28.04.10
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Israël court-il le risque d'être "rayé de la carte" ? C'est ce que soutiennent Richard Laub et Olivier Boruchowitch dans Israël, un avenir compromis. Ainsi, l'Etat hébreu, dont la toute-puissance est fantasmée tant bien par ses amis que par ses ennemis, ne serait-il qu'un colosse aux pieds d'argile. Celui que l'opinion publique mondiale considère de plus en plus comme un "méchant Goliath" pourrait-il être lui aussi abattu par un jet de pierre ?
Pris indépendamment, les facteurs de déstabilisation ne menacent pas l'existence de l'Etat juif. Mais voilà, ces facteurs sont nombreux et mis en parallèle ils deviennent inquiétants. L'opinion publique occidentale se montre hostile envers un Etat qu'elle considère comme l'avatar du colonialisme européen. Ce même Etat est empêtré dans un conflit ruineux humainement et financièrement et dont le règlement n'assure en aucun cas la stabilisation d'une région, secouée par les politiques dictatoriales et le terrorisme islamiste. Reste aussi le problème de l'Iran, dont le président a juré de faire disparaître Israël de la carte.
Quant aux Etats-Unis, finalement le seul véritable allié d'Israël, ils pourraient bien changer l'ordre de leurs priorités en raison de grands bouleversements dans leur démographie. De plus, les divisions de la société israélienne en courants ethniques, politiques, religieux et communautaires différents, parfois opposés, sont un facteur de fragilisation supplémentaire.
Lecture alarmiste ou réaliste de la situation ? En tout cas, les faits sont là, incontestables et l'ouvrage, mi-essai, mi-manuel, fait un beau travail de documentation. Comme l'écrit Elie Barnavi, qui a préfacé le livre, "désormais, lorsque quiconque se montrera oublieux des faits, ce qui est fort courant dans les joutes infinies et infiniment stériles que suscite le conflit proche-oriental, on pourra le renvoyer au 'Laub et Boruchowitch'". Rencontre avec cet universitaire et diplomate israélien, ancien ambassadeur d'Israël en France, aujourd'hui directeur scientifique du Musée de l'Europe à Bruxelles
Jerusalem Post : Pourquoi avoir accepté de préfacer ce livre ?
Elie Barnavi : J'ai accepté de préfacer l'ouvrage car c'est un livre très bien documenté. Mais je ne partage pas du tout la théorie de la disparition d'Israël.
J.P. : Dans un contexte qui déchaîne les passions, énerve et inquiète, votre optimisme est-il une attitude volontaire et stratégique ?
E.B. : Il n'y a vraiment pas de quoi être autant effrayé. Les théories qui prévoient la disparition d'Israël ont quelque chose d'hystérique. La menace qui pèse sur l'Etat d'Israël est très exagérée. Ni la "réprobation d'Israël" dont parle Alain Finkielkraut, ni le terrorisme international ne suffisent à menacer l'existence d'Israël. Je considère la situation avec beaucoup plus de sérénité. Il y a effectivement un rapport de force, et Israël doit utiliser ses atouts pour le faire basculer à son avantage.
J.P. : Quels sont donc les atouts d'Israël ?
E.B. : Avant tout et quoi qu'on en dise, Israël est une force militaire considérable. C'est aussi une puissance économique et scientifique. Elle a ses ennemis, mais aussi ses alliés : l'Occident et la diaspora juive. De plus, Israël est une nation, une nation bien intégrée, bien mieux intégrée qu'on ne le pense. Or, jamais l'histoire n'a vu la disparition d'un Etat-nation, ce sont les Empires qui disparaissent.
J.P. : Mais, la société israélienne n'est pas un bloc uni. Elle est aussi très divisée. Dans quelle mesure peut-on parler de nation israélienne ?
E.B. : La nation juive israélienne existe et les Juifs constituent plus de 78 % de la population. Finalement, la société israélienne est sans doute bien plus uniforme que celles d'autres pays. Prenez l'Iran, saviez-vous que les Perses y représentent moins de 50 %. Chez les Juifs israéliens, il n'y a pas d'ethnies, seulement des communautés. Plus les choses progressent, plus il y a des tiraillements, mais c'est parce qu'on veut encore mieux. De même avec les Arabes, savez-vous que 90 % des Arabes israéliens ne quitteraient pas Israël pour intégrer l'Etat palestinien.
J.P. : Laub et Boruchowitch écrivent : "Au fond, la question est celle-ci : où le caractère juif de l'Etat d'Israël doit-il s'arrêter ?" Pour les auteurs, Israël devrait devenir une démocratie citoyenne, laïque. Quelle est votre opinion ?
E.B. : Israël doit rester un Etat à majorité juive. Lui retirer son caractère juif est inacceptable. Mais il faut se battre pour l'égalité de tous les citoyens. Il faut renforcer les politiques de promotion économique et sociale pour les Arabes.
J.P. : Que pourrait être une politique intelligente à adopter en Israël ?
E.B. : En tout cas, à l'heure actuelle, on fait n'importe quoi. Si on est isolé au niveau international, c'est aussi notre faute. Si on continue à adopter des comportements idiots, comme lorsqu'on humilie l'ambassadeur de Turquie, on ne peut pas s'étonner de notre isolement. Une politique intelligente serait une politique de paix, même si c'est une paix "froide", une paix armée. On doit faire la paix avec les Palestiniens, même si on en connaît le prix à payer. On ne peut plus s'accrocher à des territoires qui ne sont pas les nôtres.
J.P. : Le livre affirme que même si Israël fait la paix avec les Palestiniens, la situation du pays ne sera pas stabilisée, notamment parce que, Palestine ou pas, ses voisins lui sont hostiles.
E.B. : Nous n'en savons rien du tout. Et puis, ce n'est pas parce qu'on est hostile qu'on fait la guerre. Je vous l'ai déjà dit, je ne crois pas aux thèses catastrophistes. C'est en pensant comme ça qu'on ne fait rien et que le pire arrive.
Vous savez, les choses progressent. Si on compare la situation actuelle avec celle d'il y a 50 ou 60 ans, on se rend compte qu'elle est bien meilleure aujourd'hui. Même certains pays arabes ont accepté Israël, ils ont réalisé qu'il était moins dangereux que l'Iran ou la Syrie.
J.P. : Rendre les territoires aujourd'hui ne serait-il pas un geste suicidaire pour Israël ?
E.B. : C'est garder les territoires qui est un geste suicidaire.
J.P. : Faut-il envisager une frappe militaire contre l'Iran ?
E.B. : L'Iran représente un danger réel, évident et grave. Ce danger ne concerne pas seulement Israël, mais le monde entier. Une frappe israélienne isolée ne serait pas une solution. Il faut d'abord essayer de contenir l'Iran, sinon, une action doit être menée de manière conjointe.
J.P. : Une des sections du livre s'intitule "l'Europe, la grande absente". Existe-il un acteur européen au Moyen-Orient ?J.P. : Pour Laub et Boruchowitch, le seul véritable allié d'Israël reste les Etats-Unis. Ils décrivent à quel point cette alliance est fragile...
E.B. : Les alliances ne sont pas éternelles. J'ai toujours dit que cette alliance n'était pas évidente. Nous devons faire attention, ce qui ne veut pas dire qu'il faut suivre les Etats-Unis aveuglément. En tout cas, aujourd'hui, l'attitude d'Israël à l'égard des Etats-Unis est idiote.
E.B. : L'acteur européen est mineur. L'Europe ne parvient pas à s'exprimer d'une seule voix. C'est presque un acteur virtuel. Il n'y a qu'un seul acteur de premier plan au Moyen-Orient, et il s'agit des Etats-Unis.
J.P. : Vous avez été ambassadeur d'Israël en France. Qualifierez-vous la France de pays hostile à Israël ?
E.B. : Pas du tout, la France est un pays ami d'Israël et d'autant plus depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy. Israël a d'excellentes relations avec la France, bien meilleures qu'avec d'autres pays européens.
A Paris, par exemple, il y a la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Il n'y a que trois instituts de ce type au monde : un à Washington, un à Jérusalem et celui-ci.
J.P. : J'entendais plus "la population française"...
E.B. : Au niveau de la population, c'est comme partout, l'image d'Israël est très mauvaise. Israël doit améliorer son image, je n'entends pas par là faire de la propagande idiote avec des chameaux. L'image d'Israël dépend de la politique qu'il mène, la popularité d'Israël était bien meilleure sous Rabin et même sous Sharon au moment du "désengagement" de Gaza.
J.P. : Toute une partie du livre est consacrée à l'obsession que suscite Israël à l'ONU, comme dans le débat public et dans les médias. Pourquoi cette focalisation ?
E.B. : Sur la question, vous devriez lire A un ami israélien de Régis Debray. L'ami israélien, c'est moi. Il faut garder à l'esprit qu'Israël est un pays hors-normes. Une partie des racines du monde sont en Israël. Debray utilise la jolie expression d'"arrière-plan spirituel" pour qualifier le rapport de l'Europe à Israël. Si l'Europe est autant focalisée sur Israël, c'est aussi qu'Israël est une création européenne. Il y a le souvenir européen de la Shoah, lié à la création de l'Etat. Sans oublier qu'Israël abrite des lieux saints du christianisme.
En ce qui concerne l'ONU, c'est un autre problème. L'ONU est une machine où le Tiers-Monde a un poids énorme. Mais je suis persuadé que cette obsession disparaîtra le jour où l'on réglera le conflit avec les Palestiniens. Une fois de plus, nous n'y sommes pas pour rien dans la manière dont on parle de nous.
J.P. : Question d'actualité : que pensez-vous des déclarations récentes de Bernard Kouchner en faveur d'une déclaration unilatérale d'un Etat palestinien ?
E.B. : Bien sûr, ce n'est pas une solution idéale. Vous devriez lire mon livre Aujourd'hui, ou peut-être jamais - Pour une paix américaine au Proche-Orient, dans lequel je traite cette question. La solution de Kouchner ne me semble pas être une mauvaise idée pour changer la donne psychologique.