Israël, entre deux générations
07/05/2008
http://www.lefigaro.fr/debats/2008/05/07/01005-20080507ARTFIG00008-israel-entre-deux-generations.php

Six décennies après la création d'Israël, des millions de Juifs de la Diaspora ont fait leur alya, comme ce jeune enfant arrivant au sein d'un groupe d'immigrants russes, mardi, à Tel Aviv. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
L'éditorial de Pierre Rousselin du 7 mai.
Il y a soixante ans, la création d'Israël donnait corps au rêve sioniste formulé il y a un plus d'un siècle par Theodor Herzl pour mettre un terme à l'errance du peuple juif. Six décennies plus tard, la réussite est manifeste : des millions de Juifs de la Diaspora ont fait leur alya et sont allés construire un pays dont ils ont fait la première puissance économique et militaire du Proche-Orient.
Certes, Israël n'est pas ce «kibboutz géant» auquel rêvaient, en 1948, Shimon Pérès et bien des pionniers des origines. Avec le temps, l'utopie fondatrice a dû céder le pas, face à une réalité des plus exigeantes, que l'enthousiasme et les victoires des armes n'ont pu apprivoiser.
Mais le succès d'Israël, c'est aussi cela : une société multiforme s'est développée, avec une vie politique intense, des créateurs dynamiques, une économie à la croissance insolente (autour de 5 % par an) ; bref, un pays moderne qui se transforme sans cesse. Il connaît les réussites et se heurte aux problèmes que doivent affronter les autres sociétés du monde développé.
Le mythe égalitaire incarné par le kibboutz d'antan a vécu. Comme ailleurs, et davantage encore, la croissance est tirée par un secteur de haute technologie particulièrement performant. La disparité des revenus s'est creusée et la pauvreté touche des secteurs de plus en plus larges de la population. Avec ses ombres et ses lumières, Israël est devenu un pays comme un autre. Dans leur grande majorité, les nouvelles générations n'aspirent à rien d'autre qu'à relever ce défi de la normalité et à vivre dans un État qui serait enfin en paix avec tous ses voisins.
Malgré les faits d'armes qui, au fil des décennies, ont assuré sa survie, en 1948 avec la guerre d'indépendance, puis en 1957 avec l'opération de Suez, en 1967 avec la guerre des Six-Jours et en 1973 avec celle du Kippour, Israël n'a pu tracer ses frontières définitives. En dépit des traités de paix avec l'Égypte (1978) et la Jordanie (1994), son existence même reste ouvertement menacée par le président d'un Iran que tout le monde soupçonne de vouloir se doter de la bombe atomique.
Le conflit avec les Palestiniens est le plus douloureux parce qu'il oppose deux peuples pour une même terre. Depuis l'an 2000 et la fin de la présidence de Bill Clinton aux États-Unis, les paramètres de la solution sont connus : la coexistence de deux États ayant pour capitale Jérusalem, le droit au retour des Palestiniens étant limité à l'État qui leur sera accordé. Cette proposition est de plus en plus acceptée, mais elle reste impossible à faire entériner par des dirigeants qui, de part et d'autre, n'ont pas la moindre marge de manœuvre.
Après d'autres déboires au Liban, la guerre de l'été 2006 contre le Hezbollah a montré que la puissance militaire ne suffisait pas. Soixante ans, c'est le temps d'une génération. Celle des pères fondateurs et des héros des guerres d'Israël est en train de passer la main. Une nouvelle génération, étrangère à l'épopée de 1948 qui fut un drame pour les Palestiniens, devra parachever son œuvre.
L'État palestinien reste en pointillé
De notre correspondant à Jérusalem, Patrick Saint-Paul
06/05/2008
http://www.lefigaro.fr/international/2008/05/07/01003-20080507ARTFIG00012-l-etat-palestinien-reste-en-pointille-.php

Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
Sari Nusseibeh, figure palestinienne du «camp de la paix», souligne que même si l'idée a fait son chemin, sa mise en oeuvre reste hors d'atteinte.
Soixante ans après la partition de la Palestine mandataire britannique, les Palestiniens acceptent désormais, dans leur écrasante majorité, l'existence de l'État d'Israël comme une évidence, explique le professeur Sari Nusseibeh, directeur de l'université palestinienne al-Qods de Jérusalem-Est et figure du «camp de la paix». Côté israélien, une majorité de la population est acquise aujourd'hui à la solution de deux États, vivant côte à côte en paix. Conscient du danger existentiel que fait peser la démographie palestinienne sur Israël, le premier ministre Ehoud Olmert s'est converti à l'idée d'un État palestinien. «Le problème, c'est la synchronisation entre la prise de conscience de la société israélienne et de ses dirigeants et la réalité, affirme Sari Nusseibeh. Plus les Israéliens sont convaincus qu'il n'existe pas d'autre solution que deux États, moins cela devient réaliste à cause des faits sur le terrain.»
Issu d'une famille patricienne de Jérusalem, gardienne des clés du Saint Sépulcre, Sari Nusseibeh est né un an après l'État d'Israël. Habitant Jérusalem-Est, coupée de la partie occidentale de la ville jusqu'à la guerre des Six Jours, il a découvert Israël en 1967, après l'annexion par l'État hébreu de la partie orientale. Au fil des années, sa curiosité pour son voisin lui a appris à le comprendre et à surmonter sa colère. En 2003, il a été l'auteur d'un plan de paix officieux, corédigé avec l'Israélien Ami Ayalon, ancien patron du Shin Bet (sûreté de l'État).
«Au lieu de nous développer en coopération avec Israël au sein du monde arabe, nous sommes écrasés par ce conflit larvé mais sanglant et interminable, qui s'accompagne d'une grande inhumanité des deux côtés, explique au Figaro le patron de l'université al-Qods. Ce n'est pas une fatalité. Aujourd'hui, Israël peut changer son destin et le nôtre.»
Nusseibeh, qui a été représentant de l'OLP à Jérusalem-Est au début de la seconde intifada avant de prendre ses distances avec Yasser Arafat, estime que le temps presse. Car les Palestiniens sont de moins en moins enthousiastes à l'idée d'avoir leur État. Il juge sévèrement les erreurs de Yasser Arafat. «Il avait la volonté de construire des institutions pour jeter les bases solides d'un État palestinien. Mais il n'avait pas le savoir-faire, déplore Nusseibeh. Au lieu de construire un État, les dirigeants palestiniens se sont complus dans la corruption et ont travesti la démocratie. Je suis terrifié maintenant à l'idée d'un État palestinien. Si cela doit devenir un État du Hamas, je n'en veux pas. Ni d'un État où la corruption et le népotisme sont répandus à tous les étages, comme au sein de l'Autorité palestinienne.»
«Les gens regrettent la période de l'occupation»
Comme de nombreux intellectuels palestiniens, Nusseibeh estime que les négociations en cours, qui doivent aboutir à un accord avant la fin de l'année 2008, sont la dernière chance pour un État palestinien. «Les gens regrettent l'occupation, affirme-t-il. Avant les accords d'Oslo (de 1993 sur l'autonomie palestinienne), on pouvait étudier, avoir un emploi, aller à la plage, prier à Jérusalem, circuler librement. S'ils ratent cette occasion, ce sera la fin de la solution de deux États. Les gens se rebelleront contre l'Autorité palestinienne et se battront pour un seul État avec les mêmes droits pour tous. Israël est au bord du désastre et de l'autodestruction.»
Nusseibeh veut croire qu'Ehoud Olmert et le président palestinien Mahmoud Abbas seront capables de «changer l'histoire».«Les deux seuls vrais obstacles sont Jérusalem et le problème des réfugiés, estime-t-il. La seule façon pour Abbas ou n'importe quel dirigeant palestinien de renoncer au droit au retour est d'obtenir une concession à Jérusalem en échange. Car en obtenant la souveraineté sur la partie orientale de la Ville Sainte, il décroche un cadeau pour l'ensemble du monde musulman. Et le seul moyen pour Olmert de faire accepter la restitution de Jérusalem-Est sera d'obtenir en échange la garantie de survie d'Israël en tant qu'État juif, grâce à l'abandon du droit au retour. S'ils ne règlent pas ces deux problèmes en un bloc, ils gâcheront l'opportunité de faire la paix.»
Comment la France a aidé Israël à avoir la bombe
07/05/2008 Anonyme ?
http://www.lefigaro.fr/international/2008/05/07/01003-20080507ARTFIG00013-comment-la-france-a-aide-israel-a-avoir-la-bombe.php

Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
Dans les années 1950, Paris et Tel-Aviv, mus par une hostilité commune contre l'Égypte de Nasser, ont coopéré étroitement dans la recherche atomique.
Dans le domaine de la dissuasion, cela s'appelle une politique d'ambiguïté nucléaire. Officiellement, l'État hébreu, qui fête ces jours-ci son soixantième anniversairen'a toujours pas la bombe atomique. Il n'a pas signé le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et n'est donc pas soumis au contrôle des inspecteurs de l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA). Mais c'est un secret de Polichinelle, dans cette région troublée du Proche-Orient, qu'Israël dispose d'ogives atomiques, surtout depuis que le premier ministre Ehoud Olmert l'a implicitement reconnu, en décembre 2006. De fait, Israël a la bombe depuis 1967. Et c'est l'aide, décisive, de la France, qui lui a permis de devenir la sixième puissance nucléaire de la planète.
Lorsque naît l'État hébreu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui a vu, pour la première fois, l'utilisation de l'arme suprême par les États-Unis contre le Japon, les responsables israéliens misent sur la bombe pour éviter qu'un second Holocauste puisse un jour être commis contre le peuple juif. L'arme nucléaire devra assurer la survie du nouveau pays sur le long terme. Plus tard, elle devra aussi le protéger des menaces représentées par l'Irak et l'Iran, soupçonnés d'avoir eux-mêmes des ambitions nucléaires militaires.
Le programme nucléaire israélien est lancé en 1949 par le premier ministre, David Ben Gourion. À l'époque, les États-Unis refusent d'y contribuer. Déjà, la perspective de voir un jour la Chine et la France rejoindre le club très fermé des puissances nucléaires ne plaît guère à Washington. Les dirigeants américains veulent à tout prix éviter la nucléarisation du Proche-Orient. Sous John F. Kennedy, l'Administration américaine n'aura de cesse d'essayer de convaincre Israël de renoncer à son programme atomique. En échange, le Pentagone offrait son parapluie nucléaire et des garanties sur la dissuasion. En vain.
En 1954, Ben Gourion se tourne vers Paris, à qui il propose une entraide mutuelle pour la mise au point de la bombe. La France possède un double avantage : elle a une longueur d'avance en matière de recherche nucléaire et veut laver la honte de la Collaboration en cajolant les victimes juives du nazisme. Le rapprochement franco-israélien se noue autour de la guerre de Suez. Les deux pays ont un ennemi commun : l'Égypte de Gamal Abdel Nasser, qui soutient d'un côté le Front de libération nationale (FLN) algérien contre la France et arme, de l'autre, les fedayins palestiniens contre Israël.
Programme clandestin
Lorsque le président égyptien ferme le canal de Suez à la navigation israélienne avant de le nationaliser en 1956, Paris et Tel-Aviv font front commun et décident d'intervenir aux côtés de la Grande-Bretagne. Ce sera un fiasco, en raison de l'hostilité américano-soviétique à l'aventure. Mais l'amitié franco-israélienne se poursuit. En octobre 1957, Paris et Tel-Aviv passent des accords diplomatiques et techniques et lancent véritablement le programme nucléaire clandestin, supervisé par Shimon Pérès et financé par des fonds secrets prélevés sur le budget du ministère israélien de la Défense.
La France avait promis de fournir la centrale nucléaire de Dimona, dans le désert du Néguev, avant la crise de Suez. Mais la coopération, qui doit permettre à Israël d'obtenir la maîtrise complète du cycle de combustible et de se hisser au rang de nouvelle puissance nucléaire, est renforcée après l'invasion du Sinaï égyptien par l'armée israélienne. Paris envoie plusieurs centaines de techniciens, livre un réacteur nucléaire de 24 mégawatts et entame les travaux à Dimona en 1958.
Le contrat prévoit également la construction d'une usine souterraine de séparation isotopique. En échange de son soutien déterminant, la France, qui cherche elle aussi à se doter de l'arme atomique ce sera chose faite en 1960 espère «bénéficier de la technologie américaine, à laquelle les scientifiques israéliens sont supposés avoir accès», explique l'historien Pierre Razoux (*).
Lorsque de Gaulle revient au pouvoir en 1958, il freine, puis ordonne l'arrêt de la coopération nucléaire avec Israël. Le général veut réorienter la politique étrangère de la France dans un sens plus favorable aux pays arabes, surtout après les accords d'Évian sur l'indépendance algérienne en 1962. Les essais nucléaires français ayant été concluants, de Gaulle estime qu'il n'a plus besoin des Israéliens pour faire progresser la recherche. «Mais surtout, il veut assurer le caractère français de la bombe, recentrer l'outil de dissuasion sur le territoire national», indique Pierre Razoux, qui occupe aujourd'hui des fonctions au Collège de défense de l'Otan à Rome.
Après lui, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing puis Jacques Chirac mèneront une politique nucléaire beaucoup plus proliférante. Paris ira même jusqu'à fournir un réacteur nucléaire, celui d'Osirak, à l'Irak de Saddam Hussein. «Mais sous de Gaulle, la politique nucléaire de la France est vraiment recadrée. Nous ne sommes plus dans l'amitié très forte qui liait la classe politique française et les travaillistes israéliens», explique Bruno Tertrais, spécialiste du nucléaire à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris.
Un gilet pare-balles
L'aide française aura néanmoins été déterminante. Le programme israélien est suffisamment avancé pour pouvoir être mené jusqu'à son terme. Les principales étapes ont été franchies et l'usine de Dimona est terminée. Nasser s'en alarme, qui déclare en 1966 : «L'Égypte se lancerait dans une guerre préventive si Israël se mettait à fabriquer des armes nucléaires.» Le président égyptien multiplie les provocations envers l'État hébreu, envoie ses avions survoler Dimona. Mais il est trop tard. À la veille de la guerre des Six-Jours en 1967, les premières armes nucléaires sont quasi opérationnelles au sein de Tsahal.
Pendant tout ce temps, le secret est conservé sur le programme nucléaire israélien. Pour en avoir révélé l'ampleur dans une interview au Sunday Times, en octobre 1986, l'ancien technicien Mordechai Vanunu a été condamné à dix-huit ans de prison.
Après avoir longtemps servi de gilet pare-balles contre la menace irakienne, lorsque Saddam Hussein était au pouvoir, le programme nucléaire vise aujourd'hui en grande partie à protéger l'État hébreu de la menace iranienne. Les ambitions nucléaires de Téhéran et l'intransigeance de Mahmoud Ahmadinejad, qui estime qu'Israël devrait être «rayé de la carte», ont potentiellement rétabli la menace existentielle qui pesait contre l'État hébreu avant la guerre des Six-Jours de 1967 ou pendant la guerre de Kippour de 1973.
Selon la publication britannique spécialisée Jane's Intelligence Review, la menace est plus sensible encore depuis la publication, en décembre 2007 à Washington, du rapport des agences de renseignements américaines, le NIE, qui, en relativisant la menace nucléaire iranienne, a rendu improbable une intervention militaire des États-Unis.
La peur de se retrouver seul face à l'Iran nourrit les rumeurs d'une intervention militaire israélienne contre les installations iraniennes. Benyamin Ben Eliezer, le ministre israélien des Infrastructures, a prévenu le mois dernier qu'une «attaque iranienne contre Israël déclenchera une riposte dure qui provoquera la destruction de la nation iranienne».
L'État hébreu disposerait aujourd'hui, selon les spécialistes, de 100 à 200 têtes nucléaires. Son armée détient toute la gamme des vecteurs pouvant délivrer une arme atomique, notamment des bombardiers de fabrication américaine F 15 ou F 16, ainsi que des missiles.
La dissuasion israélienne s'appuierait aussi, depuis peu, sur une composante marine. Avec l'aide, non plus de la France, mais de l'Allemagne cette fois ! Au début des années 1990, Tel-Aviv a passé des accords de coopération avec Berlin, qui concernent notamment la livraison de trois sous-marins Dauphin, appartenant à la dernière génération. Selon Pierre Razoux, il est probable que des missiles nucléaires puissent être embarqués dans ces sous-marins dotés d'une technologie anaérobie. «Les Allemands sont antinucléaires chez eux, mais permettent à Israël de renforcer sa dissuasion nucléaire en lui livrant de nouveaux vecteurs», remarque le spécialiste.
(*) Pierre Razoux est l'auteur de «Tsahal, Nouvelle histoire de l'armée israélienne», Perrin 2006.
Vidéos INA
- La prise de Jérusalem en 1948
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- Les troupes israéliennes dans le Sinaï
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- Une année d'Intifada
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