Les origines de l’élite réformatrice en Iran
par Mahan Abedin
Mahan Abedin is an analyst of Iranian politics, educated at the London School of Economics and Political Science.
La confrontation entre le mouvement de la Réforme et le Régime conservateur qui a dominé la politique iranienne durant les six dernières années est perçu par nombre d’observateurs comme ayant atteint le Rubicon (une ligne de partage des eaux). Le refus des mollahs de la ligne dure qui contrôle les hautes sphères dirigeantes du gouvernement de permettre de nouvelles réformes, conjugué à la réticence du Président Mohammed Khatami d’affronter en face le système mollachique, a conduit certains à prédire l’avènement d’une « troisième voie » en politique iranienne – le public laissé pour compte, notamment la jeunesse – et le possible effondrement du Régime[1].
L’un des principaux écueils de ce type d’analyse, c’est qu’il ignore la nature essentiellement élitiste du mouvement de la réforme et qu’il surestime les racines (forces intrinsèques) des pressions favorables aux réformes. Cette soi-disant « troisième voie » reste trop amorphe et divisée pour servir même de force d’appoint à la coalition réformiste la plus large.
Le Mouvement de la Réforme en Iran correspond moins à la montée en puissance du désenchantement populaire qu’une reconfiguration de factions politiques au sein de la République islamique. Alors que les observateurs les mieux informés sont bien avertis du fait que les dirigeants réformistes les plus importants en Iran sont de purs produits du système islamique, on omet généralement que la plupart émarge de ses branches les plus sensibles et secrètes – la communauté de la sécurité et du renseignement. Cette élite réformiste a forgé sa stratégie globale à l’écart du royaume de la perspicacité du public et n’est pas directement influencé par le désenchantement des masses.
Les Origines du Mouvement de la Réforme
L’émergence du mouvement de la Réforme en Iran trouve son origine dans la gestion calamiteuse de la République islamique à l’époque de la guerre avec l’Irak et la destitution de son fondateur, l’Ayattolah Ruhollah Khomeini, en 1989. L’ascension d’Hashemi Rasfandjani à la Présidence et les efforts subséquents de sa faction et de l’islamisme radical, conduite par le Guide Suprême nouvellement nommé, l’Ayattollah Ali Khamenei, pour marginaliser la gauche islamique provoquèrent des remous et des dissensions au sein même des sanctuaires (dans le Saint des Saints) de la République islamique. Ces schismes atteignirent un pic lors des élections pour la 4è Assemblée (Majliss) d’avril 1992, lorsque le Conseil des Gardiens –de la Révolution- (qui examinent à la loupe chaque candidat à n’importe quel poste et peuvent invalider le scrutin) empêchèrent la majoité des candidats de la gauche islamique – incluant des personnages aussi importants que Behzad Nabavi et Ali Akbar Mohtashami-Pour – de participer au nom du prétexte oiseux qu’ils manquaient de légitimité « révolutionnaire ». [2]
On peut situer la genèse de l’élite réformiste dans les efforts fournis par un ancien officier de haut-rang appartenant au contre-espionnage, Said Hajjarian, afin d’instituer un discours politique et intellectuel distinct du courant culturel dominant au sein de la République islamique. A première vue, Hajjarian apparaît comme un réformateur tout-à-fait improbable. Né dans une famille pauvre et élevé dans les bidonvilles désolés du Sud de Téhéran, Hajjarian fut recruté très tôt, au cours de sa vie de militant de la cause islamique et il participa à la Révolution islamique de 1979. Il fut rapidement coopté au sein des inflexibles services de renseignement post- révolutionnaires naissants. A l’époque de la fondation du Ministère des renseignements et de la sécurité nationale (VEVAK), au début de 1984, Hajjarian avait déjà fait preuve qu’il était bien un officier du contre-espionnage particulièrement efficace.
Hajjarian quitte la VEVAK en 1989 et rapidement devint omniprésent au sein d’un Club de réflexion réputé. Le Centre pour les Etudes Stratégiques (CSS), très officiellement lié à la fois au départemnt de la recherche du Ministère des Affaires étrangères et à un sous-comité du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, servit d’incubateur à la stratégie réformiste d’Hajjarian et attira d’autres anciens officiers de l’appareil sécuritaire et du renseignement qui souhaitaient jouer un rôle prédominant dans le mouvement de la Réforme, qui comprenait Akbar Ganji, un ancien officier du renseignement du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC)[3]. Hamid-Reza Jalaipour, un ancient officier IRGC de haut-rang[4] ; Mohsen Armin, un ancien commandant des IRGC basé au Liban[5] ; Mohsen Sazegaran, ancien supérieur du commandement des forces terrestres IRGC ; et Ali Mohammed Mahdavi, un ex-officier des renseignements du IRGC[6]
Le CSS comprenait également des personnages issus de la Révolution ayant des relations indirectes avec l’élite de la Sécurité et du Renseignement. Abbas Abdi était l’un des leaders de la prise de l’Ambassade américaine à Téhéran en 1979. Au milieu des années 1980, il servit en tant que délégué auprès du procureur révolutionnaire de Téhéran, Mohammed Moussavi-Khoeiniha (qui souhaitait aussi être perçu comme un « réformateur »). Un autre membre de tout premier plan du groupe d’étude qui participa à la prise de l’Ambassade américaine, Ibrahim Asghar-Zadeh tint un bon nombre de positions sensibles durant les années 80, parmi elles une place de choix au département politique et idéologique des IRGC, et fut également élu au Parlement.
Le mouvement de la Réforme embryonnaire au CSS était dominé par plusieurs institutions-clés fermement enracinées dans les traditions de la gauche islamique, comprenant le Majma'e Rohaneeyoone Mobarez (le Forum du Clergé militant) [7] Sazemane Mojahedine Enghelabe Eslami (l’Organisation des Moudjahideen de la Révolution islamique-OMIR),[8] et le Daftare Tahkeeme Vahdat (Bureau pour la Promotion de l’Unité--BPU), un corps représentatif du monde étudiant).
La stratégie formée par l’élite réformiste émergeante était à la fois à plusieurs facettes et progressive (allant crescendo). A son niveau le plus élémentaire, on fit une distinction entre l’engagement dans le débat intellectuel et l’élaboration d’une stratégie dans l’arène politique. L’élite réformiste embryonnaire envisageait de peser sur le cours de la réforme de la culture politique et religieuse de la République islamique au travers d’une réévaluation du corpus de valeurs révolutionnaires et religieuses, qu’ils avaient eux-mêmes contribué à consolider durant la première décennie de la Révolution islamique. Ceci devait se voir renforcer par une offensive politique concertée et simultanée sur les Institutions de la République islamique.
La gauche islamique croyait que la Révolution de 1979 avait échoué à révéler l’essentiel de ses promesses. Au lieu de générer un futur plus prospère et plus égalitaire, elle n’avait produit que le déclin économique et l’iniquité. Comme un courageux parlementaire l’affirma lors d’un débat particulièrement houleux (sulfureux) en 1990, la Révolution a plutôt consisté à remplacer un système monarchique féodal par un système clérical tout aussi féodal. De façon ironique, elle n’a pas conduit à une société plus pieuse, mais au contraire, à une sécularisation de masse. C’est surtout ce dernier échec, frappant comme il se devait en plein cœur de la Révolution, qui devait devenir un des thèmes essentiels des réformistes.
Le climat de censure intellectuelle et culturelle régnant durant la première moitié des années 90 n’était pas particulièrement propice pour permettre aux réformateurs d’affirmer publiquement leur présence. Malgré cela, ils continuèrent à travailler en coulisse, et le CSS demeura le centre de coordination principal pour les stratèges de la Réforme et le seul Cercle de réflexion majeur encore aux mains de la gauche islamique de plus en plus isolée. Un autre moyen de communication important pour le discours réformiste fut une publication réalisée en 1989, appelée Kian. Bien que farouchement fidèle au cœur de doctrine de la Révolution islamique, il constituait la première tentative de sortie d’un journal réformiste en République islamique.
Tout comme le CSS, Kian devint un centre de coordination intellectuelle pour d’ex-radicaux, d’ex- supérieurs des Gardiens de la Révolution et du personnel issu de la VEVAK. Son porte-parole le plus influent était Mashallah Shamsolvaezin, un idéologue radical qui avait passé les années 1980 à alimenter les comités éditoriaux des publications révolutionnaires. Mohammed Soltanifar (le future manager de l’édition de Iran News Daily), qui fut le cerveau de la force paramilitaire Basij émanant du Coprs des GR pour la province du Grand Téhéran, faisait égalment partie des contributeurs majeurs de Kian. Un membre de son équipe éditoriale, Ali Rabi’i, fut l’un des tous premiers fondateurs du Corps des GR, ensuite promu à la VEVAK, avant de servir en tant qu’officier supérieur au sein de son département du renseignement extérieur jusqu’en 1994[9]. Les connexions éditoriales et journalistiques qui furent forgées par le biais du Kian s’avérèrent cruciales pour la prolifération de la presse réformiste après les élections de 1997.
Bien que le Centre constituait un instrument puissant d’influence sur les politiques sociales et culturelles de la République islamique, ce n’était pas un moyen suffisant à travers lequel former de larges coalitions. Au milieu des années 90, beaucoup de members de l’élite de l’appareil sécuritaire et du renseignement quittèrent le Centre et s’auto- proclamèrent éditeurs et journalistes dans l’équipe des principaux quotidiens de Téhéran.
Au moment même où la Présidence d’Hashemi Rasfanjani n’avait jamais paru aussi proche, en 1997, l’élite sécuritaire et du renseignement avait établi les fondations essentielles nécessaires à son mouvement politique. Hajjarian et ses associés les plus proches au sein du CSS disposaient d’une stratégie politique pour miner l’ascension du camp radical et conservateur islamique. De fait, les radicaux islamiques et l’ancien personnel du Corps des GR avaient acquis les compétences et le carnet d’adresse nécessaires pour faire la démonstration d’un impact massif sur la scène médiatique de la République islamique.
L’offensive Réformiste
L’élection-surprise de Mohammed Khatami à la Présidence en Mai 1997 fut le tournant de l’histoire de la République islamique, et ouvrit la porte à un contexte et un climat le plus propice à l’éclosion du discours réformiste. Après avoir été forcé man-militari à quitter le Ministère de la Culture et de la Guidance islamique en 1992, Khatami avait dû se retirer derrière l’obscurité de la Bibliothèque Nationale. On ne dispose pas de preuves selon lesquelles il collabora avec le CSS durant cette période. Cependant, ajoutons au fait qu’il est fermement enraciné dans le camp de la gauche islamique, que Khatami est connu pour avoir entretenu d’étroites relations sur le long terme avec bon nombre de personnalités qui surplombaient le CSS à cette époque. Et cela inclut Hajjarian. D’ailleurs, les rumeurs ont persisté aux marges du Mouvement de la Réforme que ce serait en fait Hajjarian qui avait « recruté » Khatami pour présider aux destinées du Mouvement de la Réforme. On n’a aucune preuve tangible qui vienne en renfort de cette allégation. Cependant, il demeure evident que Khatami possédait le profil et les prédispositions qui le rattachaient directement à l’élite de la sécurité et du renseignement. Le nouveau Président partageait le même bagage politique et la fidélité idéologique que les anciens dirigeants de la Sécurité, et sa légitimité religieuse et révolutionnaire le rendait acceptable au système clérical. Ses prédispositions à la discrétion et à la patience était idéales pour ce qui serait certainement un long combat.
Après l’élection de Khatami, l’élite sécuritaire et du renseignement entama une campagne médiatique implacable pour saper l’assise de l’idéologie de la ligne dure et redoubla d’efforts pour réformer les institutions du Régime. L’apparition du quotidien Jame'e en février 1998, édité par Shamsolvaezin, sonna le commencement de la charge de la presse réformiste. Durant les trois années suivantes, des dizaines de quotidiens, hebdomadaires et mensuels réformistes poussèrent comme des champignons en Iran. Cette période fut marquée par les tentatives répétées de l’appareil judiciaire radical de supprimer ces sources de réforme. D’ailleurs un modèle apparut par lequel le cartel des principaux journaux réformistes interdits par le Régime pourrait rouvrir rapidement ces parutions sous de nouveaux titres, provoquant aussitôt les gémissements des commentateurs favorables à la ligne dure qui les appelèrent les « journaux en série » -NDT : par analogie aux « tueurs en série » [10]
Excepté les centaines de journalistes et de commentateurs politiques qui sont apparus dans les toutes premières années de la Présidence de Khatami, pas plus d’une poignée d’entre eux ont réellement eu un impact important. La plupart appartenait à l’élite de la communauté de la sécurité et du renseignement. La société prolifique de production littéraire et journalistique d’Akbar Ganji construisit une nouvelle forme de langage politique et de discours en République islamique. Il inventa le terme "degar-baash" (les “abonnés à des styles de vie différents ») pour signifier l’émancipation et la légitimité de la diversité culturelle, alors que son néologisme "tavaab-saazi" (les fabricants de repentance) servait à discréditer les pratiques illégales de l’appareil judiciaire et sécuritaire.
Ganji sut aussi se prouver à lui-même qu’il était un brillant journaliste d’investigation. Il couvrit sans répit l’affaire des « tueurs en série” à la fin de 1998. Ses conclusions furent condamnées. Alors qu’il pressait la VEVAK d’endosser la responsabilité des meurtres, qu’on disait avoir été perpétrés par des éléments « ripoux » (« incontrôlés »), Ganji entreprit d’identifier et inévitablement, de diffuser qui étaient ces cercles corrompus (« incontrôlés »). En particulier, il identifia un certain nombre de mollahs de première main qui avaient agi en tant qu’incitateurs spirituels de ces membres du personnel de la VEVAK et avaient prononcé des fatwas contre les militants dissidents et des écrivains.[11].
Pour couronner le tout, Ganji se permit d’exposer la personne de Rafsanjani dans une bordée d’articles avant les élections parlementaires de février 2000, auxquelles l’ex-président participait avec l’objectif inavoué de renforcer son emprise sur les prises de parole (dans cette instance). Les exposés portant sur la corruption financière de la famille Rafsandjani et son rôle dans la prolongation de la guerre qui dura huit ans, autant que son rôle indirect dans l’affaire des meurtres en série, sabotèrent ses projets électoraux et contribua directement à sa défaite humiliante. [12] En outre, il était devenu de plus en plus évident pour les bastions du conservatisme du régime que les révélations de Ganji concernant l’affaire des meurtres en série et d’autres sujets sensibles n’auraient pu avoir lieu sans la complicité (l’aide) de ses anciens amis au sein du renseignement de GR. Pour certains, dans les services judiciaires et sécuritaires controlés par les Conservateurs, Ganji incarnait les dangers représentés par les élites réformistes bien infiltrées, subvertissant la République islamique de l’intérieur. On tenta de l’emprisonner pour interrompre le flux tendu d’informations sensibles émanant d’éléments sympathisants au sein de la communauté du renseignement à l’intention de leurs anciens compagnons de route. [13]
Hajjarian passa les premières années de la Présidence Khatami à faire la promotion de sujets politiques et journalistiques préoccupants. Aux côtés de Abbas Abdi, Mohsen Mir-Damadi et Mohammed Reza Khatami (le frère du Président Khatami) Hajjarian créa le Front de participation à un Iran islamique (FPII), qui, par conséquent, devit le principal bastion des militants pro-réforme. Hajjarian assigna au FPII d’opérer sa mutation en parti politique conventionnel. D’autres réformistes prééminents partageaient cet espoir. Les activités journalistiques de l’ancien maître-espion s’illustrant par ses éditoriaux parus dans le quotidien Asr-e-Ma, furent désignés pour mettre en œuvre le contexte et le climat favorable aux opportunités politiques du FPII et du plus large mouvement de la Réforme.
Hajjarian se dévoua corps et âme à l’attaque de quelques-uns des problèmes politiques et philosophiques les plus importants et les plus insolubles de la révolution. Ses tentatives visant à diminuer les pouvoirs de l’institution du Velayat-e-Faghih, le symbole suprême de l’hégémonie cléricale au sein de la République islamique, furent retenus pour instaurer les bases « démocratiques » de la Révolution, au détriment de ses composantes métaphysiques.
La réticence d’Hajjarian à tirer les conclusions qui s’imposaient de son approche innovante dans l’analyse des inepties théoriques du régime islamique étaient symptomatiques de l’incapacité de l’élite de la sécurité et du renseignement à rompre irrémédiablement avec les prémisses du corpus idéologique de la Révolution islamique. D’ailleurs, pendant que les forces conservatrices du régime redoublaient leurs attaques contre les vestiges du mouvement de la Réforme, l’élite fit preuve d’une tolérance surprenante et peu commune aux injustices qui leur étaient infligées. Alors qu’on attaquait les personnalités les plus importantes de la Réforme les unes après les autres, l’élite exerça une remarquable retenue pour mieux « déstabiliser » la République islamique. La propre réaction d’Hajjarian à l’attentat contre sa vie qui l’a laissé partiellement paralysé est particulièrement instructif. Il se garda bien d’exprimer publiquement son amertume et déclara qu’il avait « pardonné » à ses asassins présumés[14]. D’autres personages centraux de la Réforme, tells que le Ministre de l’Intérieur Abdollah Nouri et l’ex- procureur général Moussavi Khoiniha, firent étalage d’attitudes semblables alors qu’ils tombaient sous le coup de sentences sévères. Ils mirent tous en avant la défense spirituelle de leurs idées et tous firent montre d’une fidélité indéfectible aux principes de la Révolution islamique.
Le musèlement du Mouvement de la Réforme, qui entra dans une nouvelle phase intensive en Août 2000, avec l’intervention de l’Ayatollah Khamenei pour mettre un terme à un débat parlementaire sur la liberté de la presse, a, semble t-il, déjoué les perspectives de changements fondamentaux au sein de la République islamique. Quoique ce serait une erreur de sous- estimer les réalisations durant les six années précédentes. A travers ses attaques dans la nouvelle presse et ses tentatives incessantes de miner les institutions qui ne passent pas par les urnes et les composantes métaphysiques du Régime, l’élite soutint la Présidence Khatami. Ce fut d’ailleurs l’incapacité même du Président Khatami à saisir les opportunités fournies par l’élite qui ont le plus contribué à l’état actuel déplorable du mouvement de la Réforme. Khatami fit preuve de patience illimitée et afficha sa propension à l’excès de compromission. Malgré tout, l’élite a montré qu’il existe au sein de la République islamique, un large spectre de dissension et elle a fourni aux franges les plus radicales et cultivées de la population, les outils théoriques et pratiques pour contester le régime de la manière la plus rationnelle qui soit. Dans un pays qui a hérité d’un lourd passé d’autocratie, marqué par un gouffre apparemment infranchissable entre le peuple et ses élites politiques et qui a connu un développement difforme des institutions civiques, ceci peut constituer une forme d’accomplissement de la plus haute importance.
Cependant, l’élite réformiste a aussi renforcé la République islamique en sabordant l’opposition « déloyale » et plus particulièrement, armée [15]. C’est Hajjarian qui a inventé le fameux slogan khatamiste : “notre objectif est de n’épargner aucune critique aux ennemis du système et de faire traduire ces critiques par ceux qui le soutiennent ». Ce serait une erreur de considérer les manifestations de faible intensité, revendiquant plus de réformes radicales comme des signes d’opposition « déloyale » ou de « troisième voie ». La plupart des manifestations radicales sont organisées par les groupes étudiants affiliés à deux organisations principales, l’OFU et la Société Islamique des Etudiants et Diplômés (SIED). , les deux étant liées à l’élite de la sécurité et du renseignement.
En l’absence de plateformes de réformes alternatives, il est peu vraisemblable que le public iranien coupe irrémédiablement les ponts avec cette élite. Ceci ne signifie sûrement pas que la perspective d’un changement rapide et brutal en Iran s’est à jamais évanouie, mais la probabilité de son occurrence dans l’avenir est faible.
Un certain nombre de stratèges du camp conservateur reconnaissent le service rendu à la République Islamique par l’élite réformiste en approfondissant le désenchantement du public à l’écart des solutions radicales et vers un militantisme réformateur qui opère dans les cadres admis par la Constitution de la République islamique. En conséquence, les craintes quant aux éventuelles répercussions de la part de l’aile radicale souvent imprévisible se transforment en une attaque délibérée contre le mouvement réformiste dans son ensemble sont très exagérées.
Le Mouvement de la Réforme connaît aujourd’hui une passe difficile. Il doit opérer dans un environnement marqué par des attaques toujours plus acides de la part des conservateurs et une désaffection croissante du jeu politique de la part du public. D’ailleurs, l’offensive conservatrice est en partie encouragée par la désillusion croissante de la population à l’égard des réformistes et leur échec à réaliser ne serait-ce que quelques-unes de leurs promesses essentielles. Les récentes élections municipales, durant lesquelles les réformateurs ont essuyé une défaite cuisante, est un bon indicateur de l’aliénation ressentie par l’électorat pro-réformateur (la large majorité de ceux qui n’ont pas voté durant ces élections). Des actions innovantes sont nécessaires pour réconcilier le public avec le système politique. Le FPII, par exemple, se prépare à nommer un candidat non-clérical pour les élections présidentielles de 2005. Plutôt que de chercher à satisfaire à tout prix le Conseil des Gardiens (de la révolution), on espère ainsi promouvoir un candidat qui détonnerait avec l’apathie et l’inertie du Mouvement réformateur.
Notes
[1] Voir Jahangir Amouzegar, “L’écroulement de la Révolution iranienne,” Foreign Affairs Vol. 82, No. 1, Janvier/février 2003.
[2] Behzad Nabavi, qui a débuté sa carrière politique au Parti Communiste Tudeh et s’est plus tard converti à l’Islam, s’est trouvé être un des idéologues en chef et un semeur de troubles de la République islamique depuis le commencement. Il a aussi joué un rôle crucial dans les négociations pour la libération des otages de l’Ambassade américaine en 1980-81. Mohtashami-Pour a été Ministre de l’Intérieur Durant 4 ans et a été largement perçu comme ayant joué un rôle crucial dans la formation du mouvement libanais Hezbollah en qualité d’Ambassadeur d’Iran en Syrie, au début des années 80.
[3] Ganji a constamment nié toute affiliation aux organismes du renseignement du Corps des Gardiens de la Révolution. Dans un article publié dans le quotidien réformiste Aftab-e-Emrooz, le 16 février 2000, Ganji déclarait qu’il travaillait au Bureau dirigeant idéologique et politique du CGRI, mais on sait que ce département est intimement lié avec le Renseignement du CGRI. Les mêmes affirmations de Ganji apparurent également dans les quotidiens réformistes Fath et Sobhe Emrooz dans les jours qui suivirent (cet article).
[4] Hamid-Reza Jalaipour rejoignit le CGRI immédiatement après sa formation officielle en mai 1979. Plus tard dans la même année, il fut envoyé (infiltré, parachuté) au Kurdistan pour assister la répression d’une insurrection séparatiste kurde. Il a ensuite été nommé gouverneur de Naqadeh, durant 18 mois. Après quoi, il fut nommé gouverneur de Mahabad durant 4 ans, puis ensuite servit comme représentant politique du gouverneur provincial durant 4 autres années. Tout au long de cette période, il était bel et bien organiquement affilié au CGRI. Le Kurdistan iranien, du fait de son atmosphère politique et sécuritaire exceptionnelle, était l’unique province du pays où le personnel du CGRI était engagé à la fois dans des affaires administratives et politiques.
[5] Mohsen Armin était attaché au Commandement Général (Etat-major) du CGRI au Liban de 1983 à 1989. Après l’élection de Mohammed Khatami en 1997, il devint le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Asr-e-Ma.
[6] Mahdavi continua à former le quotidien réformateur Gozaresh-e-Ruz après les elections de 1997. Ce journal fut fermé en avril 2000 comme faisant partie d’un plus vaste coup d’arrêt à la presse réformatrice de l’époque.
[7] Le Forum du Clergé militant représente les mollahs affiliés aux factions formant l’aile gauche de la République islamique. Ali Akbar Mohtashami-Pour (un ancien Ministre de l’Intérieur largement reconnu comme l’un des fondateurs du Hezbollah libanais) est un membre dirigeant de l’organisation. Le FCM comprend une aile droite qui lui fait contrepoids sous la forme de la Jame'eye Rohaneeyate Mobarez (Société du Clergé –de la mollachie- militant). La SCM est l’organisme clérical le plus traditionnellement orienté du Bazar. Beaucoup de mollahs importants de la République islamique sont soit membres de la SCM soit lui sont affiliés.
[8] Le OMIR a été formé en mars 1979 par un rassemblement de petit groupes islamiques. Les pères fondateurs du OMIR continuèrent à forger le CGRI en mai 1979 et de nombreux membres du OMIR rejoignirent par conséquent (naturellement) le CGRI. Il a, depuis toujours, maintenu des liens étroits avec les Gardiens de la Révolution. Ces liens sont essentiellement personnels plutôt qu’organisationnels. Bezhad Nabavi assura la direction de l’OMIR en 1980. Parmi les troupes de l’aile gauche de la République islamique, l’OMIR s’est trouvé être le tenant le plus virulent de la promotion de l’aspect « Républicain » du Régime au détriment de sa composante « islamique ». Hashem Aghajari, qui a récemment été condamné à la peine de mort, est un dirigeant déterminant du OMIR
[9] La carrière de Rabi’I dans le renseignement a fait l’objet de spéculations et colportages très répandus et de désinformation. On a eu droit à des déclarations qu’il dirigeait le directoire du renseignement du CGRI durant les années 1981-1987. Rabi’i devint le rédacteur du quotidien Kar-o-Karegar après les élections de 1987. Peu de temps après, Khatami le nomma secrétaire exécutif du Conseil suprême de la sécurité nationale. Actuellement, il se trouve être le conseiller particulier du Khatami sur les questions de sécurité et de renseignement.
[10] Le destin du quotidien Jame'e s’avère particulièrement instructif. Après sa fermeture en juin 1998, il réapparut rapidement sous le titre du Tus. Après que cette nouvelle licence fut révoquée, le journal réapparut sous le nom de Neshat. Après la fermeture de celui-ci, Neshat s’empara de la licence en sommeil d’Akhbar et reprit sa publication en tant que Akhbar-e-Eghtesad. L’autre partie du personnel de Neshat fut employée par Asr-e-Azadegan, qui, après sa fermeture, fut remplacé par l’hebdomadaire Goonagoon. Jusqu’à sa fermeture forcée, cet hebdomadaire employa les equips du Tus, Neshat et Asr-e-Azadegan. Plus tard, l’équipe et les éditorialistes de l’ancien Jame’e fondèrent le Aftab-e-Emrooz, qui fut lui-même fermé en avril 2000.
[11] La VEVAK a concédé que le cerveau du son directoire de la Sécurité intérieure, Saeed Emami, éduqué à l’américaine, avait planifié les assassinats. Ganji était d’avis que les ordres pour ces meurtres devaient bien trouver leur source de positions encore plus élevées dans la hiérarchie. Il cita l’implication directe dans la série de meurtres de l’ancien Ministre des Renseignements Ali Fallahian. Il identifia également des mollahs tels que Ruhollah Hosseinian, Mohseni Ege’ey et Mesbah-e-Yazdi, qui avaient des liens avec les réseaux de renseignements qui ont planifié et exécuté les assassinats. Le plus controversé de tout, Ganji affirma que les assassinats extra-judiciaires en République islamique commencèrent sous la Présidence d’Hashemi Rafsanjani. Ganji déclare que des dizaines de militants et écrivains dissidents furent assassinés par les éléments « ripoux » (réputés « incontrôlés ») de la VEVAK durant la période allant de 1990 à 1998.
[12] Un article resté célèbre de Ganji, intitulé « Aleejenab Sorkhpoosh » (Eminence Rouge) qui fut publié dans Sobhe Emrooz le 19 janvier 2000 eut un effet particulièrement dévastateur. Dans cet article, Ganji évalua de façon très critique le rôle de Rafsanjani dans une série de questions sensibles qui comprenait la guerre de 8 ans avec l’Irak, l’affaire des meurtres en série et les très nombreux abus commis par les services de renseignements.
[13] Ganji fut traduit en justice sous les chefs d’inculpation de tentative de subversion de la République islamique pour sa participation à une conférence controversée à Berlin en avril 2000. Il fut condamné à 10 ans de prison qui devaient être commués en 5 ans d’exil intérieur.
[14] Les assaillants étaient un groupe de jeunes hommes ayant des connexions perdues (troubles) avec le Basij (l’aile paramilitaire du CGRI). Il n’y a pas de preuves que l’assassinat faisait partie d’une conspiration plus vaste. D’ailleurs, il apparaît qu’il s’agissait d’un projet maladroit élaboré par un groupe de jeunes loups billant surtout par leur excès de zèle.
[15] Le nom complet de l’OSU est Daftare Tahkeeme Vahdate Hozeh va Daneshgah (le Bureau de renforcement de l’Unité entre l’Université et le Séminaire). Il fut créé en 1979 en tant qu’organisme susceptible de générer le dialogue entre les universités et les séminaires religieux. L’organisation devint hyper- active dans les années 1980 après la réouverture des universités qui concluait une période de deux années de fermeture et fut un instrument puissant entre les mains des fomenteurs de la « Révolution culturelle ». Vers la fin des années 80, il était mûr pour devenir un corps représentatif des étudiants et il affirma encore son indépendance à l’égard des institutions culturelles et de haut niveau d’éducation de la République islamique. Ses dirigeants les plus importants ont été Hesh matollah Tabarzdi et Ali Afshari. Tabarzdi fit scission avec l’OFU en 1990 et fonda l’ISGC. Durant ses premières années, l’ISSG gravitait autour de la droite islamique. Cependant, il retourna au bercail, au sein de l’OFU au milieu des années 1990.
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