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La survie politique du Hezbollah, balloté entre messianisme iranien et machiavélisme cynique syrien.
Un rapport interne des Pasdaran accuse une « taupe » syrienne d’avoir permis l’arraisonnement d’un navire d’armes en Calabre (sept. 2010)
Par Marc Brzustowski
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
Des révélations, orchestrées par le journal saoudien basé à Londres, Asharq Al Awsat, nous apportent un éclairage sur ces jeux d’influence à double-fond. Huda al-Husseini, la correspondante libanaise du journal dévoile qu’une enquête interne a circulé entre les Pasdaran et le Hezbollah, au sujet de l’arraisonnement d’un navire en Calabre, le 22 septembre dernier.
On se souvient que la police anti-mafia calabraise de Reggio Calabria et la police financière en coopération avec l'Agence des douanes italiennes y avait saisi 7 tonnes de T4 dans le port de Gioia Tauro.
Le T4, ou cyclo-triméthylène-trinitramine ou RDX, est un explosif militaire utilisé par presque toutes les armées du monde. Cet explosif est le principal composant du C4, composé aussi de nitrocellulose et d'autres matériels inertes et il entre aussi dans la fabrication du puissant Semtex. Les bombes très puissantes qui avaient été fabriquées pour tuer les magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino en 1992/1993 ainsi que pour des attentats à Milan, Florence et Rome, étaient à base de T4. Dans le cas présent, les quantités saisies devaient servir de munitions pour les missiles M-302 et M-600, respectivement d’une portée de 150 et de 250 kms, les seconds capables de porter une ogive de 500 kgs d'explosifs, en possession de la milice pro-iranienne au Liban. Les sources de l’opposition iranienne qui ont intercepté ce rapport des Gardiens de la révolution, y ont découvert que c’est un citoyen syrien qui serait à l’origine de la fuite en direction des douanes italiennes.
Il n'est, évidemment pas innocent que ce soit un journal d'obédience saoudienne qui mette en lumière des informations aussi compromettantes : l'Arabie Saoudite tâche de ne pas perdre pied dans la région, qu'il s'agisse d'arbitrer la situation au Liban ou en Irak. Tout coup porté à l'influence iranienne, est, ici le bienvenu, lorsqu'on s'angoisse du risque de le voir s'infiltrer partout, jusqu'au Yémen et, à travers l'Irak, dans la province de Dammam, à l'Est du royaume, dont la majorité est chi'ite et irano-compatible. Le même journal, voix officielle de la Couronne, est allé jusqu'à réclamer la démission de Saad Hariri, pour faire profil bas au Liban, face aux risques d'embrasement commandité par Téhéran ou/et Damas. Toute suspicion mutuelle entre les alliés de l'axe permet de creuser une brèche dans la muraille de l'alliance en escomptant affaiblir un ennemi juré. N'empêche...
Un tel document signale l’embarras à sources multiples qui a traversé l’esprit des Pasdaran. Cette saisie, non seulement compromet les voies maritimes empruntées par les trafics iraniens, mais, de surcroît, donne à la police italienne la piste des intermédiaires et des méthodes utilisées pour organiser cette contrebande :
en effet, ce n’est pas la police anti-terroriste, mais bien les services de répression de la mafia calabraise, qui ont mené l’enquête et abouti à la prise du navire. La Mafia calabraise, baptisée Ndrangheta, est moins médiatisée mais plus puissante que ses homologues sicilienne ou napolitaine. Ce qui laisse augurer de probables traces d’une iranian-connection dans bien des affaires louches et autres assassinats ou attentats en Europe et de ses intérêts croisés avec le très grand banditisme.
La contre-enquête menée à la demande du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution pour connaître l’origine de la fuite, serait remontée jusqu’à des employés du Ministère syrien de la Défense. Les services syriens disent poursuivre leurs investigations. Mais ces découvertes seraient la raison de la visite urgente en Syrie d'Haidar Moussawi, le chef des renseignements iraniens, à la même époque, fin septembre.
Le malaise aurait donc gagné les trois partenaires-malfaiteurs impliqués. Si le cas est avéré, et qu'il remonte bien plus haut qu'un simple lampiste appointé par une puissance étrangère, il traduirait que la Syrie supporte mal que l‘Iran mette ostensiblement son nez au Liban, alors qu’elle-même respecterait que ce même pays considère l’Irak comme sa chasse gardée.
Le rapport interne préconise alors de moins utiliser les voies maritimes, après plusieurs échecs successifs :
en effet, une autre affaire de même type était mise à jour, un mois plus tard, le 26 octobre, cette fois, dans le port de Lagos, au Nigéria. Elle concernait 13 conteneurs, bourrés d'armes jusqu'à la gueule : roquettes pour armes de 107 mm, d'une portée de 8, 5 kms, de même type que celles utilisées par les insurgés en Afghanistan et en Irak, contre les forces américaines, pistolets-mitrailleurs, etc.
Cette fois-là, il n'est pas dit que le Hezbollah devait en être le destinataire final. Les services nigérians soupçonnent qu'elles aient été importées par des opposants politiques (Jihadistes musulmans du Nord) dans le seul but de renverser le régime actuel. Or, l'Iran n'a eu de cesse, ces dernières années, d'étendre ses réseaux en Afrique. Le pays visé, principal exportateur de pétrole du continent, dans lequel règne une corruption endémique, est un des fournisseurs importants des Etats-Unis. Il est donc l'objet de bien des convoitises. Mais il est aussi producteur d'uranium sous forme de "yellow Cake" : deux monnaies d'échange pour tous les chantages à l'énergie et à la bombe.
Les deux responsables iraniens de ce transfert, dont l'un, Sayed Akbar Tahmaesebi bénéficie de l'immunité diplomatique, se seraient actuellement enfermés dans l'Ambassade de leur pays à Abuja, la capitale. Le second, Azimi Agajany, serait venu à la demande d'un responsable d'une radio pro-iranienne au Nigéria, Sheikh Ali Abbas Othman, actuellement sous les verrous.
Constatant tous ces déboires, et soupçonnant un échelon quelconque d'un Ministère syrien d'être impliqué dans la découverte d'au moins un des deux navires, les Pasdaran préconisent d’acheminer les armes à destination du Hezbollah par les routes terrestres : il leur faudra donc intensifier la collaboration avec les services secrets turcs, dirigés par le chi’ite pro-iranien Hakan Fidan.
Cet exemple de croc-en-jambes consistant, pour Assad, à organiser une fuite en direction d’un pays-tiers, ne stipule absolument pas que l’alliance au nord contre Israël est en train de craquer. Il donne plutôt une notion de la façon dont les états-voyous négocient entre eux leurs zones d’influence. Si la Syrie fera front avec le Hezbollah dans le cadre du Tribunal Spécial sur le Liban, elle tient à rappeler à Ahmadinedjad que c’est grâce à elle qu’il y dispose d’un bastion avancé. La question, pour l’Iran est, alors, de savoir si son emprise est suffisamment forte sur Beyrouth, grâce à sa milice chi’ite et la transmission de ses agents pasdaran sur place, pour tordre le bras d’Assad et lui forcer la main.
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3è partie) La consolidation des relais pasdaran à la tête des services secrets « périphériques » : Turquie et Syrie et l’inféodation grandissante du Hamas à l'Iran.