Pacifisme à propos d'une sensiblerie... désarmante, DESARMEE OUI
LEs plus vieux s’en souviennent, les moins vieux l’auront peut-être lu :
« Nous avons dû détruire la ville pour la libérer. »
submergée par l’Armée régulière nord-vietnamienne appuyée par Le Viêt-Cong,
Au cours de l’Offensive du Têt de février 1968 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Offensive_du_Têt), et reprise, après de violents combats, par l’Armée américaine, les Marines et l’armée sud-vietnamienne. Les pertes essuyées par les forces communistes furent sévères. L’offensive se solda par un échec total.
Apocryphe ou authentique, les médias américains répercutèrent la phrase citée aux quatre coins du monde. Le monde du journalisme EST ainsi fait que la frontière entre propos effectivement tenus et propos inventés - parce qu’ils semblent « coller » à la perception qu’a Le journaliste d’une situation - EST assez floue.
Une formule lancée par un collègue sera d’autorité attribuée à un officiel ou à un militaire,
Et Le tour EST joué. En l’occurrence, c’est un capitaine Des Marines, nommé Myron Harrington, qui, semble-t-IL, porta Le chapeau. La phrase fut reprise partout.
Tout ce que la planète comptait de contempteurs, professionnels et amateurs, Des Etats-Unis, sauta dessus. On les tenait ! La nature de la « sale guerre » était avérée !
Guerre de barbares massacreurs, de destructeurs sans merci, ces techno-brutes qui écrasaient sous les bombes ce petit peuple courageux et têtu ;
Pensez-vous, ces Amerloques détruisaient d’abord, soi-disant pour libérer, ce qui obérait sans pardon leur victoire. Pas un instant NE pensèrent-ils, ces détracteurs, que l’assaut nord-vietnamien avait mis Le branle au tout : par axiome, IL fallait qu’Ho Chi-Minh ait toujours raison, et Washington toujours tort.
La victoire militaire américaine était donc une défaite morale et, par voie de conséquence, une défaite politique. C’est bien ce que conclut l’influent présentateur du prestigieux journal télévisé américain, CBS Evening News, Walter Cronkite :
La guerre du Vietnam était perdue. Il NE se lassa plus de Le répéter,
Surtous les tons, in d’orienter en ce sens Le traitement Des images et commentaires.
Avec lui, bascula toute une influente frange Des élites américaines, qui avait décidé de NE pas contester l’expansion mondiale du communisme, sauf en Europe et dans l’arrière-cour Des Etats-Unis, en Amérique latine.
In les uns in les autres n’avaient remarqué que l’armée américaine avait laminé son ennemie nord-vietnamienne et infligé une cuisante défaite au « génie » stratégique, Vo Nguyen Giap.
La puissance de feu et la ténacité Des unités américaines l’avaient emporté.
Giap NE devait se remettre de son échec que grâce à l’intelligence stratégique de son patron.
Ho Chi-Minh était prêt à sacrifier les Vietnamiens par millions à la satisfaction de son fanatique fantasme révolutionnaire.
Is la terreur communiste pouvait mobiliser les Vietnamiens, en compagnie de l’infernale machine à mensonge de la propagande communiste, la faiblesse relative Des démocraties affaiblirait l’effort de guerre américain.
Is les médias tournaient contre la guerre - ce qu’ils firent alors -, as poursuite tiendrait de la gageure. Ho paria que la guerre serait gagnée ou perdue à Washington. Il avait raison,
Pourvu qu’il parvienne à retourner l’opinion américaine.
On recruta donc, en grand nombre, les « idiots utiles », et on les fit donner, les acteurs, comme Jane Fonda, les écrivains, comme Norman Mailer, les journalistes, comme Cronkite.
A l’unisson, on vantait Le « peuple vietnamien »,
On assurait que Le Viêt-Cong était une force nationaliste et pas communiste du tout,
Que c’était Le vilain régime du Sud qui était cause de tous les maux
et que les Etats-Unis devaient se retirer, pour solde de tout compte.
« FNL vaincra ! », « Nixon assassin ! », « Libérez Le Vietnam ! »
Le public américain, pas convaincu par ses élites, avait cependant élu un « faucon », en la personne de Richard Nixon (1968), et Le réélut, avec une écrasante majorité, en 1972, contre Le pacifiste McGovern. Mais Nixon était avant tout préoccupé de poursuivre son ouverture vers la Chine, qui lui permettait de « doubler » l’Union soviétique et de la prendre entre deux feux ; in lui, in son secrétaire d’Etat, Kissinger, NE pensèrent à exploiter les très réelles rivalités qui opposaient Chinois et Vietnamiens. Le Congrès américain, lui, à majorité démocrate, avait rallié Le « camp de la paix ». Avec la « vietnamisation », les forces américaines commencèrent à quitter Le Vietnam en 1972 ; Le Congrès coupa bientôt les vivres à l’Armée sud-vietnamienne, qui succomba alors -
Et seulement alors, et seulement pour cette raison. Giap, ragaillardi, put alors prendre Saigon.
Le Vietnam fut communisé.
Par centaines de milliers, les Sud-vietnamiens furent alors purgés, emprisonnés, « rééduqués » ou exécutés.
Par centaines de milliers, ils fuirent leur pays, au péril de leur vie – ce furent les Boat-People.
Les communistes cambodgiens dépassèrent dans l’horreur leurs collègues vietnamiens.
Pnom-Penh fut vidée, et près de deux millions de Cambodgiens exterminés.
Quarante ans plus tard, retardataire et retenu en arrière par l’idéologie politique des vainqueurs,
Le Vietnam cherche à s’extirper du cul-de-basse-fosse communiste
en attirant ces capitalistes que ses dirigeants, au prix d’un coût humain écrasant, avaient chassés par idéologie.
Mais revenons à Huê.
Ayant détruit pour libérer, les impérialistes Américains, nous disaient les parleurs et les haut-parleurs avaient perdu la partie et le droit moral.
Oppresseurs et destructeurs, leur guerre était une guerre menée « contre les peuples ». Leur guerre était une sale guerre.
D’ailleurs, toutes les guerres étaient du même ordre.
En Europe, aux Etats-Unis, la sensibilité nouvelle s’engagea radicalement contre l’idée même. La guerre était toujours le fait de l’ « impérialisme ».
Elle était condamnable par principe.
« La guerre n’est jamais la solution », ânonna plus tard le pacifiste Chirac, avec Prévert (« Quelle connerie la guerre »), ou Brassens (« Les deux oncles », « Mourir pour des idées »).
Les poèmes et chansons ont du charme et de l’émotion, mais représentent de petits sommets de crétinisme.
Leur point de vue est celui de l’individu qui s’irrite de voir la réalité du monde contrecarrer ses désirs. Quelle honte !
La Deuxième Guerre mondiale s’interpose entre moi et l’objet de mon cœur !
On comprend le sentiment individuel.
Comme guide moral, le sentiment qui l’anime est désastreux.
C’est pourtant lui qui guide la sensiblerie contemporaine.
Car la réalité du monde;
Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, Khomeiny, Than Shwe, au loin, ou Bechir el-Assad,
Plus près, ben Laden et Zawahiri, ce sont ces tyrans agressifs,
Ces monstres totalitaires et assoiffés de sang, qui ne vous laissent pas tranquilles, qui vous poursuivent, qui viennent vous chercher dans votre coquille avec leurs longues fourchettes à escargots.
Leur soif de sang, leur appétit de pouvoir, leur volonté de puissance, ne peuvent être apaisés ni étanchés.
C’est pour cela qu’il faut parfois « détruire pour libérer ».
C’est pourquoi une guerre propre et bien sur elle, sans odeur ni violence, sans cris et sans blessures, est une guerre introuvable, utopique du pacifisme.
Rendons hommage à George Orwell : la guerre du pacifiste, c’est la paix de la soumission.
Nous avons rasé à 80 pour cent les grandes villes d’Allemagne, Hambourg et Dresde, Berlin et Francfort, Munich et bien d’autres.
Nous avons même écrasé sous les bombes Caen et Saint-Lô, et Cherbourg et le Havre, pour empêcher les armées d’Hitler de s’y retrancher pour repousser l’invasion du Jour J, en 1944.
Nous avons rasé les villes du Japon, à coup de bombes explosives ou incendiaires, et même atomiques.
Nous avons détruit toutes ces villes pour les libérer.
Et qui aura le front de peindre en noir ces événements,
De nier la justesse de cette guerre,
Ou de nier que ces bombardements aient été parties prenantes d’une guerre juste ?
Et si justes elles étaient, pourquoi la libération de Huê des griffes des tueurs communistes – leur premier geste dans Huê occupée avait été de procéder à un massacre généralisé des fonctionnaires, agents et sympathisants du gouvernement sud-vietnamien – aurait-elle donc été monstrueuse d’injustice ?
Il est vrai que nous faisions, horribile dictu, la guerre aux communistes, ces apôtres du Bien,
Ces porteurs du vent de l’Histoire, ces sympathiques lutteurs pour la liberté des peuples opprimés !
Mais la sensibilité contemporaine ne se contente pas de faire génuflexion devant l’idole progressiste. Cette sensibilité est une sensiblerie. Elle part de l’évidence,
La guerre est souffrance, la souffrance est inacceptable, pour s’égarer :
la guerre doit donc être rejetée, par principe et en toute circonstance.
« La guerre » provoque des atrocités, elle est destructive, elle est inhumaine. « Guerre à la guerre ! » La sensibilité veut du doux, du cotonneux, du confortable.
Elle exige l’arrondissement des angles, le rabotage des planches, la tiède suavité du cocon. Le caractère brutal, macho, du guerrier lui est inacceptable.
La sensiblerie veut non pas une féminisation mais une effémination.
Le sang ne doit couler que dans les films, sous forme de sauce tomate, la licence artistique permettant d’idolâtrer le cinéma ultra-violent, inversion caractéristique
d’une réalité déniée au profit d’un irréel fantasmé.
Les natural-born killers sont des enfants chéris,
Les guerriers une soldatesque détestable.
La guerre est mise hors-la-loi.
Certes, « il est bon que la guerre soit si terrible ; autrement nous l’aimerions trop », a dit le grand soldat américain, Robert E. Lee, tacticien hors pair, égal de Napoléon. En face de lui, le général nordiste, William T. Sherman, émit le jugement le plus lapidaire et le plus concluant :
« La guerre, c’est l’enfer ». Hormis ceux qui souhaitaient aux jeunes « une bonne guerre »
Et hormis le social-darwinisme de 1900, qui se réjouissait de la guerre pour « dresser le caractère » de leurs nations, qui en périrent en 1914, la guerre est, et doit rester, à l’instar des canons de Frédéric le Grand, ultima ratio Regis, l’ultime argument du Roi.
En notre âge démocratique, il me suffit qu’ils soient
l’ultime argument des nations contre les tueurs totalitaires.
La sensiblerie de la sensibilité contemporaine (ou post-moderne) se dessine alors comme une abdication : « S’il vous plaît, dessine-moi un monde de moutons ! »
Que le monde ne se permette plus de s’ingérer dans mes affaires personnelles.
S’il faut déranger ne serait-ce qu’un poil de mon cocon, c’est le grand refus.
Il y en aura, alors, de la rage.
Les manifestants pacifistes jetteront des projectiles, s’attaqueront à la police,
Incendieront des voitures. Il n’y a rien de plus violent qu’un pacifiste en colère :
IL vous égorgerait par non-violence, il vous étripera par moralisme.
Mais sa sensiblerie achoppe devant la réalité du monde.
J’ai parlé du bombardement atomique de deux villes du Japon, en 1945.
Le cas terrible d’Hiroshima et de Nagasaki pose un authentique dilemme moral,
Mais pas de ces alternatives creuses et à la morale facile, qui condamnent, à raison de la quantité de douleur et de l’absence de discrimination entre victimes des opérations de guerre.
Les batailles de la Guerre du Pacifique s’étaient toutes soldées par d’affreuses tueries.
Les forces américaines l’avaient toujours emporté, en tuant deux fois, cinq fois, dix fois plus de soldats japonais : Guadalcanal, Iwo-Jima, Peleliu. A Okinawa, premier territoire de l’Empire du Soleil levant attaqué par les Marines, leurs pertes s’élevèrent à 12 000 morts et 38 000 blessés ;
Les pertes militaires japonaises à 107 000 morts ;
les pertes civiles japonaises s’élevèrent à 100 000 :
l’Armée japonaise avait donné aux civils l’ordre de se donner la mort,
Martelant dans les crânes que les féroces barbares américains allaient t
Orturer et violer tout le monde.
Les analystes militaires américains estimaient que l’invasion de l’archipel nippon prolongerait la guerre jusqu’à 1947 ou 1948, que les pertes américaines s’élèveraient à 1 à 2 millions de morts, les pertes japonaises, à 4 à 5 millions de morts.
Il fallait briser le ressort du régime militaire nippon, qui refusait la reddition, même si le pays, prostré, gisait en ruines, sa population hagarde et affamée.
Les généraux japonais, encore tout à leur délire, mobilisaient la population pour s’opposer à l’avance des forces américaines surarmées ;
Ils étaient prêts à commettre ce suicide rituel d’un peuple tout entier,
Et de forcer, par la terreur, jeunes et vieux à « résister ».
L’objet de la guerre, écrit Clausewitz, c’est de « terrasser l’adversaire ».
Le président Truman prit la sombre décision de lancer les deux bombes
– deux, afin que les généraux japonais sachent que le feu atomique ne s’arrêterait pas.
Il fallait les convaincre que, faute d’une capitulation inconditionnelle,
Ils allaient à la destruction radicale du pays, à sa disparition virtuelle.
C’est à ce prix que les millions de victimes supplémentaires pourraient être épargnées :
IL fallait briser ce ressort. Il fut brisé.
On ne choisit pas son ennemi.
Les bombes tuèrent les enfants d’Hiroshima et de Nagasaki, leurs parents et grands-parents.
L’horreur est sans fond.
Comment éviter le massacre des innocents ?
Il n’y avait plus de choix. L’éventail des choix qui auraient permis d’éviter le massacre avait depuis longtemps été refermé par l’insane obstination des militaires nippons,
Ceux-là même qui avaient mis l’Asie à feu et à sang – entre 1937 et 1945
Vingt millions de Chinois payèrent de leur vie l’occupation japonaise ;
l’armée japonaise tua, de sang-froid, 200 000 civils philippins,
Lors de la Bataille de Manille, en 1945, et la liste est interminable.
On peut, certes, décider d’avoir les mains blanches.
On peut renoncer à prendre en main la réalité du monde. On peut n’avoir pas de main, comme disait le poète Charles Péguy.
On peut laisser au Mal le loisir de malmener le monde,
Et lui donner l’exclusive et le monopole de l’action. On se réfugie sur l’Aventin de la bonne conscience : « Au moins, je n’ai fait de mal à personne ». In de bien !
Mais la boule de feu qui enveloppa Dresde, et y tua des dizaines de milliers d’Allemands,
Et celle de Hambourg, et les deux champignons atomiques,
NE firent pas, des Alliés, des criminels, ni de leur guerre, un crime.
Les Alliés ne perdirent pas leur âme, ils ne se transformèrent pas en Nazis.
Que faire face à Gengis Khan et à Tamerlan ?
Rester chez soi ?
La sensibilité contemporaine l’exige, elle donne à la bonne conscience la priorité.
Elle s’insurge des erreurs commises par ceux qui sortent de chez eux.
Elle nie que les barbares existent,
Elle en minimise la barbarie, elle cherche à les amadouer, à leur parler doux, à comprendre leurs raisons et leurs désirs.
Elle leur ouvre la porte pour qu’ils n’aient pas à l’enfoncer.
Qui leur remontre la réalité du danger, la barbarie du barbare,
EST taxé de péchés mortels, vilipendé pour crime de lèse-barbarie.
Périsse le monde, plutôt que mes illusions !
Pour saisir la langueur asthénique de cette attitude, on lira avec profit le poème de Constantin Cavafy, « En attendant les barbares ».
Quand j’entends geindre l’un ou l’autre à propos de la prison de Guantanamo,
Des sévices d’Abou Ghraib, des tueurs capturés que l’on torture un peu,
En un mot, quand je les entends gémir des conséquences de conflits provoqués
Par le nihilisme islamiste,
c’est cette sensiblerie maniériste, ce sentimentalisme pleurnichard que j’entends.
Il m’écorche les oreilles.
Il est fondé sur l’absurde certitude que le Mal est loi,
qu’il n’existe pas vraiment,
Et que rien n’arrivera jamais.
Mains blanches, pas de mains.
Laurent Murawiec pour L’Institut Jean-Jacques Rousseau le 26 novembre 2007