


Ces six anciens dirigeants du Shin Bet se confient devant la caméra de Dror Moreh , cinéaste israélien confirmé.
A l’instar du Fog of War: Eleven Lessons from the Life of Robert S. McNamara d’Errol Morris (2003)¸ The Gatekeepers illustre leurs propos avec des images d’archives et des animations informatiques.
The Gatekeepers comprend sept parties :
- “Pas de stratégie, seulement des tactiques : le rôle émergeant du Shin Bet de la guerre des Six-jours à l’occupation des territoires palestiniens ;
- Oublie la moralité : sur 300 incidents de bus ;

- Nos propres chair et sang : sur le terrorisme Juif, dont le Juif Underground et l’assassinat d’Yitzhak Rabin ;
- La victoire est de vous voir souffrir : sur les négociations avec les Palestiniens lors de l’Intifada II ;
- Dommage collatéral : sur l’assassinat de Yahya Ayyash et d’autres militants du Hamas”;
- Le Vieil Homme au bout du corridor : réflexions sur les activités du Shin Bet et leur impact éthique et stratégique sur l’Etat d’Israël”.
Est-ce la première fois que d’anciens responsables du Shin Bet s’expriment publiquement, comme l’allègue le dossier de presse de The Gatekeepers ?

Après le New York Times, le 15 novembre 2003, le Washington Post (Ex-Security Chiefs Turn on Sharon ) et le Guardian (Israel on road to ruin, warn former Shin Bet chiefs) ont relaté ces interviews.
Ezer Weizman a alors stigmatisé ces “quatre mousquetaires” qui minaient le gouvernement.
Ces interviews ont précipité la décision désastreuse du retrait israélien de 8 000 Juifs, civils et soldats, de la bande de Gaza et de quatre localités de Samarie. Annoncée par Ariel Sharon le 18 décembre 2003, cette décision était contraire à sa promesse électorale en 2001 (“Le destin de Netzarim sera celui de Tel Aviv”). Un plan de désengagement unilatéral, sans traité de paix,sans que les Palestiniens mettent en oeuvre la Feuille de route (Roadmap), et qui a accru la vulnérabilité du Sud israélien aux tirs du Hamas.
Lors de la réalisation de son documentaire Sharon, Dror Moreh a appris “en discutant avec le cercle des conseillers du Premier ministre, que les critiques émanant de certains de ces Gatekeepers avaient beaucoup influencé Sharon dans sa décision d’évacuer Gaza”.
Et d’ajouter : “Le temps est venu d’interpeler les gens, et non pas seulement le cercle des décideurs ”. Et d’espérer que son film “initiera ce dialogue”.

Près de dix ans après l’interview de ces quatre anciens du Shin Beth, Dror Moreh reprend les mêmes, et présente comme inédites des déclarations déjà connues.
C’est en ces termes partiaux qu’Arte décrit The Gatekeepers que la chaine franco-allemande a co-produit et auquel elle dédie undossier et de très nombreux articles :
« Les confessions ahurissantes de six anciens chefs du Shin Beth, le Service de la sécurité intérieure d’Israël. Un film explosif, nominé aux Oscars, qui éclaire trente ans de lutte antiterroriste et d’errements face à la question palestinienne. Chacun à leur tour, ils racontent, intensément, quelque trente ans de lutte antiterroriste en Israël et de gestion désastreuse de la question palestinienne. Un flot d’aveux précis, circonstanciés, d’une remarquable liberté et d’une sidérante acuité. Six anciens chefs du Shin Beth, l’équivalent israélien du FBI, expliquent comment, depuis la Guerre des six jours en 1967, dont la victoire vaut à l’État hébreu d’occuper Gaza et la Cisjordanie et de faire face à un million de Palestiniens, les responsables politiques n’ont jamais vraiment cherché à construire la paix. Une succession d’erreurs qu’inaugure le mauvais arabe avec lequel de jeunes réservistes s’adressent aux populations des nouveaux territoires occupés, leur annonçant qu’ils viennent les « castrer », au lieu de les « recenser". Peuple oublié, bavures, tortures, méthodes iniques de renseignements et de recrutement d’indicateurs amplifiant la haine de l’occupé... Ils disent surtout l’absence glaçante de vision stratégique ; la résistance et l’hostilité des Palestiniens oubliés explosant avec la première Intifada ; le laxisme face à l’extrémisme juif qui anéantira, avec l’assassinat de Yitzhak Rabin, la seule réélle lueur de paix. “On a gagné toutes les batailles, mais on a perdu la guerre”, lâche Ami Ayalon, à la tête du service de 1996 à 2000, quand Avraham Shalom, le plus ancien d’entre eux, compare l’armée d’occupation à celle de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. “Quand vous quittez le Shin Beth, vous devenez gauchiste...”, conclut avec ironie Yaakov Péri (1988-1994). Nourri par de formidables archives et un travail visuel sophistiqué à partir de photos, ce réquisitoire exceptionnel, sorti en salles pendant la campagne des légistatives a eu l’impact d’une bombe en Israël. Déjà auteur de Sharon, le réalisateur Dror Moreh croit fermement au pouvoir des films et c’est peut-être là l’un des secrets de réussite de son audacieuse entreprise. Un manifeste passionnant de bout en bout, double du portrait de six hommes en proie au doute, mais animés d’un salvateur pragmatisme ».

The Gatekeepers montre les hauts critères éthiques, légaux, moraux du Shin Bet, soucieux de préserver les vies israéliennes et palestiniennes.
Il ternit l’image d’Israël en “Occupant sans coeur”, sans informer sur “la dure vie des Palestiniens sous dominations égyptienne et jordanienne (1948-1967)” et la “modernisation de la vie économique, politique, culturelle” et sociale sous administration israélienne (Roz Rothstein et Roberta Seid).
The Gatekeepers allègue une fausse équivalence entre le Jewish Underground (1980), un groupe ultra minoritaire d’habitants Juifs des implantations ayant blessé deux maires palestiniens et projeté de faire exploser le Dôme du Rocher – sans soutien populaire ou politique, les dirigeants de ce groupe ont été arrêtés par le Shin Bet en 1984 -, et les terroristes palestiniens produits par l’éducation palestinienne à la haine et à la violence et soutenus par les autorités politiques et la société palestiniennes.
The Gatekeepers véhicule l’idée infondée, mais omniprésente dans la gauche, que le “péché originel” israélien provient de sa victoire rapide lors de la Guerre défensive des Six-jours (juin 1967). Une victoire suivie de l’”Occupation” induisant le terrorisme palestinien, corrompant cet Etat et un peuple devenu un occupant brutal et sans coeur. D’où le parallèle infamant d’Avraham Shalom entre Tsahal et la Wehrmacht.
Or, le terrorisme palestinien a précédé la recréation de l’Etat d’Israël : les Arabes de Palestine ont tué environ 1000 Juifs entre 1920 et 1967, rendu Judenrein les territoires conquis par les Arabes pendant la guerre de 1948, 162 Israéliens ont été tués par les terroristes d’Arafat entre 1968 et 1970.
“Nul ne peut nier le courage et le patriotisme de ces six hommes qui ont donné la meilleure partie de leurs vies au service de leur pays, mais on peut et on devrait regarder froidement comment ils ont été manipulés par un réalisateur ayant un programme “, écrit Gidon Ben Zvi dans Jewish Thinker (10 février 2013).
Que de carences informatives ! Quid de l’idéologie génocidaire du Hamas ? Quid des “relations d’affaires fortes nouées” par Yaaxov Peri, n°5 sur la liste de Yair Lapid à la Knesset, avec “des dirigeants corrompus de l’OLP après son départ du Shin Bet en 1994” ?
The Gatekeepers dénigre l’usage de la force, plaide pour le “slogan trompeur” (Shmuel Trigano) de la solution à deux Etats, prône des négociations avec un partenaire pour la paix palestinien inexistant et impute au seul Etat d’Israël le refus de ces pourparlers !
Comme si ces ex-dirigeants du Shin Bet et le réalisateur Dror Moreh n’avaient tiré aucune leçon de l’échec du plan de désengagement de 2005 : le conflit n’est pas territorial, mais religieux ; les sondages révèlent que les Palestiniens refusent, comme leurs dirigeants, les offres les plus généreuses de l’Etat d’Israël ; les tirs de roquettes à partir des territoires évacués et contre Israël ont crû, ce qui a déclenché trois guerres israéliennes en huit ans contre deux mouvements terroristes islamistes soutenus par l’Iran, le Hamas et le Hezbollah.
Comme si Dror Moreh celait sciemment les interviews en 2003 pour éviter au public de se souvenir combien les Israéliens ont subi tragiquement les conséquences du retrait unilatéral de l’”Occupant israélien”.
Comme si le refus musulman ou/et arabe de l’existence de l’Etat Juif n’était pas la cause fondamentale à ces guerres contre cet Etat. Dror Moreh occulte tout ce qui corrigerait, ou infléchirait sa thèse controversée, tout ce qui contredirait les propos de ces six anciens dirigeants du Shin Bet. Ce qui transforme ce documentaire en film de propagande de gauche.
Un film qui a suscité des louanges de médias occidentaux - TheWall Street Journal l’a inscrit dans sa liste des 10 meilleurs films de 2012 -, notamment de ceux de la communauté française Juive.
Un documentaire « nominé » aux Oscar du meilleur documentaire, et distingué par le Prix de l’association des critiques cinématographiques de Los Angeles (2012) et le Prix du cinéma pour la Paix (2013).
Mais The Gatekeepers a suscité une vive polémique, notamment sur Internet et les réseaux sociaux : indignation face aux déclarations publiques d’anciens directeurs d’un service de renseignement, financement public d’Israel bashing, exercice d’autoflagellation, voire de haine de soi, partialité sous couvert de neutralité, etc.

Dans le registre humoristique, Latma a réalisé un sketchironisant sur ce film, et le journaliste David Suissa a renommé le film The Gate Crashers.
Plus de 73 heures d’interviews, une heure trente de films, les mêmes remarques inquiétantes qu’en 2003 destinées à un public supposé amnésique.
Naïveté ? Rouerie ? Cynisme ? Prétention ?
« Errare humanum est, perseverare diabolicum » (locution latine, « Se tromper est humain, persévérer est diabolique »).
“The Gatekeepers ”
Documentaire de Dror Moreh
Israël/France, 2012, 1 h 30 mn
Production : ARTE France, Les Films du Poisson, Dror Moreh Productions, Cinephil, Wildheart Productions, Macguff, NDR, IBA, RTBF
Prix du meilleur documentaire de l’Association des critiques des films de Los Angeles
Diffusion le 5 mars 2013 à 20 h 50.