Drôle de Guerre des Images : Peut-on changer de paradigme en frappant l’armement d’un Tueur en Syrie ?
Par Marc Brzustowski.
caricature syrienne : Assad dépoussière son "droit de répliquer".
Depuis dimanche 5 mai, heure des frappes israéliennes non-revendiquées contre l’armement iranien à destination du Hezbollah, mais aussi, au passage, des bâtiments de la fameuse 4ème Division de Maher Al Assad, pivot de la répression, probablement l’unité 501 du Mont Qassioun, au-dessus de Damas, un débat houleux agite la blogosphère de la rébellion syrienne :
faut-il remercier tout haut Israël ? Ce petit pays honni ne risque t-il pas de faire mauvaise presse à la révolution, en laissant entendre que les insurgés se laissent récupérer par, ou pire, agissent pour l’Etat sioniste, l’Amérique et les « ennemis jurés de l’Islam » ? Les « Sionistes » nuisent-ils, même, à l’insurrection, en « l’empêchant » de mettre la main sur des armes comme les Fateh-110 ? Et, d’ailleurs, selon cet argument parmi les plus délirants, à l'heure où les insurgés sont assiégés un peu partout, n’est-ce pas la « preuve » de l’alliance objective entre Assad et Jérusalem, qu’ils s’entendent pour « faire disparaître les armes de la scène de crime » ? Comment omettre que, ni l’Occident, ni les pays arabes, encore moins la Turquie du Grand Mamamouchi Erdogan n’ont levé le petit doigt, après les récents massacres de Banyas, ni ne le feront pour les prochains?
Israël attaque la Syrie, Assad réplique à Israël - seulement en se payant de bons mots.
Si les plus logiques, comme le journaliste Abdulraman Al Rashed, d’Al Arabiya, journal saoudien, soulignent qu’il n’y a bien que les meilleurs alliés du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran, comme l’Egyptien Mohamed Morsi, -autre dictateur en sursis, s’il n’avait l’appui de la Maison Blanche- à condamner les frappes des avions à l’étoile d'azur, c’est la confusion et la plus parfaite dissonance cognitive qui gagnent l’esprit des révoltés arabes. Ils ont, au moins, compris, à l'instar de Tariq Alhomayed (http://www.aawsat.net/2013/05/article55300816), que ceux qui prétendent qu'il serait impossible d'instaurer une zone d'exclusion aérienne, pour empêcher Assad de larguer des bombes sur les villes et zones civiles, sont des menteurs. Que ses terribles défenses anti-aériennes russes (96K9 Pantsyr-S1 Mobile AD system ; 9M311/SA-19 Grison SAM; 9M317/SA-17 Grizzly SAM, etc.) constituent une menace de l'ordre de "peanuts", pour qui sait s'y prendre...
Assad chevauchant un cheval de bois, tient un étendard où on peut lire : "Je me réserve le droit de répliquer"
Assad tenant la pancarte de la "résistance" [contre les Sionistes] préfère baiser la main d'Israël.
Qu’on le veuille ou non, comme le Liban, la Turquie, la Jordanie et l’Irak, le simple fait de disposer de frontières instables avec le régime totalitaire de Damas, implique, de près, Israël dans la guerre civile qui se propage depuis plus de deux ans, de l’autre côté du Golan. L’état hébreu est engagé, non pas dans le conflit lui-même, mais dans la gestion de ses soubresauts et de ses conséquences transfrontalières. Tant que Jérusalem pouvait préférer la paix de 30 ans avec Assad sur le Golan, à toute alternative néfaste, comme l’arrivée du front Jabhat al-Nusra sur le plateau, qui vise à nuire autant à la Jordanie qu’à Israël, tout allait, à peu près « bien ». Le refus de dialogue s’opérait par l’entremise de la neutralisation de groupes terroristes palestiniens, comme le FPLP, le Jihad Islamique, le Hamas ou une guerre à épisodes pleins de rebonds, avec le Hezbollah, au Sud-Liban ou autour des représentations israéliennes à travers le monde.
Assad écrivant "Mort à Israël" assis sur un tas de cadavres syriens
D’une part, Assad a choisi d’affecter une bonne partie des gardiens syriens du Golan à la défense de Damas contre la rébellion et, déjà, déclaré une guerre par procuration, en laissant ses ennemis Jihadistes prendre le contrôle des frontières avec Jérusalem et Amman. D’autre part, devenu hyper-dépendant de Téhéran et de Nasrallah, pour reprendre Homs ou Al Qusayr, le régime alaouite n’est, déjà plus un décideur régional de la paix ou de la guerre avec l’Etat Juif. Il survit, au jour le jour, sous l’impulsion, pour ne pas parler des ordres directs du grand Ayatollah Ali Khamenei. Or, l’ambition majeure de celui-ci est de surarmer son supplétif libanais, pour un pilonnage préventif d’Israël, à coups de Fateh-110, de Scud D, au cas où Jérusalem décidait que l’heure est venue de mettre un terme à ses ambitions nucléaires.
Une autre guerre se joue déjà, au-dessus du conflit « civil » en Syrie : celle résultant de la perte totale de souveraineté de la Syrie sur ses propres choix « stratégiques », au profit de ses alliés du moment. Ceux-ci ont décidé de poursuivre leurs trafics d’influence envers et contre sa chute éventuelle, toujours remise à demain, et pour cause : Assad ne tient vraiment que grâce à eux, à leurs brigades de choc, comme les unités d’élite du Hezbollah, les Brigades Al Qods, les Bassidjis iraniens et leurs conseillers, qui planifient directement les mouvements des troupes et de l’aviation syrienne sur tel ou tel objectif quotidien, quartier de ville conquise par les rebelles, défense des villages, des bases de missiles et de l’armée de l’air.
La rébellion, l’ALS, on l’a vu, à chaque annonce de report occidental d’un projet d’envoi d’armes américaines, britanniques et françaises, se sont rués dans les bras du front Al-Nusra, qui ne cache rien de son affiliation à al Qaeda et de ses ambitions régionales d’instaurer un Emirat de Bagdad jusqu’au Golan. Mais cette allégeance de principe, même si subsiste l’espérance politique, chez certains chefs divisés, de reconstruire, un jour, une Syrie libre, hors de l’influence jihadiste, s’est constituée sur le terrain des combats et de l’aide apportée, par la milice islamiste, à des victimes des bombardements du régime.
D’une certaine façon, ces rebelles se sont enfermés dans un piège idéo-illogique, où tout est préférable à Assad, du moment qu’il le combat : qu’il s’agisse de choix suicidaires pour tout retour à une stabilité quelconque, comme de s’en remettre aux fous d’Allah, voire d'applaudir aux actions ciblées de l’Etat juif qui détruisent des armements. Lesquels, au moins, ne serviront pas à réduire en cendres les villes temporairement libérées… Il n’est même plus temps de leur demander quel type d’aliénation morale leur semble le moins douloureux ou le moins « compromettant ». On ne demande pas à un être exsangue s'il préfère mourir de la peste ou du choléra. On ne lui demande pas non plus, de "sacrifier son honneur d'Arabe" à une cause un peu plus noble, comme, qui sait?, la normalisation des relations avec le monde juif... Mais, puisqu'il est déjà prêt à accepter la coexistence avec les combattants kurdes d'Homs, Alep ou d'ailleurs, rien n'est impossible, en matière de révolution des consciences...
Les pays occidentaux ont choisi de ne pas choisir et, à ce stade, emploi d’armes chimiques avéré ou pas, de contempler cet abîme sanglant du haut de leurs tergiversations avisées et de leurs palabres indéfinis avec la Ligue Arabe et le Grand Mamamouchi d’Ankara, sur le sexe des anges de la mort. Au mieux, Obama se cache derrière ses approbations des raids d’Heyl Ha’avir, l’armée de l’air frappée de l’étoile de David, pour contraindre Moscou à chercher une issue « diplomatique » à la crise. Hollywood aime les "Happy End".
L’Etat juif n’a pas le choix géostratégique de laisser les acteurs s’entretuer en Syrie, en attendant que le pire gagne, puisque, d’après toutes les projections, seul le plus vicieux peut l’emporter. Il devra, à la fois, neutraliser les nouveaux maîtres pro-iraniens du front syrien, qu’il s’agisse des milices du Hezbollah, du Jaiysh al-Mahdi irakien ou/et des Pasdaran de Téhéran ; et avoir à l’œil les menées des sunnites les plus fanatiques, pour s’emparer des mêmes armes, afin de poursuivre les mêmes objectifs : la destruction d’Israël, incidemment, de la Jordanie, dès que l’occasion se présenterait de pointer un lanceur de missiles sophistiqués, des armes chimiques ou tout autre « gadget » que recèle l’empire de la mort et du Jihad irano-sunnite.
L'Etat juif n’a pas, non plus, le loisir moral d’espérer s’attirer « l’amour », pas même les remerciements des rebelles les moins conventionnels, dans la foule des commentaires hétéroclites, après la bataille. Il n’a pas besoin d’écrire un « discours de Damas », à l’instar du « Discours du Caire » de Barack Obama, en mai 2009, ponctué d'un tonique : « Salam Haleykoum ! », en tendant la main à d’anciens ennemis jurés, qui ne retiendraient plus leurs larmes de crocodile, dans l’attente de la prochaine manche de la guerre des images et d’une bonne occasion de resserrer les rangs, contre l’ennemi de toujours.
Mais, Israël peut et doit continuer d’œuvrer, à la fois, selon la ligne de ses seuls intérêts pratiques, face au risque de franchissement d’armes censées « changer la donne » des rapports de force régionaux ; et poursuivre la quête collatérale d’une éthique de la guerre, rappelant à tous les spectateurs de la tragédie, paralysés par l’hésitation, qu’un grand-petit Etat, doté du minimum de valeurs morales, ne reste pas assister impuissant au bain de sang perpétré par un gang d’états-voyous, au prétexte que mettre le doigt dans l’engrenage présenterait des risques. Si les chancelleries, si promptes, depuis plus de 20 ans, à accuser Israël d’être incapable de « prendre le risque de la paix » avec ses voisins, commençaient, seulement, de se regarder en face, lorsqu’il s’agirait de prendre celui d'aider, l'air de rien, le plus faible dans un conflit aussi meurtrier (environ 100 000 morts), tout en s'aidant soi-même à ne pas en subir les retours de flammes, alors, peut-être, faudrait-il accepter de les prendre au sérieux.
A cette heure, ni l’Union Européenne des Fabius et (L)Ashton, ni la Ligue Arabe, ni Monsieur Marmara du Grand Bazar ne sont à la hauteur des évènements qui les saturent et les dépassent. En matière de conseils, qu’ils fassent comme au-dessus du chaudron : qu’ils s’abstiennent.
Il ne faut pas avoir peur de le dire aux demi-soldes de Bruxelles et Doha : le seul pays encore un tant soit peu moral, face à ce gouffre sanguinaire, comme les grandes forges de l'axe du Mal, c'est Israël. Qu'avez-vous fait, quand c'était encore techniquement possible, de stopper, ou, plus modestement, de limiter le carnage?
