par Ali Salim
6 juin 2013 at 5:00 am
Lorsque l’Iran aura fini de s’armer, nous serons témoin d’un changement dramatique, sur la carte du Moyen-Orient, avec l’ajout d’un pouvoir dangereux et meurtrier qui sapera, subvertira ou bouleversera les orientations du groupe des puissances traditionnelles des Etats-Unis, de l’Europe, de la Russie et de la Chine.
Les chaînes de télévision arabes très en colère, comme d’habitude, prétendent que l’Occident n’entreprend aucune action qui vaille pour mettre fin au massacre en Syrie, et dans le même temps, elles représentent les dirigeants arabes profondément plongés dans des négociations diplomatiques, pour mettre fin à la guerre – tout en masquant nettement les erreurs, mauvais gestes et l’incapacité générale à avoir le moindre impact sur les horreurs qui se donnent libre cours.
Alors que les Musulmans se massacrent les uns les autres dans les pays bousculés par les Printemps Arabes, l’Islam Sunnite se trouve dans la position incongrue d’attendre d’être secouru par l’Occident croisé –les Etats-Unis et les pays européens, que ces mêmes Islamistes disent vouloir islamiser par l’épée, et auquel ils envoient épisodiquement des terroristes pour assassiner des civils.
Selon la mentalité islamique extrémiste des Sunnites, l’Occident a la charge de faire le sale boulot qui consiste à purger la Syrie, l’Iran et le Liban de leur terrorisme chi’ite. Dans le même temps, les combattants du Jihad du monde entier, débarquent, jour après jour, en Syrie pour massacrer les Alaouites, les Druzes et les Chrétiens qui sont considérés comme des collaborateurs d’Assad. Ces Jihadistes se réclament d’« Allah W’Akbar », alors qu’ils commettent les mêmes atrocités que celles infligées par le régime qu’ils tentent de renverser. Peu importe que le monde soit très réticent à leur envoyer un soutien matériel. Confrontés, à la fois, à l’hésitation du monde occidental de leur donner des armes et à ses inquiétudes concernant ce qui adviendrait, si et quand ils prendraient le pouvoir en Syrie, les Jihadistes sur place ont commencé à se comparer aux dirigeants infidèles des mouvements militants communistes d’Amérique du Sud, à Cuba, en Bolivie, au Chili – et au paroxysme de l’incongruité, à ceux qui ressemblent le plus aux pires athéistes.
Au même moment, dans la plus pure tradition des échecs arabo-islamiques, les médias arabes continuent de débiter leurs diatribes en série contre les complots sionistes en Palestine, comme pour détourner l’attention de ce qui se passe en Syrie. Ils médisent les uns sur les autres et s’abstiennent de prendre position, alors que des fleuves de sang se répandent. D’un côté, ceux qui s’identifient au régime syrien se gaussent qu’il soutient (ou plutôt, soutenait) le Hamas et les autres organisations palestiniennes contre Israël, et prétendent que l’opposition au régime, l’Armée Libre Syrienne, est intimement liée à Israël et fait tout son possible pour détruire la Syrie. Et qu’il ne s’agit pas, seulement, de détruire la Syrie, mais de l’expulser du camp de la résistance, qui non seulement, soutient courageusement les Palestiniens, mais combat contre les dictats de l’hégémonie américaine et celle de son allié et occupant des hauteurs du Golan, Israël.
Les partisans du régime Assad accusent également les rebelles d’avoir neutralisé les systèmes de défense (radars) de l’armée de l’air syrienne et même d’avoir marqué des cibles pour les forces aériennes israéliennes. Les soutiens du régime prétendent que les rebelles ne sont qu’un gang de racailles et de terroristes islamistes opportunistes sans commun dénominateur, qui, attirés par l’odeur, sont venus faire un festin de la charogne syrienne. Ils prétendent aussi que l’Armée Libre Syrienne ne représente pas authentiquement la volonté du peuple, mais simplement celle des organisations terroristes islamistes, alors que ce serait, en réalité, le Hezbollah qui protège les lieux saints des Chi’ites en Syrie, comme le tombeau de Zeinab, la sœur de Mahomet.
De l’autre côté, ceux qui s’identifient à l’opposition syrienne affirment que le régime Assad ne représente que les seuls Alaouites. Es membres de l’opposition disent que le régime est assoiffé de sang et illégitime – particulièrement après avoir massacré son propre peuple, y compris les Palestiniens du camp de réfugiés de Yarmouk – et qu’il doit donc être renversé. Ils prétendent aussi que le régime est soutenu par les terroristes chi’ites d’Iran et le Hezbollah au Liban, dont une grande partie s’est fait tuer en aidant le régime ; ue le régime n’est constitué que de massacreurs de masse de civils syriens, qui violent les femmes syriennes et leurs enfants et perpètrent une foule d’autres horreurs, à commencer par l’utilisation de gaz chimique.
Leur assertion la plus forte, cela dit, reste que le régime syrien est la patte du chat israélien – et que le régime a permis aux Sionistes de larguer des bombes sur le territoire syrien, qu’il a collaboré à l’assassinat d’Imad Mughniyeh (un commandant de haut-rang du Hezbollah), qu’il a abandonné les hauteurs du Golan ; que le Syrie est, ainsi, devenue le foyer de la haine anti-israélienne, et comme toujours, qu’Israël est responsable de toutes les erreurs et fautes du Moyen-Orient, y compris d’avoir transformé la Syrie en cimetière du Printemps Arabe.
L’ancien membre de la Knesset israélienne, A’zmi Bishara, qui s’est enfui d’Israël, alors qu’il était soupçonné d’espionner pour le compte du Hezbollah chi’ite, a récemment déclaré à la TV du Qatar, que la guerre en Syrie, a déjà tué 100.000 personnes, que 400.000 Syriens ont été blessés, que 500. 000 habitations avaient été détruites, et qu’il y a plus d’un million de réfugiés. Les dimensions de la catastrophe humanitaire sont si disproportionnées qu’elles ont transformé toute l’histoire des réfugiés palestiniens (un titre héréditaire transmis depuis trois générations, et qui ne vaut guère plus que le papier sur lequel est décerné ce statut) en une saga de moindre importance, qui devrait être consignée dans les pages des livres d’histoire. En ce qui concerne Bishara, le temps est venu de se focaliser uniquement sur le fait d’aider les véritables réfugiés, les Syriens.
Les activités subversives et le terrorisme iranien sont prédominants dans l’axe fondé par l’Iran : elles se manifestent à travers la charge des attaques en provenance des Chi’ites d’Irak, transforment la Syrie en tapis de cadavres et se poursuit par les exactions du Hezbollah libanais. Chaque jour, des cellules terroristes iraniennes sont découvertes dans les états du Golfe Persique, au Bahrein, au Soudan, en Arabie Saoudite et même en Egypte, où les terroristes islamistes kidnappent des soldats égyptiens dans la Péninsule du Sinaï, démontrant la faiblesse du régime qui s’en prétend le maître.
A ce point de tension, l’organisation terroriste Hamas a pour ainsi dire romp uses liens avec l’Iran, mais, malheureusement, l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui suggèrent de possibles accords de paix avec Israël, à l’intérieur du cadre de l’Initiative de la Ligue Arabe, continuent d’utiliser des sociétés-écrans pour financer le Hamas, tout en parvenant très bien à dissimuler leurs activités aux Américains. Leur argent et leur soutien maintient bien vivace la vendetta contre Israël ; et pire, elle demeure à vif entre le Hamas et le Fatah, et, de cette façon les Etats du Golfe font en sorte qu’il soit possible aux Israéliens de poursuivre le développement de leur Etat sans être dérangés, alors que, nous, Arabes, nous entretuons allègrement.
Du bain de sang ethnique et religieux en Syrie, on voit se dessiner les contours de petits états entre lesquels, en définitive, le pays pourrait finir par se scinder : Kurde, Sunnite et Alaouite, avec plus ou moins d’enclaves protégées pour les Chrétiens et les Druzes. Peu importe de quelle façon les dés tomberont, il n’y a aucun moyen pour Assad de demeurer l’autocrate patenté du peuple syrien, même s’il réussit, aux moyens de massacres et d’oppression, à maintenir son trône pour un temps.
Les Russes comprennent que le sort d’Assad est scellé et qu’il se pourrait que, bientôt, la Russie n’ait plus de pied à terre en Syrie. Il n’est pas très difficile de comprendre pourquoi. Le peuple syrien, dont la grande majorité est sunnite, recèle une haine profonde pour la Russie, qui travaille contre lui, et aide Assad à massacrer ses femmes et ses enfants. Il ne le permettra plus. Cependant, le besoin de préserver le marché pour ses ventes d’armes, un port accueillant dans les eaux chaudes de Méditerranée et ses avant-postes au Moyen-Orient, n’ont pas laissé d’autre choix aux Russes que de soutenir le régime. Enfantés dans le communisme, ils ne croient pas aux vertus de la démocratie, et ils ne feront rien qui favorise la chute d’Assad, indifférents au fait que cela puisse être tentant.
Selon certains commentateurs des évènements au Moyen-Orient, les bombardements en Syrie, attribués à Israël, qui ont fait la démonstration à l’Occident que l’Iran, aussi, pouvait faire l’objet d’une frappe, ont révélé que les armes russes n’étaient qu’une menace creuse – infligeant une gifle à la réputation russe. Par conséquent, ces attaques ont contraint les Russes à montrer à leurs alliés syriens (et aux autres) qu’ils disposaient réellement de meilleures capacités de dissuasion. Aussi ont-ils offert des armes plus modernes aux Syriens, accélérant le processus d’une nouvelle Guerre Froide. Quand Poutine a refusé d’accéder à la requête de Netanyahou de ne pas livrer des armes avancées au régime syrien en voie d’effondrement, il essayait de signaler à l’Occident qu’une intervention étrangère en Syrie, et inutile d’insister, en Iran, serait impossible. Ainsi, pour sa propre auto-défense, Israël s’est trouvé au beau milieu d’une bataille entre les grandes puissances mondiales, disposant d’un appui américain chancelant. Il est hors de question, pour la Russie, de permettre à un régime pro-américain qui lui soit hostile, d’émerger en Syrie ; quiconque qui pense autrement vit dans un monde de rêve.
Comme pour l’Iran, la situation en Syrie démontre que l’axe chi’ite- iranien s’effrite et à quel point la population syrienne déteste profondément l’Iran. Les confrontations sanglantes, occasionnant des pertes massives, entre les Chi’tes et les Sunnites dans les pays de l’axe iranien, en Irak, en Syrie et au Liban, sont en pleine escalade. L’implantation tenace de l’Iran au Moyen-Orient s’affaiblit et ainsi en est-il de l’imposture qu’il tente de perpétrer aux yeux des états du Golfe : en renforçant son axe irako-syrien grâce au Hezbollah, elle viserait à détourner l’attention de son véritable but, l’acquisition d’une bombe nucléaire, en les apaisant par une fausse sensation de sécurité. Dans le même temps, l’Iran profite du fait que les feux de la rampe se concentrent sur la Syrie, alors qu’il développe chèrement sa bombe nucléaire et envoie ses mercenaires et ses armes au Hezbollah et à Assad. Cependant, quand l’Iran aura terminé de s’armer, nous assisterons à un changement dramatique, sur la carte du Moyen-Orient, avec l’ajout d’un pouvoir dangereux et meurtrier qui sapera, subvertira et bouleversera les orientations du groupe traditionnel des puissances globales, que sont les Etats-Unis, l4europe, la Russie et la Chine.
Jusqu’à présent, la situation en Syrie a démontré, que comme conséquence de l’hésitation américaine, la bonne vieille guerre froide entre la Russie et l’Occident est, désormais, asymétrique. On peut aussi voir ce résultat dans l’attitude américaine envers l’Iran : les Russes soutiennent ouvertement le régime syrien chancelant, même si, aux côtés de l’Irak et du Hezbollah, il fait partie intégrante de l’axe iranien. La Russie a, par provocation, envoyé des missiles sol-air S-300 et d’autres armes extrêmement létales au régime syrien pour dissuader l’Occident et l’empêcher de s’impliquer en Syrie et au Liban, tant sur le plan naval qu’aérien, et ainsi le dissuader d’attaquer l’Iran. Israël, pour les Russes, ne fait pas partie de l’équation ; la force et la dissuasion des Russes n’ont été acquises que face à la faiblesse perceptible des résolutions américaines.
L’axe américano-turco-arabe renforcé par l’OTAN, de l’autre côté, a fourni des financements à l’opposition syrienne, de l’entraînement, du matériel de soutien et des équipements militaires non-combattants, mais n’est ni intervenu ni ne l’a résolument armé. L’Occident est confronté à un dilemme : l’opposition est composée, en grande partie, d’éléments islamistes extrémistes affiliés à Al Qaeda, comme Ahrar al-Sham et le Front Al Nusra. Ils ne sont pas perçus comme préférables à Assad, aussi, en surface, les positions russe et américaine, au sujet de la survie d’Assad sont assez proches. Comme dans l’expression : « Plutôt le Diable que nous connaissons que le diable que nous ne connaissons pas », les Américains ont tiré parti de l’expérience que les Islamistes qui reçoivent des armes américaines ne tardent jamais à les retourner contre leurs bienfaiteurs et les utilisent ensuite contre des soldats américains. Ainsi la conférence à avenir, à Genève, et la formulation de ses préconditions sera complexe, autant pour les Américains que pour les Russes.
En tant qu’Arabes, nous devons comprendre que, tout comme la puissance nucléaire iranienne ne sera pas uniquement tournée contre Israël, les armes russes ne seront pas seulement braquées sur Israël ou contre le peuple et les rebelles syriens, mais contre le monde arabe tout entier. En tant qu’Arabes, nous devons décider si nous voulons, de notre propre libre-arbitre, nous soumettre au nouveau maître iranien, ou reprendre l’initiative et – avec le soutien américain – frapper la tête du serpent iranien. Dans la situation actuelle, les Russes les Russes n’interféreront pas et le Moyen-Orient tout entier en sera soulagé. Nous avons frappé les Perses pour maintenir l’héritage du Prophète Mohamed et nous pouvons encore le faire, aujourd’hui.
Ali Salim est un chercheur universitaire basé quelque part au Moyen-Orient.