La hiérarchie catholique a multiplié les interventions les plus compromettantes en faveur de ceux qui, après avoir pratiqué durant tant d’années le massacre systématique, se trouvaient enfin sur le point d’expier leurs forfaits. On a pu constater aussi que ces efforts n’avaient pas été vains, et que la papauté pouvait ajouter à la gloire d’avoir hissé les hommes de sang au pouvoir celle de les avoir soustraits au châtiment autant qu’il lui a été possible.
Cette attitude “charitable” aura eu comme principal résultat de rendre à la liberté – et partant à l’activité – quelques uns des plus dangereux criminels que le monde ait connus. Sachant ce que l’on sait, il est difficile de ne voir là qu’un résultat fortuit. Mais, outre les criminels arrêtés et déférés aux tribunaux, il y avait ceux qui purent disparaître à temps, il y avait les fuyards. Il était dans le droit fil de la logique que la charité chrétienne du Saint-Père s’exerçât aussi en leur faveur.
De fait, cela n’a point manqué. «Dans les milieux du Vatican, on déclare que l’Église se doit d’aider tous ceux qui s’adressent à elle et que la création d’une “Commission pontificale d’assistance”, destinée à secourir les réfugiés politiques, poursuit précisément ce but.» – Franc-Tireur, 18 mars 1947
Ainsi les assassins en fuite sont devenus, par un euphémisme opportun, “réfugiés politiques”. Si ces gens-là ont déporté, massacré – et même incinéré, n’en déplaise au Saint-Père – quelques millions de leurs semblables, ce n’était, après tout, que par conviction “politique”. Il serait d’un esprit mesquin de les confondre avec des criminels de droit commun, et l’Église s’en garde bien.
C’est donc avec une conscience pure qu’elle peut recueillir et cacher au plus profond des monastères tous ces proscrits qui demandent asile. Cependant, l’élasticité de cette casuistique soulève un peu partout des protestations véhémentes.
Conspirateurs en soutane
«Cinq supérieurs de divers ordres sont arrêtés, ainsi que le président de la Jeunesse catholique. Des perquisitions dans de nombreux couvents, où se cachaient des traîtres, amènent la découverte d’un vaste réseau dont les fils remontent jusqu’au Vatican… et voilà que l’Église s’en mêle. Voilà qu’elle a, elle aussi, son complot, ses conspirateurs en soutane; ses organisations clandestines, ses entreprises de faux papiers, ses relais et ses chaînes pour l’évasion et la mise hors d’atteinte au delà de nos frontières de ceux que les cours de justice recherchent. C’est la main tendue aux collaborateurs et aux traîtres. Il était déjà de notoriété publique que les couvents pratiquaient avec persévérance le droit d’asile le plus large et le plus attentif en faveur de tout ce qui avait appartenu à la Milice, à la L.V.F., à la Gestapo, pour peu que les ressortissants sachent frapper à la bonne porte et selon le signe convenu… Le départ de la chaîne, le premier maillon vient d’Italie.» – Franc-Tireur, 18 mars 1947
Après cela et tout ce que l’on sait du triste rôle joué par les représentants de l’Église en Pologne, en Slovaquie, en Croatie et dans tous les pays tombés sous le joug allemand, on est assez surpris de certaine déclaration, à tout le moins osée.
Au cours d’un sermon à Notre-Dame de Paris, le rév. père Riquet déclare: “Si nous ne sommes pas le parti des fusillés, nous sommes depuis 2000 ans le parti des martyrs… ” – Georges Altman: Sauver les bourreaux au nom des victimes. Est-ce là ce qu’admet le R.P. Riquet? (Franc-Tireur, 22 mars 1947)
Hum! Le révérend père n’aurait-il pas oublié dans son compte les Albigeois, les Vaudois, les camisards et les “incinérés” de la Sainte Inquisition?
Mais passons… À cette affirmation pour le moins téméraire, M. Georges Altman rétorque vivement: «… Tandis que l’Église officielle et la plupart de ses hauts dignitaires pactisaient avec la trahison, des chrétiens laïques et religieux sauvaient l’honneur de leur foi. Or, c’est sans doute à quelques assassins de résistants chrétiens aussi que les couvents du complot des soutanes ont ouvert leurs portes; ce sont des bourreaux, des tortionnaires avérés, que certains moines, aujourd’hui, accueillent et font passer à l’étranger, ce qui dépasse singulièrement la charité. Si des croyants et des prêtres ont compensé la servilité de tant d’évêques qui rendaient à Hitler ce qu’on doit à César, qu’on ne nous fasse pas croire que l’Église et que le Vatican ont été à la pointe du combat contre l’horreur nazie et l’infamie vichyssoise. Il est heureux, mais normal, que des couvents, jadis, aient abrité des innocents ou des combattants qui défendaient l’homme contre l’enfer. Mais il est scandaleux de confondre aujourd’hui les victimes et les bourreaux. Et, vraiment, entre l’oubli des crimes que prêche certaine politique et l’asile aux criminels que l’Église admet, où le sang des martyrs trouvera-t-il donc justice?» – Georges Altman: Sauver les bourreaux au nom des victimes. Est-ce là ce qu’admet le R.P. Riquet? (Franc-Tireur, 22 mars 1947)
En Yougoslavie aussi, des protestations s’élèvent
Le 1er février 1947, la Yougoslavie adresse au Saint-Siège deux notes: l’une demandant l’extradition de cinq criminels de guerre collaborationnistes yougoslaves, réfugiés au Vatican, l’autre protestant contre “les facilités accordées par le Saint-Siège au transport en Amérique du Sud de sujets yougoslaves réclamés par leur pays comme criminels de guerre”. Cette dernière note précise que le gouvernement yougoslave est informé que le bateau italien “Andrea Griti”, qui a quitté Gênes le 29 décembre 1946 et fait escale à Naples le 31 du même mois, a emporté en Amérique du Sud un grand nombre de Yougoslaves recherchés, aussi bien par la police yougoslave que par les autorités américaines, comme criminels de guerre. Parmi eux se trouvaient trois ministres d’Ante Pavelitch, chef du gouvernement collaborationniste croate, ainsi que le général Canitch et d’autres collaborationnistes notoires.
Ainsi que le rappelle fort justement la note yougoslave, l’activité “charitable” duVatican viole ouvertement les accords internationaux, qui prévoient la livraison des criminels de guerre à la justice, et non leur sauvetage.
Mais Pie XII n’a cure des accords internationaux, et les Yougoslaves sont mal venus d’oser faire de la morale à celui qui se dit, de par le dogme, infaillible en cette matière. Au surplus, il le fait bien voir.
Les enfants de Martin Bormann sont reçus par le Saint-Père
«Selon Il Tempo, qui dit tenir son information de sources “très proches du Vatican”, Martin Bormann serait vivant. Trois enfants de Martin Bormann se seraient rendus à Rome et auraient été reçus par Pie XII.» – Le Monde, 10 février 1952
Cette entrevue ne fut pas inutile, car l’assassin traqué a trouvé un asile sûr, comble d’ironie, chez les fils du doux saint François.
Martin Bormann, condamné à mort, devient le père franciscain Martini
«D’après un leader néo-nazi, Eberhard Stern, ancien membre du Reichstag, Martin Bormann, condamné à mort par contumace pour crime de guerre par le tribunal Nuremberg, vit dans un couvent romain, sous les traits du père Martini, moine franciscain du couvent Saint-Antoine. “J’ai rencontré Bormann, le 16 janvier, affirme Stern, Bormann n’a pas cherché à cacher son identité. Tu vois, m’a-t-il dit, je suis vivant. Je ne veux pas être dérangé.”
«Bormann aurait raconté comme suit à Stern les circonstances de sa mystérieuse disparition pendant les dernières heures de la chute de Berlin: “Je m’abritais derrière un char allemand devant la Chancellerie. Le char explosa et je perdis connaissance. Quand je repris conscience, j’étais seul, étendu sur une pente.”
«Un démenti apporté par le couvent de San-Antonio sur la prétendue présence de Bormann à Rome a provoqué quelque surprise de la part de la femme de Stern. Celle-ci a montré un avis de réception d’une lettre recommandée adressée par son mari au père Martini peu après le retour de Stern à Berlin. Le reçu du bureau de poste indique que sa lettre a été acceptée il y a plus d’une semaine par le père Martini… Mme Stern a précisé que son mari avait écrit au père Martini simplement pour le mettre au courant de son retour à Berlin et pour le remercier de l’entrevue que le moine lui avait accordée.» – Combat, 4 février 1952
Marcel Déat alias “frère Marcel”
«Il est officiellement reconnu aujourd’hui, écrit M. Olivier Merlin, que Marcel Déat est mort le 4 janvier 1955 d’une lésion au poumon à la clinique “Villa dei Colli”,sur les hauteurs de Turin, non loin de cette colline où il aimait à se promener… Il s’y éteint à l’âge de soixante ans, dix ans après sa condamnation à mort par contumace (par la Cour de Justice de Paris).
«La levée du corps de Marcel Déat avait eu lieu confidentiellement le 7 janvier, trajet direct de la clinique au cimetière. Il pleuvait à torrent cette après-midi-là. On sait aujourd’hui que six prêtres assistèrent à la cérémonie intime: deux franciscains, deux aumôniers de la police, un jésuite et dom Cerutti, professeur au collège Salésien de Dom Bosco qui avait confessé l’ancien national-socialiste (nazi) de l’ “Œuvre”. Une dame cachée sous des voiles de deuil, et un étranger discret, en noir, avaient également pris place dans le fourgon anonyme: la veuve de Marcel Déat et son neveu, arrivé spécialement de Paris…
«Le 3 mai 1945, explique madame Déat sans se faire prier, nous avons quitté Feldkirch à bord d’une traction noire pilotée par notre chauffeur Briand, emportant nos documents, des machines à écrire, des armes, une mallette contenant de l’argenterie, des dollars et des livres sterling. L’idée de Marcel était d’éviter la pagaïe d’Innsbruck et de gagner, vers le sud, la frontière italienne. Nous couchâmes à Saint-Anton pour remonter le lendemain la vallée de l’Inn jusqu’à Rechenpass, à 1500 mètres d’altitude. Dans la soirée, nous sommes sur le territoire du Haut-Adige, à Naturno, au pied des “3000” de l’Œtzal et à quelques kilomètres de Merano, Briand se gare pour laisser passer un détachement de l’armée américaine. Les chars côtoient la Citroën bourrée d’armes.» Tous trois dormiront quand même – avec une mauvaise conscience – dans la Citroën noire, ce soir-là…
«À Bolzano, ils vont droit au siège de la Commission pontificale… qui les dirige par le train sur Milan. De là, la même commission leur conseille d’aller à Gênes…
«Quelques mois plus tard, Marcel Déat et sa femme s’installaient tranquillement à Turin. Déat trouvait asile au couvent des franciscains. Hélène, sa femme, résidait au couvent des sœurs de la Divine Providence, à quelque cent mètres de là... » –Match, 9 avril 1955
…
Mais l’habit ne fait pas le moine. Pour un novice d’une si haute qualité, et d’ailleurs si rompu à la vie active, on pense bien que la clôture n’est pas stricte. Le “petit frère” va et vient, en dépit de la règle.
«En mars 1946, des indications fournies par des agents secrets signalent que Déat est caché dans le Haut-Adige, dans la région de Bolzano. Déat vivrait alors avec d’anciens SS et miliciens, vivant du trafic de passeports à cachets du Vatican. Déat assisterait même à des réunions du mouvement fasciste clandestin à Scorza. Plusieurs personnes, dont des journalistes, affirment l’avoir vu se promener en toute liberté dans les rues de Bolzano. L’un d’eux va même signaler sa présence au commissaire de la ville et lui demander pourquoi il ne l’arrête pas. “Déat n’est pas sur la liste des criminels de guerre”, lui répond le magistrat qui n’a pas d’autres instructions…
«À Rome, on le voit dans une voiture en compagnie de deux prélats. Il semble, selon les agents, que Déat est logé avec sa femme au Palazzo réservé aux hôtes de marque. Son dossier porté sorti à la date du 18 décembre 1947, à la questure de Rome, ne serait plus revenu ensuite dans les classeurs de la police, lorsque les policiers français en auraient demandé communication.
«Le 17 mars 1948, on apprend à la Sûreté que Déat réside dans une propriété située près de Monterondo, à 25 kilomètres de Rome. L’ancien ministre se rendrait chaque semaine au Vatican. Le 19 avril 1948, un renseignement le signale à Castel Gandolfo. On prétend même que Déat aurait été hébergé dans la résidence papale grâce à l’appui du cardinal Canali… » –
France-Dimanche, 3 avril 1955
Marcel Déat au “Russicum”
«… C’est grâce à la protection du Vatican, écrit M. Jean Bedel que Marcel Déat n’a pas été arrêté. Il pouvait l’être d’un jour à l’autre si le gouvernement français l’avait exigé. Non seulement Déat n’était pas traqué mais il poursuivait, depuis 1945, une action politique intense…
«En avril 1947, des informations précises parvinrent à la Sûreté selon lesquelles Déat était en Italie, où il participait à l’ “Internationale Noire”, qui regroupait les fascistes et les nazis en fuite. Plusieurs journaux italiens signalèrent sa présence à Rome. C’était exact. Déat se trouvait alors au collège “Russicum”, caché par les Pères Pallotins…
«C’est sur l’injonction du Vatican que la mission de recherche fut retirée à la Sûreté et confiée à un service spécial qui reçut les instructions nécessaires pour laisser Déat en paix… En 1951, Déat participe en Espagne à un congrès de l’ “Internationale Noire”, où il aurait rencontré Martin Bormann. En 1952, un ordre de recherche avec fiche signalétique parvint au service des étrangers de Turin. Mais un contre-ordre de Rome était adressé à la questure à Turin, et les recherches furent définitivement abandonnées. Rappelons qu’à cette époque Georges Bidault était vice-président du Conseil et Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères…
«Déat est mort, mais les anciens nazis, les néo-fascistes et les criminels de guerre en liberté poursuivent leur malfaisante activité à travers l’Europe sous la haute protection du Vatican… » – Libération: “Déat était l’un des dirigeants de l’ “Internationale Noire”. Il devait être arrêté en 1947 quand les recherches furent abandonnées à la demande du Vatican”, 4 avril 1955
Il y aurait, en somme, un joli traité à écrire, sous le titre “De l’art d’utiliser les restes” (voire les résidus). Mais sans doute Sa Sainteté n’a-t-elle rien à apprendre sur ce point.
Une bénédiction spéciale de Sa Sainteté
«Certaines révélations sur le séjour protégé et la mort escamotée de Marcel Déat en Italie retiendront encore l’attention, maintenant que la certitude est acquise que le mort mystérieux du cimetière central de Turin est bien l’homme qui rêva d’être le Hitler français… Les autorités officielles n’ont sans doute jamais ignoré qui était le proscrit. Dans un pays aussi catholique que l’Italie, en régime démo-chrétien, l’autorité de la hiérarchie ecclésiastique se confond avec le pouvoir… Marcel Déat et sa femme ont obtenu une bénédiction spéciale du souverain pontife. Cette faveur exceptionnelle fit gros bruit à Turin… » – Paris-Presse, 3 avril 1955
Observons que cette faveur n’est pas aussi exceptionnelle qu’on le dit. Il nous semble, au contraire, que le Saint-Père en est prodigue, tout au moins à l’égard des bourreaux et de leurs complices. Après Mgr Stepinac, Déat, Oswald Pohl, Pavelitch, combien d’autres l’ont obtenue! Si l’on dressait le palmarès, il serait édifiant.
…
On ne sera pas surpris de rencontrer, parmi les “personnalités” ayant bénéficié de la protection du souverain pontife, le nom du trop fameux Darnand qui commandait avec le brio que l’on sait, au temps de Vichy, les chevaliers de la matraque.
«Darnand, l’ex-chef de la Milice, s’était réfugié chez le rév. père Bonfiglio qui menait, dans la petite ville d’Eldolo, dévote, confortable et mystérieuse vie. Il n’en fallait pas davantage pour que les autorités britanniques s’intéressassent particulièrement à lui, pour des raisons qui ne regardent que l’Intelligence Service. Au cours d’une visite minutieuse opérée au domicile du rév. père, les trois limiers alliés découvrirent, accessoirement, la présence d’un monsieur qui n’hésita pas à décliner son identité: “Je suis Joseph Darnand”, dit-il. La police militaire anglaise n’avait que faire du personnage, elle nous le remit sans trop de façon. Darnand eut alors à s’expliquer sur ses bagages, ses archives, son argent. Tout cela, déclara-t-il, avait été dissimulé en maints endroits. De fait, on retrouva une grande partie de ces choses. Seule, une somme de 21 millions de francs était portée manquante. Darnand s’en expliqua. Il s’agissait de vingt et un millions de billets français ancienne manière. Le rév. père Bonfiglio, dont la connaissance est grande, s’offrit à déposer la somme au Vatican, qui se chargerait de l’opération d’échange. Ainsi fut fait, selon Darnand… » – Franc-Tireur “Les millions de Darnand dans les caves du Vatican?”, 6 juillet 1945
Que sont devenus, depuis, les vingt et un millions “échangés”? Mystère! On peut se demander avec l’auteur si ce léger viatique, emporté par le Milicien-Chef pour ses frais de déplacements, ne repose pas aujourd’hui dans les caves du Vatican: “On n’ira pas y voir. Cela ne se fait pas.” Mais cette question nous remet en mémoire l’étrange anomalie que représente, dans une Europe saignée à blanc et méthodiquement pillée par les nazis, un Vatican à ce point enrichi qu’il compte parmi les puissances financières les plus colossales du monde.
La protection du pape s’étend jusqu’aux criminels de guerre japonais
«L’Agence missionnaire “Fides” annonce que le pape Pie XII était intervenu auprès du gouvernement de Washington en faveur des dirigeants japonais condamnés à mort par le tribunal international de Tokyo… » – La Croix, 25 décembre 1948
Comme on le voit, la charité de Notre Saint-Père le pape ne connaît ni races ni distances. Au surplus, il ne pouvait décemment marchander ses bons offices à ces dirigeants japonais auxquels il avait si chaudement recommandé jadis les missionnaires protestants, ces “propagateurs religieux de l’erreur” internés par les Nippons aux îles Philippines, qui ne devaient pas, disait-il, “recouvrir une liberté à laquelle ils n’ont aucun titre”. – André Ribard
Parmi tant de hauts personnages qui, au temps de l’adversité, eurent recours à l’assistance du Saint-Père, ne pouvait manquer de figurer une des plus grandes vedettes, un “catholique pratiquant” déjà couvert, d’ailleurs, des bénédictions apostoliques, en un mot le fameux tueur Ante Pavelitch.
Des informations ont été publiées à diverses reprises sur l’odyssée du chef des oustachis après la défaite allemande. On a conté comment cet exterminateur des Serbes orthodoxes – ou leur convertisseur à l’occasion – avait pu s’embarquer pour la République argentine grâce aux bons offices du Vatican. Mais on sait combien celui-ci est discret dans sa bienfaisance. Ce qui fait que les preuves manquaient.
Cependant, une information toute récente est venue confirmer de la façon la plus incontestable la présence de l’ex-Croisé dans ce pays très catholique que gouvernait naguère encore l’ex-président Peron.
Un revenant
«Où donc se cachait-il, cet homme aux oreilles monstrueuses et gigantesques, et que depuis douze ans l’on recherchait partout? Le 10 avril dernier on le sut. Depuis le 27 on l’ignore derechef. Resurgi un instant comme le plus terrible des diables, Ante Pavelitch a disparu.
«L’oustacha, chef des oustachis – le plus sinistre boucher de la dernière guerre (disent maints jugements de tribunaux, parmi lesquels celui qui siégea à Nuremberg) se portait à merveille, à l’ombre des palmiers, en ses soixante-huit ans. À Buenos Aires, le pacha le plus sanguinaire qu’ait, nous dit-on, connu l’Europe balkanique, le “Poglavnik” – le führer croate – la moustache abondante, mangeait paisiblement du chachlik, suivi de glaces à la pistache… et, suivant son habitude, il songeait inlassablement à des jours meilleurs. De temps à autre, ses yeux noirs regardaient ses énormes oreilles dans la glace. Ils ne regardaient pas ses mains: de lourdes mains velues… Il les regardait d’autant moins qu’il savait, mieux que personne, que de par le monde des millions de ses semblables les “voyaient” rouges du sang de plus d’un million d’innocents…
«Dans la cité jardin aux rues boueuses, six coups de feu partirent. Au cinquième Ante Pavelitch fut touché à la colonne vertébrale… La sixième balle l’atteignit en pleine poitrine. Deux athlètes blonds qui, comme par hasard, l’escortaient, le transportèrent à l’hôpital le plus proche… Le diagnostic médical fut simple: deux balles à extraire. Le diagnostic policier le fut moins: M. l’ingénieur Pablo Aranjos, entrepreneur de maçonnerie, c’était Ante Pavelitch – déclaré mort dix fois, condamné à mort trois fois, dont une en France, et déclaré formellement par le gouvernement du général Peron comme n’ayant jamais mis un pied sur le sol de la République argentine, et ne pouvant [par conséquent) pas être extradé selon le souhait réitéré inlassablement par l’ambassade yougoslave.
«Lorsqu’un frais matin du début de 1948, le bon vieil ingénieur, flanqué de sa fidèle épouse et de Maruk, sa fille bien-aimée, débarqua à Buenos Aires, il n’avait, semble-t-il, pour tout bagage qu’un faux passeport… mais, chose étrange, un représentant du gouvernement était venu le saluer…
«Mais d’où donc lui venaient ses ressources? Là non plus il n’avait rien à cacher et, devant les policiers abasourdis, il énuméra calmement la liste de ses prétendus bienfaiteurs: … l’Assistance pontificale de Rome…
«Quelques jours après l’attentat de Buenos Aires, trompant une soi-disant surveillance policière… le “Poglavnik” disparut. Le retrouvera-t-on à nouveau?» –Match, 25 mai 1957
À cette question nous répondrons: peut-être… si l’occasion se présentait encore d’avoir recours à ses bons offices.
…
Il va de soi que les quelques cas que nous avons cités ne représentent qu’une infime part des “sauvetages” opérés par le Vatican. À côté des “ténors” dont la disparition a excité la curiosité du public, il y eut de plus modestes sires, et puis les obscurs, les sans-grade, tout le menu fretin des pillards et des assassins promus “réfugiés politiques”. La “Commission pontificale d’assistance” eut de quoi faire, à répartir cette foule dans les couvents, puis à l’évacuer discrètement vers des asiles sûrs, munie de passeports truqués. Qu’ils vinssent d’Allemagne, de Pologne, de Croatie ou de quelque autre théâtre d’ “opérations”, tous ces ex-Croisés en déroute savaient qu’ils ne frapperaient pas en vain à la porte des maisons pieuses… de même que devaient le savoir par la suite, en Afrique du Nord, les sanguinaires fellagha. Si Abel a mauvaise presse au sein de l’Église romaine, Caïn y fut toujours l’objet d’une inépuisable mansuétude.
Bien mieux, cette édifiante charité ne s’exerça pas seulement envers les vivants, comme en témoignent les trois extraits de presse ci-dessous.
Le corps de Mussolini caché dans le couvent de l’Angelicum de Milan
«La dépouille mortelle de Mussolini a été retrouvée, ou, plus exactement elle a été remise à la police par des gens qui savaient à quoi s’en tenir sur ce qu’étaient devenus les restes du duce depuis le jour où ils avaient été enlevés du cimetière de Milan. C’est hier, dans la Chartreuse de Pavie, qu’un père de l’ordre des Frères Mineurs de l’Angelicum, nommé Alberto Parini, a remis au préfet de police de milan la dépouille mortelle. Celle-ci avait été déposée dans une cellule. Le père Lamberto, supérieur de la Chartreuse, a déclaré que le macabre objet lui avait été confié le jour même par le père Alberto. Le préfet de police de Milan a déclaré que le corps de Mussolini avait été caché pendant longtemps dans le couvent de l’Angelicum de Milan.» – L’Étoile du Soir, 14 août 1946
«Les receleurs du corps de Mussolini, les pères Alberto Parini et Zucca, sont arrêtés. Ils sont aussi accusés de tentative de reconstitution du parti fasciste et sont détenus à la prison de San Vittore.» – Libé-Soir, 15 août 1946
Des messes sont dites dans toute l’Italie pour Mussolini et les chefs fascistes
«Au cours de ces dernières quarante-huit heures, des messes ont été dites dans toute l’Italie, à la mémoire de Mussolini. À Mantoue, la police a effectué une rafle à la sortie de l’Église où se célébrait un service à la mémoire des “chefs fascistes martyrs… » – Le Figaro, 3 mai 1947
Aux yeux du Saint-Père, ce sont en effet des “martyrs” que ces hommes qui ont déchaîné la plus monstrueuse des guerres, la plus grande vague d’horreurs qui ait jamais déferlé sur le monde. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants furent massacrés par leurs soins, mais c’était pour la “bonne cause”. Dès lors n’ont-ils pas droit, vivants, à tous les secours; morts, à tous les honneurs?
En leur prodiguant sans compter son aide et ses bénédictions, le Saint-Père a montré qu’il savait “reconnaître les siens”.
Ce sont vraiment de dangereux hétérodoxes, ces deux catholiques qui osent faire pièce à ce guide infaillible. L’un dit, parlant des protecteurs des criminels de guerre: “S’ils sont coupables ou nuisibles politiquement, ils doivent être combattus, jugés. Une épuration dans l’Église est toujours à faire. Si l’affaire des couvents provoque le démarrage, elle est la bienvenue.” – Action, 4 avril 1947
Et un autre conclut: “Nous ne pensons pas qu’on puisse faire fleurir la religion sur la pourriture.” – Les événements et la foi, dans “Jeunesse de l’Église”, p. 59
On ne peut que répondre amen à ces nobles propos. Mais il faut bien rappeler à leurs auteurs que l’Église romaine a une hiérarchie, que cette hiérarchie a une tête, et que c’est cette tête – et elle seule – qui décide et qui commande sans appel. La conclusion s’impose d’elle-même: pour épurer l’Église, il faudrait la décapiter.
Extraits de “Le Vatican contre l’Europe – les documents accusent” par Edmond Paris, Librairie Fischbacher, Paris, 1959
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