suprême de sûreté de l’État (CSSE), un tribunal d’exception dénué de presque toutes garanties de procédure, condamne régulièrement des activistes kurdes et des islamistes à de longues peines de prison. L’adoption au mois de janvier 2010 d’une nouvelle loi contre le trafic d’êtres humains a été la seule avancée positive au cours de l’année dernière.
Mais les procès devant la CSSE se multiplient et les condamnations sont de plus en plus sévères, à l’exemple du docteur Kamal Al-Labwani, médecin et fondateur du Rassemblement Libéral Démocratique, qui purge une peine de 15 ans d’emprisonnement pour avoir plaidé pour des réformes pacifiques !
Selon le rapport de HRW, la Syrie de Bachar Al-Assad peut facilement battre la paranoïa de la Tunisie de Ben Ali. En effet, quelques semaines avant la chute du dictateur de Tunis, celui de Damas a renforçait la loi syrienne relative à la presse, donné au gouvernement une mainmise absolue sur les médias et étendu son contrôle aux médias en ligne. La censure des sites web politiques est généralisée et touche des sites populaires tels que Blogger, Facebook, et YouTube. D’ailleurs, en décembre 2009, les services de sûreté de l’Etat avaient arrêté Tal Al Mallohi, une blogueuse étudiante de 19 ans, à cause d’un poème critique qu’elle avait écrit. Jusqu’à ce jour, les services de sécurité syriennes lui interdisent tout contact avec l’extérieur (...).
Un tribunal militaire a condamné en juillet Haytham Al Maleh, un éminent avocat des droits humains - et ancien juge - âgé de 80 ans, à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et « diffusion de fausses informations susceptibles de porter atteinte au moral de la nation ». Cette condamnation faisait suite à la diffusion par une chaîne de télévision d’opposition d’une interview téléphonique d’Al Maleh, dans laquelle il critiquait les autorités syriennes. En juin 2010 est intervenu l’arrestation et la détention de Kamal Sheikho, un membre des Comités de défense des libertés démocratiques et des droits de l’Homme en Syrie (CDF). Le 23 août, un autre membre des CDF, Ismail Abdi, qui détient la double nationalité syrienne et allemande et qui vit en Allemagne depuis 1997, a eu le même sort. Il était venu en Syrie en vacances. Un juge l’a interrogé en octobre, sur des accusations d’affaiblissement du sentiment national et d’appartenance à un groupe interdit.
Les multiples services de sécurité de la Syrie continuent d’arrêter des personnes sans mandat d’arrestation et refusent fréquemment de révéler pendant des semaines et parfois des mois les lieux où elles sont détenues -ce qui revient de fait à leur disparition forcée. Le sort de Nabil Khlioui, un homme de la région de Deir Al Zawr détenu en 2008 à cause de liens supposés avec les islamistes, demeure inconnu. Les autorités ont aussi gardé le silence quant au sort d’au moins 20 Kurdes détenus depuis 2008 à cause de liens supposés avec un mouvement séparatiste kurde.
Human Rights Watch a reçu de nombreux signalements de mauvais traitements et d’actes de torture commis par des agences de sécurité. Le Comité contre la torture des Nations Unies a exprimé en mai sa profonde préoccupation à propos des allégations nombreuses, persistantes et cohérentes relatives à l’utilisation systématique de la torture par des agents et des enquêteurs de la force publique.
Au moins cinq prisonniers sont morts en détention en 2010, sans qu’il y ait eu d’enquête sérieuse sur leurs décès de la part des autorités. En juin, les services de sécurité ont rendu le corps de Muhammad Ali Rahman à sa famille. Son corps présentait des signes de torture. Le droit syrien accorde aux services de sécurité du pays une large immunité pour les actes de torture.
Comme les années précédentes, le gouvernement n’a pas reconnu l’implication des forces de sécurité dans la disparition d’environ 17.000 personnes, membres pour la plupart de l’organisation des Frères musulmans, et d’autres militants syriens détenus par le gouvernement à la fin des années 70 et au début des années 80, ainsi que de centaines de Libanais et de Palestiniens détenus en Syrie ou enlevés au Liban.
Plus de deux ans après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des détenus qui avaient participé à une émeute dans la prison de Sednaya, en tuant au moins neuf, le gouvernement n’a divulgué aucune information sur les victimes. Les autorités n’ont pas relâché Nizar Rastanawi, militant éminent des droits humains qui a fini de purger une peine de quatre ans d’emprisonnement à Sednaya le 18 avril 2009, et il n’y a aucune information quant à son état de santé (...). Rappelons que la même prison de Sednaya avait connu un massacre en juillet 2008, quelques jours avant la visite de Bachar Al-Assad à Paris et sa participation au défilé du 14 juillet.
Ce sont ici quelques extraits du rapport de HRW qui permettent de conclure que les dirigeants français continuent de faire les aveugles face à la situation de plus en plus explosive dans ce pays, où le régime accentue la répression pour éviter un scénario à la tunisienne. La chute de Ben Ali avaient pourtant éclaboussés la classe politique française, qui a rétorqué « n’avoir rien vu ». Mais elle persiste à commettre la même erreur en Syrie. Aujourd’hui, nous nous joignons à Human Rights Watch pour lui rappeler ce qui se passe en Syrie : des pratiques partagées avec Saddam Hussein. Et pour cause, le Baas, dans ses deux branches syriennes et irakiennes, « boivent de la même source idéologique ».
Le maintien de la visite de Bernard Accoyer et de sa délégation à Damas, au moment où la Syrie passe à la vitesse supérieure pour vassaliser le Liban à travers le Hezbollah - pour l’instant - moins de six ans après le retrait de son armée du pays du Cèdre, sonnera comme une caution française au régime. Les méthodes qui figurent sur cet enregistrement, et qui avaient été appliquées au Liban avant avril 2005, y seront réexporter, avec l’assentiment d’Accoyer.
Khaled Asmar
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