Priorité défense. Amos Yadlin n'a pas attendu d'être promu à la tête des renseignements militaires pour prendre conscience de l'immense responsabilité qui lui incombait tout au long de sa carrière. Cet ancien général de l'armée de l'air a participé à quelques-unes des plus importantes missions jamais conduites par Tsahal. En tête : la destruction du réacteur nucléaire irakien à Osirak, en 1981, baptisée opération "Opéra". Vice-commandant et responsable des renseignements de l'aviation israélienne, directeur de l'Ecole de la Défense nationale, attaché militaire à Washington...
Amos Yadlin deviendra l’un des plus fervents défenseurs de la responsabilité morale de Tsahal.
Photo: Ariel Jerozolimski , JPost
Yadlin cumule les missions, avant d'obtenir, sans doute, le titre le plus honorifique de tous : directeur de Agaf Modiin. Plus connu sous le nom de "Aman", le service des renseignements militaires figure parmi les secteurs les plus performants de la défense israélienne. Son directeur peut se vanter du même niveau de compétences que les responsables du Shin Bet (services de sécurité intérieure) et du Mossad (services secrets). Ensemble, ces trois institutions représentent les plus hautes instances de la "communauté israélienne de renseignements" (kehilat hamodiin haisraelit). Nommé par le chef d'état-major de l'époque, Dan Haloutz, Yadlin obtient le poste très convoité, le 5 janvier 2006. Il a alors 55 ans.
Pas de grande surprise. Le fils d'Aharon Yadlin - ancien combattant du Palmah, secrétaire général du parti travailliste et deux fois ministre de l'Education - était sans doute destiné à une carrière ambitieuse. Une carrière motivée, cependant, par le combat contre l'un des plus grands fléaux de son temps : le terrorisme. Et, dans une volonté constante de remodeler la défense israélienne aux urgences de demain, Amos Yadlin deviendra l'un des plus fervents défenseurs de la responsabilité morale de Tsahal.
Réflexions sur les menaces de son temps
Si le rôle du directeur d'Aman consiste, avant tout, à anticiper toute forme de menace à laquelle serait exposé l'Etat hébreu, Yadlin, lui, s'est attaché à porter la lumière sur une autre question fondamentale : les responsabilités de l'armée dans la guerre contre le terrorisme. Une thématique désormais universelle et que les dirigeants israéliens ont récemment remise au goût du jour en réponse, entre autres, à la publication du rapport Goldstone (qui accuse Israël de crimes de guerre pendant l'opération Plomb durci) en septembre dernier. Dans un document intitulé "Les dilemmes éthiques de la guerre contre le terrorisme", Yadlin exposait déjà, en novembre 2004, les grands principes d'une armée en pleine évolution.
Quelles sont les règles de combat contre une entité terroriste ? Qui est terroriste et qui ne l'est pas ? Quels sont les nouveaux risques de dommages collatéraux dans une guerre contre des terroristes ? Ces questions, et beaucoup d'autres, ont ainsi permis de jeter les bases d'une nouvelle réflexion sur le rôle de l'armée israélienne. Une tâche d'envergure, entamée une année plus tôt, lors de la création d'un comité d'éthique destiné à cet effet. La "doctrine" militaire israélienne a ainsi été revue et corrigée, par Yadlin et Asa Kasher (professeur à l'université de Tel-Aviv notamment connu pour avoir participé à la rédaction du Code de conduite de Tsahal en 1992) entre autres.
Plusieurs années avant le verdict Goldstone, Yadlin s'attachait donc déjà à réactualiser le concept de guerre.
En outre, l'une de ses priorités consistait à "fermer les tunnels de contrebande creusés sous le passage de Rafiah". "Nos renseignements indiquent que le trafic d'armes porte les capacités [militaires] à un autre niveau, qui pourrait totalement changer la situation à Gaza", avait-il annoncé en 2004. Soit bien avant le coup d'Etat du Hamas et l'opération Plomb durci...
L'autre priorité de Yadlin : "protéger les innocents". Un concept douloureusement familier aujourd'hui. Alors que la communauté internationale et, plus récemment, les hautes instances de l'ONU, s'évertuent à condamner les attaques "délibérément orchestrées par Tsahal" contre la population civile de Gaza, Amos Yadlin, lui, garde les yeux rivés sur l'avenir. Car, si les accusations extérieures ont encore des chances de s'essouffler - faute d'un soutien suffisant devant le Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple - l'ennemi, lui, ne fatigue pas. Au contraire, il devient plus dangereux et plus puissant. Et le responsable d'Aman nous prévient déjà.
L'oiseau de mauvais augure
Après tout, la crise économique, la grippe A ou encore les quelques faits divers macabres récemment révélés par la presse sont plus palpables. La menace nucléaire, elle, reste encore abstraite. Pourtant, les prophéties d'Amos Yadlin ont la caractéristique de presque toujours se réaliser. En avril dernier, il avertissait des "dangers de la politique de la nouvelle administration américaine au Proche-Orient". "[Le président américain] Obama veut faire avancer le processus de paix dans le cadre d'un dialogue réaliste avec des éléments extrémistes", disait-il. Six mois plus tard, les tentatives de Washington échouent et la Maison Blanche revient sur ses exigences de pré-négociations. Idem pour le Hamas et le Hezbollah : les ennemis d'Israël continuent de s'armer et la lutte entre extrémistes et modérés dans la région continue d'empirer.
Sans jouer les alarmistes, Yadlin est un pro de la prudence. A tel point que l'actuel chef d'état-major, Gabi Ashkenazi, décide de reconduire ses fonctions, en juillet dernier. Aux commandes d'un navire incontrôlable, Yadlin se contente d'alerter, sans véritables garanties d'être écouté. Dans les pas de quelques géants de la défense israélienne, dont Ehoud Barak et Moshé Yaalon, il reste avant tout un gardien. Un défenseur en éveil permanent, caution de l'impossible anéantissement de l'Etat d'Israël.