Israël poursuit une politique d’ambiguïté étudiée pour laisser planer l'idée qu'il attaquera l’Iran, ce qui lui permet de maintenir grandes ouvertes ses options face aux ambitions de Téhéran de fabriquer des armes nucléaires, affirment les experts israéliens.
Les spéculations au sujet d’une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes ont atteint leur fièvre paroxystique au cours des dernières semaines, déclenchées par les commentaires de responsables israéliens et alimentées par une quantité d’articles dans les médias internationaux.
Israël, comme la majorité de la communauté internationale, accuse Téhéran d’utiliser son programme nucléaire pour dissimuler sa quête d’armement de ce type, une accusation que nie Téhéran.
Et l’Etat juif, l’unique puissance nucléaire dans la région, même cela demeure non-déclaré, a fait clairement savoir qu’il perçoit la perspective d'un Iran armé de l’arme nucléaire comme une menace qu’il empêcherait d’advenir à n’importe quel prix.
Mais des experts pensent que la rhétorique d’Israël, au sujet d’une frappe contre les installations nucléaires, pourrait être perçue comme une stratégie permettant, justement, d’éviter la nécessité d’une attaque en accentuant la pression sur l’Iran et la communauté internationale.
Le livre du Professeur de sciences politiques, Yehezkel Dror, « l’habilité politique d’Israël », analyse les façons diversifiées grâce auxquelles Israël pourrait faire face aux ambitions nucléaires de l’Iran et explique que les roulements de tambours de guerre, de la part de l’Etat juif, servent toute une gamme d’objectifs.
“Israël veut certainement que d’autres pays empêchent aussi l’Iran de disposer d’armes nucléaires, et utilise sûrement l’éventualité d’une attaque israélienne comme l’un des moyens de les convaincre de le faire [d'y participer] », a-t-il expliqué.
En brandissant la menace d’une action militaire, Israël vise les décideurs politiques, aussi bien de Téhéran que ceux en Occident", déclare Dror, en utilisant « des moyens très crédibles de créer la dissuasion, comme constituant une grande source de motivation ».
Les bruits de sabre (tentatives d’intimidation) d’Israël semblent s’être encore renforcés, avec l’avertissement du ministre des affaires stratégiques, Moshe Ya’alon, qu’aucune installation iranienne, même si renforcée [dans des souterrains], n’était immunisée contre une attaque israélienne.
Mais on dit aussi que le Premier ministre Binyamin Netanyahou a demandé aux officiels de cesser de « divulguer » leurs indiscrétions autour de cette attaque, avertissant que cela pourrait créer l’impression qu’une attaque est imminente ou qu’elle puisse être perçue comme cherchant à miner les nouvelles sanctions européennes contre Téhéran.
Pour l'écrivain et journaliste Ronen Bergman, spécialiste des renseignements et de l'armée israélienne, la rhétorique de l'attaque est une bonne faàon, pour l'Etat Juif de justifier préventivement une éventuelle opération militaire.
“Une part de la légitimité internationale pour les décideurs politiques consiste à dire : “Nous avons tiré la sonnette d’alarme, nous avons fait tout ce qu’il fallait tout au long de ces dernières années, pour faire en sorte que le monde impose des sanctions afin d’empêcher une attaque ».
Bergman a lancé un pavé dans la mare, le mois dernier, par un article, qui a fait la couverture du New York Times magazine, intitulé : « Israël attaquera t-il l’Iran », qui concluait, en se fondant sur des échanges avec des responsables israéliens de tout premier plan, qu’une attaque dans l’année est plus que probable. Mais, il reconnaissait aussi que même parmi les mieux informées de ses sources, il subsiste encore une incertitude. « Il n’y a pas encore de décision précise d’attaquer », dit-il.
Avner Cohen, un professeur israélo-américain du Centre de Non-Prolifération à l’Institut d’Etudes Internationales de Monterey, pense aussi qu’Israël maintient ses options ouvertes pour se coltiner au programme nucléaire iranien. Le discours israélien sur une attaque « peut bien encore être pris pour un bluff à 80%, dans le contexte actuel, dans le sens où Israël n’a pas encore pris de décision définitive », dit-il.
Mais il fait remarquer qu’”Israël sous Netanyahou et Barak est engagé à agir, si rien d’autre n’arrête l’Iran, si l’Iran continue à développer ses armes nucléaires ».
“Israël pourrait probablement agir seul, et ça, sur ce point, ce n’est plus du bluff”, ajoute t-il.
Cohen reconnaît qu’il subsiste encore une incertitude pour savoir si l’Iran produit déjà effectivement des armes nucléaires, et que toute attaque préventive pourrait galvaniser leur résolution à les obtenir.
“La décision iranienne dépend énormément de la façon dont le monde pourrait répliquer”, a t-il déclaré.
“Ils n’ont pas besoin de réellement disposer d’armes, ils pourraient préférer être perçus comme très proches d’obtenir ces armes, jusqu’au point où cela importe peu qu’ils aient réellement déjà ces armes en leur possession ou, simplement, qu’il ne leur reste qu’à allonger le bras pour les obtenir », explique Cohen.
“Seulement si l’Iran était attaqué, il pourrait aussi quitter le traité de Non-Prolifération et déclarer leur droit de disposer d’armes nucléaires pour assurer leur auto-défense.
Une telle incertitude contribue à inciter Israël à l’emploi de messages contradictoires ou ambivalents, selon Dror.
“Il n’est pas raisonnable, à mon avis, de considérer que la menace ambiguë d’attaquer unilatéralement puisse relever du « bluff », uniquement destinée à galvaniser les autres d’entrer en action », confie t-il.
“C’est beaucoup plus raisonnable de supposer qu’Israël maintient ouvertes toutes ses options, ce qui est la juste chose à faire ». « Rares sont les gens à connaître tous les détails », a-t-il ajouté. « Tout le reste n’est que spéculation ».