mardi 2 décembre 2008 - 18h55, par Randa Al Fayçal - Dubaï

Un nouvel exemple vient confirmer que certains « intellectuels » et « analystes stratégiques » français ont tendance à développer des propos sur mesures, pour plaire à ceux qui les accueillent et qui leur offrent une tribune médiatique aux moindres frais. Antoine Sfeïr marche sur les pas de Pascal Boniface et Alain Gresh, à Alger.
Accueilli au Forum du journal arabophone « Ech-Chorouk », à Alger, l’analyste stratégique français d’origine libanaise, Antoine Sfeïr, ne déroge pas à la règle établie avant lui par d’autres penseurs et chercheurs, qui se rendent en Algérie pour servir une lecture de la situation « à la carte », sans faire de vagues, et sans irriter leurs hôtes. Cet exercice ne se limite pas à l’Algérie, puisque d’autres intellectuels ont fait les frais de leur tentative de séduire des pays étrangers au détriment des intérêts de Paris. Certains ont ainsi été écarté de leurs fonctions, d’autre ont perdu leur crédibilité…
La présence d’Antoine Sfeïr à Alger (vendredi 28 novembre) a coïncidé avec les attentats de Bombay, en Inde, et il était naturel que ses interlocuteurs au Forum du journal « Ech-Chorouk » l’interrogent sur sa lecture des événements, rappelle le quotidien, avant de nous livrer la vision du directeur des « Cahiers d’Orient ». Dans sa réponse (murement réfléchie ?), Sfeïr n’exclut pas un lien entre les attentats de Bombay et la crise financière et économique mondiale. L’auteur de « l’Atlas de l’islamisme » souligne en effet que « le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau. L’Europe l’a connu dans le 19ème et 20ème siècle. Ce fut un terrorisme nationaliste ou idéologique, puis un terrorisme identitaire et culturel. Aujourd’hui, des Puissances occidentales ont inventé ce qu’elles appellent terrorisme islamique, dont les objectifs sont sournois. Car jusque-là, personne ne parlait de terrorisme catholique ou terrorisme religieux. Pourquoi lie-t-on aujourd’hui le terrorisme à l’islam ? Moi je refuse catégoriquement l’utilisation de ce terme, et personne n’a le droit de tuer des innocents au nom de Dieu ou de la religion. A-t-on identifié les terroristes ? Sait-on d’où viennent-ils ? Quelles sont leurs revendications ? L’Inde est devenue un pays puissant, avec une population qui dépasse le milliard d’individus, et a réalisé des bonds économiques importants. Cette puissance peut désormais rivaliser avec les Puissances économiques mondiales », constate Sfeïr. D’où, l’invité lie les événements de Bombay à la crise financière et économique qui secoue actuellement les Etats-Unis et le monde entier.
Pourtant, Sfeïr tombe dans une contradiction de taille. Il affirme en effet que « la crise a débuté dans le secteur bancaire américain en septembre 2007. Pendant un an, les Américains n’ont rien fait pour la résoudre. Courant l’été 2008, la crise a éclaté. Les grandes banques américaines (les banques de premier rang), avaient beaucoup d’intérêts en Inde, en Chine et dans les pays du Golfe depuis 2001. Avec la crise, ces banques risquent l’effondrement, et ont été rachetées par les banques de second rang. Ce qui menace les fonds indiens, chinois et arabes investis ».
Sfeïr ne manque pas de rappeler, aussi, que « l’Inde est sur le point de signer un accord nucléaire avec les Etats-Unis. Ce facteur doit être pris en compte pour comprendre les attentats de Bombay. A ces nombreuses questions, je n’ai pas de réponse », concède-t-il. Mais l’orateur n’écarte pas l’hypothèse selon laquelle « il y aurait une volonté délibérée de déstabiliser l’Inde, pour l’empêcher de devenir une Puissance régionale économique, humaine, et nucléaire, qui menace l’Empire américain, lequel cherche à mettre la main sur l’ensemble du monde, économiquement, stratégiquement et militairement ».
Sfeïr, qui avait toujours défendu l’idée selon laquelle les Etats-Unis ne s’attaqueraient pas à l’Iran, a évoqué le sujet de la République islamique, affirmant que « la première chose que ferait le président américain Barack Obama, après sa prise de fonction en janvier prochain, serait de négocier avec Téhéran. Les deux pays ont des intérêts communs. L’Iran est entouré de pays sunnites et est contraint de trouver une protection contre ce danger grâce à un accord avec Washington ».
N’étant pas à une contradiction près, Sfeïr estime que « l’Iran ne veut pas d’une bombe nucléaire ou des armes de destruction massive. Les Iraniens sont conscients que l’accès à ces armes conduit inévitablement à une course nucléaire avec l’Arabie saoudite et l’Egypte, soutenus par leur allié américain (NDLR : mais Washington aura signé un accord de protection avec Téhéran !!) ». Sfeïr rappelle en outre que « pendant la guerre Iran-Irak, le monde entier a soutenu Saddam Hussein, à l’exception d’Israël ». Et de conclure, sur ce sujet, que « les Arabes étaient victimes, durant les 50 dernières années, d’alliances stratégiques qui se sont nouées dans leur dos ».
Quant au conflit israélo-arabe, il est clos selon Sfeïr. Les Palestiniens ont été forcés d’accepter une solution à minima. Le conférencier est convaincu que « la stratégie des Etats-Unis vise à détourner l’attention vers l’Asie du Sud-est (Inde, Pakistan et Afghanistan). Le conflit israélo-palestinien, malgré son importance, est sur le point d’être fermé. Ce qui explique que les médias occidentaux tendent à minimiser délibérément ce qui se passe dans l’arène palestinienne. Les massacres commis contre les palestiniens sont devenus des faits divers ». Mais Sfeïr s’interroge si « un Etat palestinien peut réellement voir le jour, comme l’a souhaité George Bush, et s’il sera un Etat viable, avec sa propre monnaie et son passeport ? »
Sfeïr alimente aussi l’idée du complot visant à démanteler et à démembrer le monde arabe (à l’instar d’autres intellectuels, politologues et journalistes, comme notamment Charles Saint-Prot et Richard Labévière). Pour Sfeïr, « Barack Obama ne sera pas un allié des Arabes, car il travaillera exclusivement dans l’intérêt des Etats-Unis ». De ce point de vue, l’orateur parle de ce qu’il appelle « le schéma de démantèlement et de la fragmentation de la région arabe », qui commence en Irak occupé et divisé en trois entités Kurde, chiite et sunnite. « Le même scénario menace de se reproduire au Liban », estime-t-il. Là aussi, Sfeïr est victime de ses contradictions. D’un côté, il dénonce le complot visant le Liban, mais en même temps, il dénonce le Hezbollah qui prétend lutter contre ce complot. « Ce qui se passe au Liban fait partie d’un plan de démantèlement et de fragmentation qui sont appliquées dans la région arabe. Le Liban souffre de divergences culturelles et de divisions sectaires entre chiites, druzes, sunnites, maronites… et depuis les années 1970, tout est fait pour alimenter la guerre au Liban, même celle-ci était une guerre des autres. Aujourd’hui, il y a deux visions du Liban : un projet libanais, nationaliste et arabe, un autre pro-iranien mené par le Hezbollah, qui est un mouvement de résistance, mais dont le chef, Hassan Nasrallah, reconnaît être un soldat dans l’armée de Wilayat Al-Faguih (Iran) ». Au sujet du Liban, Sfeïr a également accusé « la Syrie, l’Iran et Israël d’être responsables de l’assassinat de Rafic Hariri. Les trois pays ont des points d’intérêt dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre », estime-t-il.
Notons que Sfeïr, qui avait répertorié les mouvements islamistes et radicaux en Europe, est contraint de changer le fusil d’épaule, à Alger. Il estime en effet que les Etats-Unis se moquent de tout le monde avec son jeu « Al-Qaïda ». Selon cette lecture, « Al-Qaïda sert les intérêts des Américains, qui cherchent à mettre la main sur l’Algérie. Washington joue une partie de poker-menteur avec les Arabes, car Al-Qaïda n’existe qu’imaginaire, destinée à détruire le monde arabe et à l’empêcher de se moderniser. Ainsi, l’émiettement des pays arabes sur la base ethnique et confessionnelle permettra à Israël de progresser et de diriger la région ».
Pour mieux séduire ses hôtes, l’orateur souligne que « Washington s’efforce de faire de l’Algérie son point d’appui dans le Maghreb, en dépit des importantes concessions faites par le Maroc pour devenir un allié stratégique des Etats-Unis, en vain. Les Américains cherchent le pétrole et la puissance militaire, qui se trouvent aujourd’hui en Algérie ».
Aussi, Sfeïr critique l’Union Pour la Méditerranée telle qu’elle est proposée par le président français, Nicolas Sarkozy. Il déplore l’empressement et la précipitation dans le lancement de l’UPM. Enfin, Sfeïr déplore la passion qui marque les relations franco-algériennes, et la personnalisation des rapports entre les deux présidents. Il ne manque pas de critiquer la loi du 23 février favorable à la colonisation, proposée par des députés français qualifiés « d’adolescents » qui cherchaient le sensationnel…
Voilà une nouvelle démonstration d’un discours servi « à la carte » et « taillé sur mesure », pour satisfaire l’égo des Algériens. La lecture de la trentaine de commentaires des lecteurs du journal « Ech-Chorouk » permet de mesurer l’impact que ces propos auront sur l’objectivité, la notoriété et la crédibilité d’Antoine Sfeïr. De nombreux lecteurs ont en effet relevé les contradictions entre ce qu’il dit sur les plateaux de la télévision française (la 5 dans « C dans l’air »), et ce qu’il prononce en Algérie. Certains l’ont qualifié d’hypocrite.
Traduction et commentaire de Randa Al Fayçal
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