Arctic Sea, conspirationisme médiatique et manipulations russes
Par Gilles RAPHEL, pour http://aschkel.over-blog.com/ et lessakele.over-blog.fr
Nous avons tous suivi dans la chaleur de l’été, l’épisode fantastique de l’Arctic Sea, nous en connaissons l’histoire par les médias, mais voici que depuis quelques jours, ces mêmes médias, jusqu’à là en questionnement, s’affolent. L’Arctic Sea transporterait des missiles russes, voire même des S 300, (ou X 55) pour l’Iran, la livraison devant s’effectuer soit par l’Algérie, soit par la Syrie. Le deuxième épisode de la conspiration porte sur l’intervention des services israéliens (Mossad) et occidentaux (Otan) afin de faire échec de cette livraison. Nous nous demandons d’ailleurs où, dans ce court périple, ont bien pu passer les soit disant missiles ?
Reprenons donc l’histoire à son début.
Début juillet, l’Arctic Sea était en cale à Kaliningrad pour sa visite annuelle, puis, il s’est rendu au port finlandais de Pietarsaari afin de charger une cargaison 6 700 m3 de bois de charpente et de lattes destinés à l’Algérie. Il reprend la mer le 23 juillet et est arraisonné par des pirates dans la nuit du 24 juillet, à 1 heure GMT, au large de l’île Öland dans les eaux territoriales suédoises. Arrêtons-nous là un instant.
L’Arctic Sea est un vraquier moyen, 97,80m pour 7167 tonnes, il appartient à une société finlandaise, la Solchart Management dont le Pdg et principal propriétaire est Viktor Matvejev, un citoyen russe. Le navire est enregistré à Malte, à la Valette pour des raisons fiscales, par une holding « la Société finlandaise de la Mer Blanche », elle aussi appartenant en majorité à Matvejev ainsi qu’à deux autres russes vivant en Finlande.
Le navire a donc été arraisonné par un groupe de huit hommes (Estoniens, Russes et Lituaniens), vêtus de noir, portant l’inscription « Police » et venus de Kaliningrad en Zodiac portant aussi l’inscription « Police » sur les flancs. Ils se sont présentés comme des policiers suédois cherchant de la drogue, sont montés à bord, ont malmené les trois hommes de quart, ont réveillé le reste de l’équipage et sous la menace d’armes, se sont rendus maître du lieu.
Arrêtons-nous une nouvelle fois.
Quel est le lien entre la Russie, l’Estonie, la Lituanie, la Finlande, Kaliningrad et Malte ? Dans l’ensemble de ces territoires agit le groupe mafieux Kemerovov, du nom de la ville sibérienne d’origine. L’organisation criminelle en Estonie est ainsi organisée : de petits groupes purement estoniens sont regroupés en un Conseil, le Nõukogu, ce Conseil est en lien avec les 9 grandes familles criminelles du pays qui s’organisent avec la mafia russe sous le nom de Obtshak, le « profit partagé », ce Conseil est sous la main mise de l’organisation mafieuse russe Kemerovov.
Comme toutes les organisations mafieuses, Kemerovov vit de trafic de drogue, du vol de voitures de luxe, du vol de bateaux de luxe, de la traître d’êtres humains, de blanchiment d’argent et de racket. Ce racket organisé se nomme le krysha, il peut s’élever jusqu‘à 20% des bénéfices d’une entreprise et les sociétés détenues par des russes à l’étranger doivent aussi le payer.
Il semble donc que la Société Finlandaise de la Mer Blanche ait omis de payer « ses dettes ».
Afin de régler ce contentieux, le groupe Kemerovov décide de pirater le navire et de demander le paiement contre libération. Notons ici que les huit pirates sont connus comme liés à la mafia russo-estonienne.
Le bateau est donc pris, un membre de l’équipage a le temps de lancer un SMS d’alerte, mais quand les autorités maritimes suédoises appellent, le capitaine sous contrainte, ou bien l’un des pirates annonce que le message était une plaisanterie. Là sans doute commence la négociation entre le groupe mafieux et l’armateur, durant ce premier temps, une douzaine d’heures, le vraquier stoppe les machines, puis, fait des ronds dans l’eau, puis repart vers le nord et enfin reprend sa route.
Entre temps, les autorités maritimes suédoises ont alerté le propriétaire du bateau et la Finlande qui elle alerte l’ambassade de Russie.
Que se passe-t-il à ce moment là entre l’ensemble des parties, nous ne le saurons jamais, mais toujours est-il que les négociations traînent en longueur et l’Arctic Sea se voit obligé de reprendre sa route vers le sud, sous peine d’alerter l’ensemble des polices maritimes de la Baltique.
Là débute la désinformation russe, le bateau aurait été pris en otage 12 heures, fouillé de fond en comble, puis les pirates seraient repartis.
En réalité, ils sont toujours sur le navire qui poursuit son trajet à travers la Manche maintenant. Interpol, alors informé de cet acte passager de piraterie, n’avertit pas, dans le doute, les autorités maritimes et c’est tout à fait normalement que le vraquier s’identifie au Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) de Jobourg, de Corsen et enfin d’Etel.
Le 28 juillet, les gardes-côtes britanniques sont en contact avec l’Arctic Sea et n’ayant pas été prévenu de l’abordage en mer Baltique, ne perçoivent pas de problème, dans la nuit du 29 au 30, le navire passe le rail d’Ouessant, le 31 juillet la police suédoise a un dernier contact et reçoit à cet instant les photographies des trois hommes molestés, photos destinées à faire pression sur les négociations.
C’est à cet instant que l’emballement médiatique débute, l’Arctic Sea aurait été abordé, les pirates l’auraient ensuite quitté et il aurait disparu ! Cette disparition représente la seconde manipulation russe !
La réalité est toute autre, en effet, durant sa révision annuelle, l’Arctic Sea a été équipé du système LRIT (Long Range Identification Tracking), ce système sera obligatoire pour tout navire en 2010 et tout navire passant sa visite annuelle 2009 doit l’avoir fait installé. Le LRIT transmet toutes les 6 heures les coordonnées du vaisseau dans un centre autorisé de l’Etat d’immatriculation, ici Malte donc. L’Arctic Sea est maintenant au large des côtes atlantiques françaises dans les eaux internationales. Le propriétaire du navire ayant demandé l’appui de la Russie, c’est tout naturellement que la marine russe prend le navire en chasse, lisons ceci en sachant que le groupe Kemerovov est parfois proche des pouvoirs en place …
Le bateau est repéré, par un appareil de l’armée portugaise, au large du pays ; le Portugal « lâche » l’information.
Là intervient la troisième manipulation russe : l’Arctic Sea a de nouveau été abordé par des pirates au large du Portugal, manipulation reprise naïvement par la Commission Européenne, ce qui permet à Medvedev de faire rugir l’ours russe, devant des pirates si déterminés, la Russie envoie quatre vaisseaux et mobilise deux sous-marins nucléaires !
A cet instant l’affaire est jouée, l’Arctic Sea ne sait en réalité où se rendre et progresse droit devant, sans aucun projet. La Russie manipule encore deux nouvelles fois, la première en imitant le samedi 15 août la fréquence radio de l’Arctic afin de faire croire qu’il se trouve encore dans le Golfe de Gascogne (alors que toutes les autorités le savent au large du Cap Vert), la seconde en annonçant que le navire fonce à 15-20 nœuds alors qu’il se traîne à 10 nœuds.
L’Arctic sera arraisonné le 17 août au large du Cap Vert par la frégate russe Ladny, depuis, les 8 pirates (6 résidant en Estonie et 2 résidant en Lettonie) et 11 membres d’équipage sont au secret dans la même prison moscovite. Son capitaine, son second, deux mécaniciens ainsi que des membres des services russes conduisent le bateau vers le port de la mer Noire de Novorossiïsk, au passage ils déchargeront la cargaison de bois comme prévu au port algérien de Béjaïa où les trois importateurs la Sarl CBTI basée à Alger, l’Eurl Régate de Constantine et la SARL Sonebois de Tadjenant attendent avec impatience la marchandise achetée à l’industrie boisière Stora Enso !
Voici donc la sombre, banale et somme toute ridicule histoire de règlement de comptes entre mafias où le culte du secret des autorités russes a conduit à l’évènement rocambolesque de l’été.
Ici, ni drogue, ni missiles, ni S 300, ni X 55, ni services occidentaux (ou si peu), encore moins de Mossad, simplement une affaire mal menée transformée en coup d’éclat pour les forces spéciales russes qui ont arrêté huit abrutis qui ne savaient plus quoi faire d’un rafiot jamais perdu, chargé de 4 000 tonnes de bois de charpente.