L'Iran renforce sa collaboration sécuritaire avec des pays du Golfe Persique
pour tenter d'affirmer son hégémonie régionale.
Il s'efforce aussi de modérer les tensions avec ses voisins et d’empêcher qu’elles puissent servir de base pour des attaques contre son territoire.
Centre d'Information sur les Renseignements et le Terrorisme
19 juillet 2009
Aperçu général
- Tout en s'efforçant de contenir les protestations internes, le régime iranien continue d'adopter une politique étrangère provocatrice envers l'Occident en général et les Etats-Unis en particulier.
Cette attitude s'est récemment manifestée par les activités iraniennes de promotion de la collaboration sécuritaire avec trois pays-clefs du Golfe Persique : le Qatar, Bahreïn et Oman. Ces mesures s'inscrivent dans le cadre des efforts de l'Iran pour affirmer son hégémonie et acquérir le statut de puissance régionale, tout en modérant les tensions existantes avec ses voisins. De plus, selon nous, les tentatives de Téhéran afin de renforcer la collaboration sécuritaire avec le Qatar et Bahreïn, qui hébergent d'importantes bases américaines, sont aussi destinées à empêcher que leur territoire ne soit utilisé comme rampe de lancement pour une attaque possible contre les installations nucléaires iraniennes.
- Dans ce cadre, début Juillet, le chef d'état-major de l'armée du Qatar s'est rendu à Téhéran et a discuté de "la collaboration collective" consistant à assurer la sécurité du Golfe Persique, avec les chefs de l'establishment militaire et sécuritaire iranien. Il a également abordé des questions pratiques, y compris le projet d'exercice conjoint des polices des frontières des deux pays, l'échange d'informations et un entraînement militaire commun. Le sultan d'Oman, Qaboos bin Said, devrait prochainement se rendre en Iran afin de signer un accord de sécurité mutuel. De plus, le 10 juillet, un projet de loi portant sur la collaboration sécuritaire avec Bahreïn a été soumis au Majlis (le Parlement iranien), malgré les relations tendues entre les deux pays.(1)
- Les efforts de l'Iran pour promouvoir la collaboration sécuritaire avec les pays du Golfe Persique sont aussi destinés à accroître son influence politique dans la région, en parallèle à ses propres activités militaires dans les eaux du Golfe (en Juin 2009, l'Iran a organisé un exercice de l'armée de l'air dans le Golfe). L'Iran s'efforce de convaincre les Etats du Golfe pro-arabes, qui considèrent l'Occident, et particulièrement les Etats-Unis, comme une puissance de soutien majeur, que leur sécurité sera mieux garantie par des traités régionaux avec l'Iran que par l'Occident, motivé par ses intérêts propres. L'Iran a également sévèrement critiqué les Emirats Arabes Unis (EAU) pour avoir permis aux Français d'installer une base navale.
Activités iraniennes de renforcement de la coopération sécuritaire avec les pays du Golfe
Depuis peu de temps, l'Iran s'efforce de convaincre un certain nombre de pays du Golfe Persique de signer des accords de sécurité mutuels. Selon Téhéran, la sécurité du Golfe devrait être dans les mains des Etats du Golfe et non des puissances étrangères, et le régime iranien leur propose de remplacer leur dépendance à l'Occident par une dépendance à l'Iran pour assurer la sécurité et la stabilité régionale à long terme.
Le Golfe Persique (http://aljozor.blogspot.com).
Dans le cadre de leurs efforts, les Iraniens ont prévu ce qui suit :
- Une collaboration sécuritaire avec le Qatar : Le chef d'état-major de l'armée
qatarie Hamid Ali Atiya s'est rendu à Téhéran le 7 juillet et a rencontré Muhammad Mustafa Nizar, le ministre iranien de la Défense, ainsi que Muhammad Ali Ja'afari, le commandant des Gardes de la Révolution. Atiya et les chefs de l'establishment militaire et sécuritaire iranien ont discuté d'une "collaboration collective" portant sur la défense du Golfe Persique. Ja'afari a déclaré que l'Iran était enclin à collaborer avec l'armée du Qatar pour garantir la sécurité du Golfe. Le général Qassem Rezai, responsable de la police des frontières iranienne, a déclaré que son corps et les gardes-côtes du Qatar participeraient à un exercice commun dans les eaux du Golfe Persique. Les deux pays ont également consenti à accroître la collaboration sécuritaire, à échanger des informations sur la contrebande à la frontière et à organiser des entraînements conjoints (2)
- Un accord sécuritaire avec Oman : Le ministre iranien des Affaires étrangères Manuchehr Mottaki a rencontré à Téhéran son homologue omanais Yussuf bin Alawi bin Abdallah le 11 juillet. Après la rencontre, il a déclaré que dans un proche avenir, les deux pays signeraient un accord de sécurité qui symboliserait la collaboration stratégique visant à préserver la stabilité et la sécurité régionale. Le ministre des Affaires étrangères omanais a également rencontré le Président iranien Ahmadinejad. Le dirigeant omanais, le Sultan Qaboos bin Said, devrait prochainement se rendre à Téhéran. L'agence de presse iranienne ISNA a annoncé que le Président du Majlis Ali Larijani avait rencontré le ministre des Affaires étrangères omanais. Après la rencontre, Larijani a déclaré que la seule façon possible de garantir les droits des Palestiniens était "la résistance" (ie. la poursuite des attaques terroristes). Toujours selon l'agence de presse, le ministre des Affaires étrangères omanais a déclaré que son pays était décidé à développer ses liens économiques et politiques avec l'Iran, et a critiqué "la politique hostile" des Etats-Unis envers l'Iran. Il a également exprimé l'espoir que l'administration Obama respectera ses promesses d'initier un dialogue avec l'Iran (3)
- Un accord sur une collaboration sécuritaire avec Bahreïn : Le 10 juillet, le gouvernement iranien a présenté au Majlis un projet de loi portant sur la collaboration sécuritaire avec Bahreïn. Selon l'agence de presse Fars, le projet de loi est une initiative du Président iranien Ahmadinejad et de son ministre des Affaires étrangères. Selon le préambule du projet de loi, ce dernier a été proposé en vue d’obtenir "des relations amicales entre l'Iran et Bahreïn, leur influence sur le renforcement de la sécurité dans le Golfe Persique et leur vulnérabilité face au crime organisé," tandis que dans les faits, une hostilité continue oppose les deux pays. Le projet de loi contient un certain nombre d'articles traitant de la guerre contre la contrebande de drogues et la prévention de la toxicomanie, la contrebande de marchandises commerciales et d'individus, ainsi que l'activité économique illégale. La mise en oeuvre de l'accord exigera la formation d'une commission mixte.
La sensibilité iranienne face à la présence occidentale dans la région du Golfe
L'Iran fait preuve depuis longtemps de susceptibilité face à la présence occidentale dans la région du Golfe Persique, notamment en raison des bases militaires américaines établies dans le secteur. Deux des pays avec lesquels Téhéran tente de promouvoir des accords de sécurité, le Qatar et Bahreïn, abritent des bases américaines importantes, et tous deux entretiennent une collaboration militaire avec l'Occident :
- Le Qatar héberge le plus grand terrain d'aviation américain du Moyen-Orient à Al-Udeid (construit en 1996) et des entrepôts géants, considérés comme les plus grands à l'extérieur des Etats-Unis (contenant suffisamment d'équipement pour une brigade blindée). La base a servi de siège au Commandement américain interarmes(CENTCOM) pendant l'Opération de libération de l'Irak (Operation Iraki Freedom – OIF) en 2003. En Février 2008, le Qatar a organisé une simulation de guerre à grande échelle "Bouclier duGolfe 1" avec la France et les EAU.
- Bahreïn héberge le siège de la 5ème Flotte américaine qui sert aussi de base de lancement de la mission CTF (force opérationnelle navale combinée) dans la région du Golfe Persique, la Mer Rouge, la mer d'Arabie (la partie nord-ouest de l'océan Indien) et la côte d'Afrique orientale. En Mai dernier, une conférence de personnel sécuritaire de haut niveau a été organisée à Bahreïn pour discuter de la défense du Golfe Persique, en présence du chef de l'état-major interarmes David Petraeus, du commandant des troupes américaines en Irak Ray Odierno et du commandant de la 5ème Flotte le Vice-amiral William Gortney.
La sensibilité iranienne a notamment été exprimée par la réaction de Téhéran à la décision des EAU de permettre à la France d'ériger une base navale sur leur territoire (le Camp de la Paix). Les médias iraniens ont accusé la France et son Président "d'aventurisme" visant à déstabiliser le Golfe Persique. Les réactions déchaînées des médias iraniens témoignent d'un haut niveau de sensibilité face à ce que l'Iran considère comme une présence occidentale accrue dans le Golfe Persique, qu'il voit comme sa propre sphère d'influence. Pour renforcer sa position sur le terrain, l'Iran a récemment augmenté sa présence maritime et ses patrouilles navales, et a même envoyé des bateaux dans le Golfe d'Aden afin de tenter d'empêcher les pirates de prendre le contrôle de ses cargos.
Ci-dessous deux exemples des critiques iraniennes sur la construction d'une base navale française aux EAU :
- Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères Qashqavi a déclaré que la décision française ne contribuait pas à la sécurité régionale et que les EAU devaient empêcher les puissances étrangères "intéressées par la déstabilisation régionale" qui pourrait mener à une course aux armements, à jouer un rôle dans la politique régionale. Il a ajouté que pour vendre des armes et dans le cadre de la crise économique mondiale, certains pays pourraient tenter de donner l'impression que la sécurité régionale du Golfe est érodée. Il a averti les Etats du Golfe contre l'achat d'armes de sociétés occidentales "en faillite" (5)
- Le journal conservateur Jumhuri Islami a été plus virulent. Il a prétendu que la France, comme les Etats-Unis, s'immisçait dans les questions régionales et cherchait des marchés pour vendre son équipement militaire, particulièrement son avion de combat Rafale, supposé remplacer le Mirage. "La vérité est qu'un certain nombre de pays coloniaux comme la France, l'Angleterre et l'Amérique lorgnent sur les économies arabes et tentent d'y établir la crainte, tout en prétendant les aider à préserver la sécurité et la stabilité." Jumhuri Islami s'est moqué des capacités militaires de la France, prétendant que "ses soldats ne sont pas faits pour les batailles et les guerres, parce que s'ils l'étaient, ils auraient sauvé la France d'Hitler et auraient défendu leur pays." Le journal a averti contre la "politique imprudente" de Sarkozy et sa tentative d'acquérir le prestige en érigeant des bases militaires dans les EAU, qualifiant le Président français de "mégalomane arrogant."(6)
Notes
(1) A ce sujet, voir notre article (en anglais) du 2 mars 2009 intitulé “Iran and the Persian Gulf: The claim by Iranian advisor Nateq Nouri that Bahrain was formerly a province of Iran incensed Bahrain and led to shows of solidarity with Bahrainthroughout the Arab world. Bahrain, with its Shi’ite majority, is a traditional target for subversion by Iran, which seekshegemony in the Persian Gulf,” à l'adresse
http://www.terrorisminfo.org.il/malam_multimedia/English/eng_n/pdf/iran_e005.pdf.
en Mai 2009, prétendant que la France a pour intention de déstabiliser la région et de mener lacourse aux armements locale.
(2) Agences de presse Alef News et Fars, Iran, 10 juillet 2009
(3) Agence de presse ISNA, Iran, 12 juillet 2009
(4) Agence de presse Fars, Iran, 11 juillet 2009. Les relations entre l'Iran et Bahreïn sont tendues à cause des déclarations récurrentes de l'Iran sur le fait que Bahreïn est une province iranienne et en raison des tentatives iraniennes de s'attirer la sympathie de la majorité chi'ite bahreïnie dirigée par une famille royale et une direction sunnites
(5) Agence de presse Mehr, Iran, 26 mai 2009.
(6) Jumhuri Islami, 2 juillet 2009.