Interview du ministre français des Affaires étrangères, à l’occasion de son déplacement en Iraq
Sous le titre, "Du droit d'être chaldéen et de la 'présence' de la France en Iraq", M. L. Levy reproduit sur son blog, une interview, par RTL, du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, en l’assortissant d’une brève introduction (voir ci-dessous), dans laquelle il souligne, à juste titre, l’attention manifestée par le ministre à la minorité catholique chaldéenne. (Menahem Macina).
23 août 2007 « J'ai écouté, hier, sur France 2, Bernard Kouchner, de retour d'Iraq, interviewé par Françoise Laborde. Évoquant la situation chaotique qu'il a trouvée à Bagdad, il ne s'en est pas tenu à parler des tensions entre Chiites, Sunnites et Kurdes. Il a aussi cité le cas des Catholiques Chaldéens, qui sont « en Iraq depuis le 1er siècle après Jésus-Christ », c'est-à-dire qu'ils y étaient avant l'islam. Si la façon pour la France d'être « présente en Iraq », est d'y affirmer le droit des minorités, chrétiennes et autres, à vivre en paix en Iraq, alors vive la France et vive Bernard Kouchner. »
Michel Louis Levy, sur son blogue.
Texte de l'interview (par RTL, en date du 21 août 2007), repris du site du Ministère des Affaires étrangères.
(Les mises en grasses sont de M. L. Levy, les remarques entre crochets carrés sont de la Rédaction d’upjf.org).
Bernard Kouchner quittant Bagdad. Photo REUTERS/Ali Yussef/Pool
Q - Vous êtes en Iraq, à Bagdad, depuis dimanche après-midi. Quelle impression vous fait la ville ?
R - Sinistre. Il y a un contraste évidemment très important et même poignant, navrant, entre la zone verte, où sont réfugiés les responsables, et le reste de la ville qui est saccagé ou qui est inaccessible, où les rideaux de fer sont baissés et où la vie est difficile : il n'y a pas d'école, il n'y a pas d'eau ou très peu. Il n'y a qu'une heure trente d'électricité par jour.
Je sais que la zone verte n'est pas Bagdad et que Bagdad n'est pas l'Iraq. Alors cela ne va pas très bien.
Q - Etre sur place vous rend plus optimiste ou plus inquiet sur les possibilités de réconciliation nationale dans ce pays ?
R - Inquiet, je l'étais, je le suis encore. Mais être sur place, c'est ne pas avoir des certitudes avant de comprendre. Pour comprendre et pour présenter éventuellement une participation, il fallait écouter. J'ai rencontré toutes les composantes de la société iraqienne et dans quelques minutes, je verrai sa Béatitude Emmanuel III, qui est le chef de l'église chaldéenne. Les Chrétiens vont mal ici et ils sont plus ou moins persécutés. En tous cas ils s'en vont. Donc, j'ai vu tout le monde. Je continuerai de les voir toute la journée. C'est seulement après que je pourrai me faire une idée un peu plus précise. Mais il fallait être là, il faut être là.
Q - En quoi était-ce le moment pour la diplomatie française de revenir en Iraq ?
R - Parce que nous sommes là depuis trois mois et il fallait faire un calendrier. Nous avions listé les crises et, une par une, nous essayons d'y jouer notre rôle. Mais maintenant, je crois que l'on se rend mal compte, vu de loin, de ce qui va se passer ici. C'est une partie formidable qui va se jouer ici et nous devons en être. C'est une phrase du général de Gaulle "Allons vers l'Orient". Je crois vraiment qu'en fonction de ce qui va se décider, se jouer ici, le monde sera changé.
Q - A quoi faites-vous allusion exactement ?
R - Aux affrontements religieux, par exemple. Aux affrontements communautaires. Ou à l'entente religieuse, à l'entente communautaire. Au sort de la paix et de la guerre au Moyen-Orient. Je fais allusion aux chocs et aux difficultés des communautés chiites et sunnites à s'entendre. Et puis, il y a aussi les wahhabites. Je fais allusion à la confiance ou à la méfiance qui va régner entre les communautés, à la guerre ou à la paix en réalité, et à la position par rapport aux autres.
Il y a autour de l'Iraq des pays qui comptent terriblement, qui vont jouer un rôle dans les mois et les années qui vont venir. Cela nous regarde. Il y a l'Iran. Il y a le problème du nucléaire en Iran. Il y le problème du rapport de l'Iran avec le chiisme. Il y a l'Arabie saoudite, la Syrie, la Jordanie, le Koweït et le Liban.
Q - Vous pourriez aller dans tous ces pays ?
R - Il ne s'agit pas simplement de voyager. Il s'agit d'avoir une opinion et de savoir ce que l'on peut faire de positif et quel rôle la France peut jouer dans cette région et pour cela, il fallait écouter les Iraqiens.
Q - Il y a quelques commentaires critiques sur votre voyage qui dénoncent un ralliement sur [sic] les Américains.
R - Je suis plus habitué aux critiques qu'aux encouragements.
Q - Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère…
R - Jean-Pierre Chevènement ? Vous me dites Jean-Pierre Chevènement ? C'est une critique, me dites-vous ? Jean-Pierre Chevènement a été un des soutiens les plus affichés au [lire : du] dictateur sanglant Saddam Hussein, dont on ne sait pas ici, dont on ne souvient pas qu'il a tué deux millions, quatre millions de ses concitoyens, alors s'il vous plait !...
Q - En tout cas, il est important pour vous que la France continue de se distinguer de la politique américaine, qui est le risque que vous courez en allant là-bas.
R - La seule façon de ne pas courir de risque, c'est de ne rien faire. Nous nous sommes distingués très clairement de la politique américaine. Nous n'avons pas été partisans de l'intervention américaine et je crois que nous avions raison d'essayer, par des moyens qui ressemblaient à ceux du Kosovo, qui étaient des moyens de la communauté internationale, des moyens par [sic] l'intervention par l'ONU, de faire cesser des crimes, des crimes perpétrés par Saddam Hussein sur [lire : contre] sa propre population. Mais ne revenons pas sur ce passé. Il est très important que les Iraqiens - et ils s'en souviennent - se remémorent ce qu'a été la position de la France, cela nous donne un rôle très particulier. Et, en effet, nous ne sommes pas passés par les Américains. C'est la première fois depuis vingt ans qu'un ministre des Affaires étrangères se rend en Iraq. Nous ne sommes pas passés par les Américains. J'ai prévenu, quelques heures avant de partir, Mme Rice, comme j'ai prévenu mon collègue, M. Miliband, comme j'ai prévenu M. Steinmeier, la Présidence portugaise et M. Solana.
Q - Vous allez parler des conclusions de votre voyage aux autres ministres des Affaires étrangères européens ?
R - Bien sûr, car je souhaite qu'il y ait des possibilités, des actions positives, qui ne soient pas seulement celles de la France. Mais la France a un rôle particulier dans cette région. Vous n'imaginez pas l'accueil de la France parmi toutes les communautés. Et je vous rappelle qu'il y a une communauté catholique, ici, que je vois dans quelques minutes. C'était un accueil merveilleux. Ils attendent quelque chose. C'est comme un soulagement qu'on ne les oublie pas. Avant, il y avait une attitude qui consistait à dire "Circulez, il n'y a rien à voir, c'est tellement compliqué, c'est tellement fichu d'avance qu'il ne faut plus s'en occuper ". Et [lire : eh] bien, ce n'est pas l'attitude de la France actuelle.
Q - Il y a donc eu une évolution par rapport à la présidence de Jacques Chirac ?
R - Il y a une évolution de la situation, également. Je crois que c'est le moment. Je crois que tout le monde sait que les Américains ne pourront pas sortir ce pays de la difficulté tous [lire : tout] seuls. Et donc, je l'ai dit et je le répète, plus les Iraqiens demanderont l'intervention de l'ONU, plus elle les y aidera. L'Europe, il est vrai, doit jouer un rôle et j'espère qu'il y aura d'autres ministres des Affaires étrangères qui viendront visiter l'Iraq, je le souhaite.
© RTL – Ministère des Affaires étrangères
Mis en ligne le 23 août 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org