Quand Zola écrivit : ‘J'accuse!’
Par Jeff Jacoby
http://jewishworldreview.com/jeff/jacoby033108.php3
Adaptation française de Sentinelle 5768 ©
C’est la plus fameuse ‘première de couverture’ de l’histoire du journalisme. Son titre en un mot : « J’accuse » - est on ne peut plus renommé. Le 13 janvier 1898, le journal français ‘L’Aurore’ publia l’extraordinaire lettre ouverte en 4000 mots d’Emile Zola sur ‘l’Affaire Dreyfus’, une parodie de justice dans laquelle un capitaine innocent de l’armée française, Alfred Dreyfus, avait été déclaré coupable de trahison et condamné à l’emprisonnement à vie, en isolement à l’île du diable, une colonie pénitentiaire infernale au large de la côte d’Amérique du Sud.
Zola était alors l’écrivain le plus populaire en France, et son essai passionné pour défendre Dreyfus et accuser la Cour militaire et le gouvernement français d’un énorme camouflage électrifia la nation et résonna dans le monde entier.
La page 1 de l’article de Zola – en partie reportage d’investigation, en partie défense passionnée – est en exposition à la galerie 808 de l’Université de Boston. C’est l’un des documents, dessins, et objets parmi les plus marquants qui constituent « La Puissance du Préjugé : L’Affaire Dreyfus », une exposition parrainée par ‘Hillel House’ de l’Université de Boston, et le nouveau Centre d’Art et de Culture de Boston. La saga Dreyfus a été la première épreuve judiciaire à déclencher et à nourrir une frénésie médiatique, et voir ce « J’accuse ! » plus d’uns siècle après sa publication, c’est faire face à la naissance de quelque chose que le monde moderne tient pour acquis – le pouvoir de la presse pour galvaniser et former l’opinion publique.
Le dossier Dreyfus a commencé par la découverte d’une lettre offrant de vendre des secrets militaires français aux Allemands. Après une enquête inepte, le chef du renseignement français, un antisémite déclaré, pointa du doigt Dreyfus, le seul Juif à l’Etat Major Général de l’armée. En vérité, Dreyfus était un ardent patriote français, dont le rêve d’enfance avait été de servir son pays sous l’uniforme. Une Cour martiale secrète condamna Dreyfus sur la base d’un dossier falsifié, et au cours d’une « dégradation » publique humiliante à l’Ecole Militaire, ses décorations lui furent arrachées et son épée brisée. Comme Dreyfus protestait bruyamment de son innocence, l’historien Paul Johnson écrit : « une foule immense et excitée… commença de hurler : ‘Mort à Dreyfus, Mort aux Juifs ».
Quelques mois après, un nouveau chef du renseignement avait identifié le véritable traître, le Major Ferdinand Walsin-Esterhazy. Les partisans de Dreyfus – les Dreyfusards – exigèrent que son procès soit rejugé, mais des officiers de haut rang, déterminés à protéger l’armée contre tout embarras, conspirèrent pour protéger le traître. Une Cour martiale fantoche acquitta Esterhazy. C’est en réponse à cette deuxième parodie que Zola écrivit « J’accuse ! »
Tout cela se joua dans une vague d’hystérie antisémite, dont la plus grande part était alimentée par la presse. Parmi les objets les plus effrayants de l’exposition de l’Université de Boston, il y a des posters, des titres, et des caricatures dépeignant les Juifs comme des serpents, de la vermine, et des escrocs au nez crochu, une race répugnante dont la France devait être purgée. Un poster géant incite les électeurs à soutenir Adolphe Willette, faisant campagne sans retenue pour un poste de maire comme « candidat antisémite ». L’Affaire Dreyfus a été le point de départ d’une grande vague d’antisémitisme politique moderne, un précurseur de la terreur nazie qui allait dévorer l’Europe quelques décennies plus tard.
L’article de Zola mobilisa les Dreyfusards, parmi lesquels beaucoup d’écrivains, d’artistes et d’universitaires de pointe de l’époque. Ce fut aussi la naissance de quelque chose que le monde moderne considère comme acquis : une classe intellectuelle activement engagée dans une guerre au-delà de la culture et des valeurs nationales. Pour les partisans de Dreyfus, ce qui était en jeu, c’était la démocratie française et la justice : les droits individuels, un procès juste, l’égalité devant la loi. Les anti-dreyfusards craignaient la perte de la stabilité sociale, de l’influence du clergé, de la tradition française.
La bataille fit rage pendant un dizaine d’année, provoquant un clivage de la société française, et modifiant irrévocablement le 20ème siècle. Dreyfus fut finalement libéré, replacé dans sa position d’officier, et décoré publiquement de la Légion d’Honneur. Son patriotisme intact, il participa activement à la Première Guerre Mondiale, puis vécut tranquillement en retraite jusqu’à sa mort en 1935.
Les effets de l’Affaire Dreyfus se prolongèrent longtemps après que Dreyfus fût enterré. L’antisémitisme qu’il suscita fut institutionnalisé. Les anti-dreyfusards devenant en leur temps le cœur profasciste du régime de Vichy. Le journaliste autrichien, Theodor Herzl, frappé par ce à quoi il assista pendant la « dégradation » de Dreyfus, commença à écrire « l’Etat juif », le livre qui lança le sionisme moderne.
Mais de tout ce que l’Affaire Dreyfus avait mis en mouvement, c’est l’ascendant de la presse qui a, pour le meilleur ou pour le pire, le plus façonné la vie moderne. Zola écrivit
« J’accuse », et une nouvelle ère était née.