L’Irak affronte la tempête politique
Bouleversements moyen-orientaux
Par Sterling Jensen
Adapté par Marc Brzustowski
Pour © 2011 lessakele et © 2011 aschkel.info
Middle East Quarterly (Le trimestriel du Moyen-Orient)
http://www.meforum.org/2991/iraq-political-upheaval
La tempête politique du début 2011 au Moyen-Orient a eu un impact intéressant sur l’Irak. Alors que le gouvernement était confronté à des manifestations presque quotidiennes, qui ont conduit à un grand nombre de démissions de hautes personnalités et à l’usage de la force pour réprimer la dissidence politique, le Premier Ministre Nouri al-Maliki s’est senti suffisamment confiant pour se vanter du fait que « l’Irak est devenu le pays le plus stable de la région [1]». Bien que cela puisse apparaître comme une bravade un peu difficile à avaler, étant donné le passé récent, Maliki n’est pas seul à faire preuve de confiance dans les perspectives pour l’Irak. Les Sadristes, les Kurdes, et les dirigeants du bloc essentiellement sunnite « Iraqiya » sont, tout autant, optimistes, concernant les perspectives pour le pays, alors que de nombreux irakiens de l’intérieur pensent que leur pays déchiré par la guerre ne se contentera pas d’affronter l’instabilité, mais qu’il servira, également, de modèle de démocratie.
Effectivement, le système démocratique établi en Irak, à travers son second gouvernement élu en six ans, devient plus représentatif et plus sensible aux préoccupations du peuple. Bien que le pays connaisse encore des différences confessionnelles et politiques à résoudre, s'il veut assurer sa stabilité sur le long terme, ce système va probablement perdurer, du fait de quatre conditions essentielles : un gouvernement représentatif, des médias indépendants et transparents, des forces de sécurité professionnalisées et une relation de proximité avec les Etats-Unis.
Un gouvernement élu
Les Irakiens se sont montrés euphoriques après la réussite de leurs élections nationales de mars 2010. La plupart des stations de médias locaux, indépendamment de la critique des biais politiques, ont diffusé des commentaires bruyants et des discussions saluant ces élections comme celles qui tracent une voie démocratique dont les autres pays arabes devraient s’inspirer. Cette euphorie est vite retombée, quand les controverses sur les résultats des élections et les huit mois de négociations entre les partis ont suivi.
Aux environs de décembre, les reportages des médias concernaient le fait que le processus politique était devenu plus déprimant et craignaient même l’émergence d’une nouvelle dictature Maliki. Puis, une fois le gouvernement formé, la plupart des Irakiens lui ont donné un mois d’état de grâce. Durant cette période de la mi-janvier, les manifestations publiques en Tunisie sont parvenues à évincer du pouvoir Zine al-Abidine Ben Ali, leur dictateur depuis 23 ans. En février, ensuite, Hosni Moubarak a démissionné en Egypte, à la suite des manifestations. Puisque le sommet de la Ligue Arabe devait se dérouler à Bagdad, à la fin mars, les hommes politiques irakiens, qui exhortaient leur propre gouvernement à entreprendre des réformes, ont également prêché auprès de leurs homologues arabes, de la nécessité de tirer des enseignements de la démocratie irakienne.
Un point essentiel, pour Washington, sera de renforcer l’importance de la poursuite d'élections libres et intègres. En réponse à l’instabilité arabe, beaucoup de responsables du gouvernement, dont Maliki, ont appelé à un report des élections locales [2]. Ce n’est pas la bonne direction à suivre. Washington devrait aider les Irakiens à se préparer aux élections locales, puis porter l’attention sur les élections nationales de 2014. A la suite du départ de Moubarak, Maliki a annoncé qu’il ne briguerait pas un troisième mandat [3]. Sa déclaration d’intention devrait contribuer à une transition pacifique du pouvoir en Irak, en 2014, et Washington devrait faire pression sur le Premier Ministre pour qu’il tienne parole.
Des Media indépendants et transparents
L’Irak a fait l’expérience de ses premières manifestations d’ampleur nationale le 25 février 2011, en partie autour du Square Tahrir de Bagdad. Le Premier Ministre Maliki, qui avait précédemment encouragé les citoyens à exercer leurs droits constitutionnels à manifester pacifiquement – même contre lui- a effectué un brusque retournement, et deux jours avant ce que les organisateurs irakiens ont appelé « le jour de colère », conçu sur le modèle de la « révolution de la colère », qui avait débuté le 25 janvier, a dénoncé l’évènement prévu comme une provocation des terroristes et des baathistes. Ce stratagème a échoué, et bien qu’il y ait eu des incidents disparates, entraînant des violences, comme les affrontements mortels de Mossoul [4], et la dégradation de propriété publique à Kut [5], les manifestations se sont avérées relativement pacifiques. Bien que les forces de sécurité irakiennes (FSI) aient usé d’une brutalité excessive, les médias intérieurs ont donné une large couverture au sentiment de scandale et de mécontentement partagé par le public, conduisant le gouvernement, ainsi averti, à dénoncer toutes les violations et à promettre des enquêtes approfondies sur les faits qui se sont déroulés. Des gouverneurs, des maires et des conseils communaux ont démissionné sous la pression des manifestants [6], et le gouvernement a modifié significativement les attributions du budget 2011 pour accroître les investissements sur l’assistance financière immédiate, de façon à apaiser les revendications de la foule.
Une telle réactivité n’aurait pu se produire auparavant, s’il n’avait pas existé des medias indépendants et transparents. Le fossé entre le gouvernement et le peuple aurait été plus difficile à combler, si la population n’avait été gavée que par la propagande d’état, comme en Libye, en Egypte et en Syrie.
La poursuite de la transition de l’Irak vers la démocratie et un plus grand respect des droits de l’homme requerra, de la part des Etats-Unis et de la communauté internationale, une pression pour qu’il conserve des médias ouverts et libres. Et, alors que Washington s’est montré réticent à critiquer le gouvernement, puisqu’il y achève sa guerre la plus controversée et la plus coûteuse, il ne doit pas perdre de vue le rôle des médias libres en tant qu’observateurs et garants de la démocratie.
Des forces de sécurité plus professionnelles
Alors que les Forces de sécurité irakiennes (FSI) ont déjà traversé un long chemin depuis les jours sombres des escadrons de la mort d’origine confessionnelle, entre 2004 et 2008 [7], elles doivent encore établir la confiance requise pour être vraiment considérées comme une force politiquement neutre et purement nationale. Plutôt que d’être accusées de sectarisme, les FSI sont, actuellement, accusées de politisation. Comme on a pu en témoigner, au cours de la Journée de Colère, et en dépit des tentatives du gouvernement de les dépeindre comme les protecteurs neutres du peuple, les FSI se sont avérées plus loyales envers les partis politiques dirigeants qu’envers le peuple qu’elles étaient censées protéger [8]. Pour apporter une note plus positive, quand des violations ont eu lieu, comme le fait de tirer sur les manifestants ou de fermer les bureaux des groupes politiques, la pression des médias et du public a fourni des preuves de la manipulation des FSI par certains partis à des fins politiques.
Aussi longtemps que les médias demeurent libres et que le gouvernement reste représentatif, les FSI auront tendance à devenir plus apolitiques. Le respect dont l’armée égyptienne a fait preuve envers les manifestants a été observé avec attention en Irak. Durant la vague de manifestations en Irak, qui a débuté avec la journée de colère, la majorité des stations de télévision a diffusé des témoignages aussi bien de manifestants que de membres des forces de police, qui exprimaient leur espoir d’agir comme l’a fait l’armée égyptienne et de ne pas réprimer ou empêcher les manifestations pacifiques [9].
Nonobstant l’invocation de Maliki de la présence dans ses rangs d’Al Qaeda en Irak (AQI), de façon à discréditer la manifestation, AQI et d’autres groupes violents n’ont pas exploité la contestation pour perpétrer des attentats de grande ampleur. Le Mollah Nathem Jabouri, un ancien guide religieux d’AQI, a prétendu que, quoique l’organisation aurait aimé par-dessus tout faire sauter un Square Tahrir bourré de milliers de Chi’ites, elle ne le ferait pas, parce que les manifestations contribuaient aussi à saper la confiance du public dans les FSI et dans le Gouvernement [10].
S’il veut gagner, plutôt que perdre la confiance des manifestants, le gouvernement aura besoin d’instaurer des réformes et de résister à l’impulsion d’utiliser les FSI pour réprimer la contestation. Qui plus est, pour que l’Irak poursuive sa route sur le chemin de la démocratie, les FSI devront être plus disciplinées et politiquement neutres, particulièrement au cours des manifestations publiques. Pour leur part, les Etats-Unis et l’OTAN devraient maintenir leur relation étroite avec les FSI pour leur permettre de devenir plus professionnelles, ce qui nous conduit à la quatrième condition garantissant l’avenir de l’Irak en tant que démocratie stable.
Plus proche de Washington, plus éloigné de Téhéran.
Se manifeste une crainte croissante parmi quelques experts, particulièrement dans les états du Golfe persique, que les tentatives du régime iranien d’exploiter l’instabilité arabe rapprocheront Bagdad de Téhéran. En fait, les révolutions ont rapproché Bagdad d’un cran de plus vers Washington. Ainsi, par exemple, Jassib Moussawi, un éminent professeur de l’Université de Bagdad, a prétendu, sur la télévision d’état Iraqiya, en février dernier, juste après la démission de Moubarak, que « le projet néo-conservateur américain de démocratiser le Moyen-Orient et de contribuer au développement humain dans le monde arabe avait réussi, et que l’Irak devrait renforcer ses liens avec les Etats-Unis, dans le but de devenir encore plus un modèle de démocratie pour les pays de la région ». Il a même exhorté le parlement irakien à étendre les accords de sécurité avec les Etats-Unis, au-delà de 2011, tout cela sur la station de télévision d’état [11]. De telles déclarations sont devenues de plus en plus courantes dans les médias irakiens [12].
Le gouvernement irakien souhaite gagner un plus grand respect régional et réaffirmer sa position dans le monde arabe. La tendance émergente vers la démocratie et la société ouverte placera Bagdad plutôt dans le camp occidental que dans celui de Téhéran. Bien qu’en désaccord avec les alliés des Etats-Unis dans le Golfe persique, notamment avec l’Arabie Saoudite, le Koweit et le Bahreïn, du fait de leur réticence à accepter un gouvernement dirigé par des Chi’ites, Bagdad continuera de se tenir aux côtés de Washington plutôt que de Téhéran, à mesure qu’il développera de plus en plus son potentiel démocratique. La télévision d’état irakienne et les hommes politiques chi’tes ont, tous deux, condamné l’usage de la force de Téhéran contre l’opposition iranienne, en février 2011[13], et se sont encore davantage fait entendre au sujet de l’usage de la force par le Bahreïn contre la majorité chi’ite de l’Emirat [14]. Alors que les Sunnites et les anti- Iraniens pourraient considérer cette prise de position forte contre le Bahreïn comme un indicateur de la propension de Bagdad à soutenir les intérêts iraniens dans la région, il est important de distinguer entre la solidarité irakienne ou iranienne concernant les problèmes chi’ites et leurs intérêts nationaux particuliers. Bagdad démontrera sa solidarité avec Téhéran sur les problèmes liés aux Chi’ites dans la région, mais il ne le fera pas au risque d’affaiblir son propre développement politique. Alors que l’Irak réalise une plus grande stabilité intérieure, on peut s’attendre à ce que, le gouvernement démontrant une plus grande confiance en sa démocratie dirigée par des Chi’ites, cela affaiblisse, plutôt que cela ne renforce Téhéran.
Conclusion
Les révolutions arabes ont apporté au gouvernement irakien un surcroît de confiance dans le fait qu’il sortira plus fort des huit dernières années de conflit et plus à même de jouer un rôle de meneur au Moyen-Orient, au cours de la prochaine décennie ou dans deux. Bagdad se perçoit comme une économie et une démocratie émergente qui aura besoin de l’assistance de Washington et des autres états occidentaux pour accomplir ces aspirations, et bien que les responsables de l’énergie irakienne puisse se montrer exagérément optimistes, quand ils prédisent que le taux d’exportation quotidien se montera à dix millions de barils par jour en 2021, n’exporter même que la moitié de cette quantité stimulerait grandement le poids géopolitique de l’Irak.
Les états du Golfe persique seraient bien avisés de cesser de ne percevoir l’Irak qu’à travers le prisme confessionnel. Si Bagdad se montre capable de résoudre ses controverses internes de façon pacifique et d’améliorer l’efficacité de son gouvernement, à travers un train de réformes modestes, son avenir sera brillant. Des médias ouverts aideront le peuple à contraindre le gouvernement à rester intègre, et des élections libres et régulières ne le rendront que plus représentatif. Les administrations américaines devront rester à proximité, quoi que la relation avec l’Amérique ne soit plus fondée uniquement sur la sécurité. La proximité de Washington contribuera à contrôler les impulsions du gouvernement dans l’usage des FSI à ses seules fins politiques, la volonté de faire taire les médias, ou de ne pas instaurer complètement les réformes promises par le gouvernement. Bien que le retrait des troupes américaines ait rendu plus facile, pour Bagdad, de défier Washington, il est probable qu’il compte sur l’assistance américaine pour appuyer sa tentative de devenir un modèle pour la démocratie arabe qu’il commence à définir.
Sterling Jensen a travaillé en Irak entre 2006 et 2008 en tant qu’interprète contractant et qu’officier civil dans les zones éloignées pour les Marines américains. Il est, actuellement, chercheur associé au Centre d’études stratégiques du Proche-Orient et d’Asie du Sud, à Washington D.C., et candidat à un doctorat au Collège Royal de Londres.
[1] Iraq Daily Times (Baghdad), Mar. 23, 2011.
[2] See, for example, The Boston Globe, Mar. 1, 2011.
[3] Middle East Online (London), Feb. 6, 2011.
[4] The Guardian (London), Feb. 25, 2011.
[5] Dawn (Karachi), Feb. 26, 2011.
[6] Middle East Online, Feb. 27, 2011; The Washington Post, Feb. 27, 2011.
[7] The Times (London) Feb. 16, 2006; BBC News, Feb. 16, 2006.
[8] The Christian Science Monitor (Boston), Feb. 25, 2011.
[9] Baghdadiya TV (Baghdad), Feb. 25, 2011; Sharqiya TV (Baghdad), Feb. 25, 2011.
[10] Author telephone interview with Mullah Nathem Jabouri, Mar. 2, 2011.
[11] Jassib Moussawi interview, Iraqiya TV (Baghdad), Feb. 18, 2011.
[12] Hassan Snayd, Abdul Hadi Hamani, and Mahmood Othman, Sharqiya TV, Apr. 7, 2011; Borhan Mizher, Hurra Iraq TV (Baghdad), Mar. 29, 2011.
[13] Iraqiya TV, Feb. 15, 16, 2011.
[14] TVNZ (Auckland, New Zeal.), Mar. 17, 2011; Kuwait Times (Kuwait City), Mar. 21, 2011.