La voix des DALIT
entre populisme, négationnisme et judéophobie.
II ème Partie.
PAR SACHA BERGHEIM
SACHA nous propose en deux parties de découvrir un aspect peu connu de l'Inde dans ses structures sociales :
Les datit Panthers.
Texte exceptionnel.
Tous nos remerciements.
Aschkel et Gad
DALIT
De la haine anti-brahmane à la haine antijuive.
Un des organes principaux de diffusion des thèses racistes des dalit panthers est la « Voix des Dalits » (Dalit voice), fondée et dirigée par Vontibettu Thimmappa Rajshekar, né en 1932 dans une sous-caste kannara.
C'est sous son influence que le discours de défense en faveur des dalits s'en transformé, sous l'influence de l'afrocentrisme judéophobe de Nation of Islam, dont il s'inspire directement, en un discours violemment antisémite. Les poncifs antisémites et les théories conspirationnistes sont reprises et réinvestis sous la forme d'une défense ultra-nationaliste d'une indianité dalit.
Soutien répété du régime théocratique iranien – ses représentants se rendront en Iran au moment des colloques sur l'Holocauste – et défenseur indéfectible des diatribes négationnistes d'Ahmadinejad, il diffuse les thèses des Protocoles des Sages de Sion, en prétendant que « les Brahmanes et les Juifs se sont unis pour asservir les Musulmans, les Noirs et les Dalits. »
Partant du principe qu'un Juif l'est par la naissance comme un Brahmane l'est en vertu de sa naissance, et du principe antisémite que les Juifs seraient un fléau pour l'humanité, il qualifie les Brahmanes de « Juifs de l'Inde ».
De façon paranoïaque et irrationnelle, ils réduisent les Guerres Mondiales, la montée du communisme ou l'essor d'Hitler à des manipulations sionistes à l'échelle planétaire, et soutiennent l'idée inconsistante d'un pouvoir juif aux USA et dans les médias.
L'assimilation rhétorique entre Juif-sioniste-Brahmane et oppression, trouve son origine paradoxale dans le refus juif de tout prosélytisme, réduit à un choix aristocratique identique au clivage indien fondé sur la hiérarchie de naissance.
La thèse d'un pouvoir juif mondial dominant les peuples se voit réintroduit dans le contexte indien sous la forme d'un « complot sioniste-brahmanique ». Faisant le parallèle entre la proportion de Juifs aux USA et celle des brahmanes en Inde, ils détiennent ainsi la clé d'un discours associant jalons nationalistes indiens et thématiques diffusés mondialement.
« L'inde est dirigée par les Brahmanes qui ne sont que 3% de la population. De façon similaire, l'Amérique est contrôlée par ses 3% de Juifs. Les deux groupes proviennent du Moyen-Orient et ont les mêmes caractéristiques génétiques. C'est pourquoi nous les appelont les Juifs de l'Inde. »
En 2002, Rajshekar déclarait : « les Brahmanes, que nous avons décrit comme les Juifs de l'Inde, ont battu les Juifs en perversité, dissimulation, traitrise. »
Ce narratif conspirationniste pathétique se double aussi d'un négationnisme classique adossé à une apologie du national-socialisme qui le rapproche du mouvement antinoir et antijuif Christian Defense League américain, que Dalit voice affirme soutenir.
« La propagande sioniste repose sur l'idée que les Juifs avaient besoin de leur foyer pour échapper aux persécutions allemandes et nazies menées par Hitler. Ce sont ces « persécutions » qui sont devenus connues dans le monde sous le nom de Holocauste. »
Discours conspirationniste, colmatant des bribes factuelles avec un ciment négationniste.
« Les Juifs sont passés maîtres dans l'art de la propagande et ont assassiné la verité en prenant d'assaut tous les médias et en tuant la vérité par le monopole des médias. Quelle est cette vérité ? Alan Hart, historien anglais et correspondant de la BBC, dans son livre Le Sionisme, le véritable ennemi des juifs de 2005, dit qu'Hitler n'était pas anti-juif. Au contraire, les Juifs l'ont entièrement soutenu. »
« Le monde connaît beaucoup de choses sur l'holocauste, qui est largement exagéré, s'il n'est pas simplement complètement mensonger. Mais ce que le monde ne connaît pas, c'est l'holocauste vieux de 3 000 ans dû aux « Juifs de l'Inde » qui l'on tenu secret et enterré sous les montagnes de mensonges appelées la non-violence, la justice et la verité à la Gandhi. »
Dénonçant le rapprochement Inde-Israel confrontés au terrorisme islamique, ils prétendent que « la collaboration entre les « Juifs de l'Inde » est les Juifs de Israel sioniste est plus dangereuse que les Juifs eux-mêmes. ».
Or, c'est précisément ce fond théorique raciste qui constitue le socle argumentatif de l'institution All Indian Christian Council dirigé par Joseph D'Souza qui écrit, sous une forme plus policée, mais qui relève des mêmes fondements :
« Les terroristes hindous-nazis dirigés par le RSS [mouvement propagandiste nationalsite hindou] se gonflent souvent du nationalisme indien ou du nationalisme culturel. Ils dépensent beaucoup d'argent et de temps à voir se lever un patriotisme national parmi les Hindous. Mais est-ce que l'inde est vraiment une nation ? »
Le mode explicatif des dalits panthers repose ainsi sur une inversion du sens de l'histoire. De la même façon que l'antisémitisme européen, il se fonde sur une contestation de l'histoire dite officielle. Divergeant de l'école des subaltern studies pour qui le contre-modèle indien s'oppose au modèle traditionnel britannique, la vision de l'histoire du mouvement associe une trame narrative similaire au discours des théoriciens nazis (notamment concernant l'opposition factice aryen-brahmane / dravidien-dalit) et une réécriture de l'histoire sur ce postulat xénophobe.
Cela les conduit à faire de la partition de l'Inde le produit d'une caste brahmane unie et dont le projet serait la division de l'entité culturelle indienne afin de maintenir sa domination sur la société.
Nous trouvons ainsi chez Rajshekar et Dalit Voice une nébuleuse de théories racistes, antisémites, dont le point commun reste l'indigence intellectuelle et la confusion mentale, cimentée par la haine.
Les articles de Dalit voice reprennent également à leur compte la thèse de Gerald L. K Smith dans The Jews and the Communism, faisant du communisme le produit d'une conspiration juive antichrétienne. Considéré comme le leader de l'antisémitisme aux USA, partisan de la suprémacie blanche, il constitua le America First Party après Pearl Harbor, et participa activement aux « Chemises d'argent » de William Dudley Pelley créées sur le modèle des « chemises brunes ».. Il a pratiqué un lobbying actif aux USA en faveur de la libération des criminels de guerre nazis condamnés par le Tribunal de Nuremberg, et se fit le porte parole du négationnisme le plus radical et le promoteur de la théorie de la conspiration juive, ainsi que l'avocat de politique de stérilisation forcée en Afrique.
Le livre de Benjamin Freedman The Zionist Control of America, constitue une des sources les plus lues. Né en 1890 et chrétien d'origine juive ashkénaze, il s'inscrit dans la lignée des convertis faisant de l'antisémitisme la marque de pureté de leur nouvelle foi. Il engagea ainsi une polémique haineuse contre le Talmud et certains rituels juifs. Fondateur de la Ligue pour la Paix et la Justice en Palestine en 1946, il réduit la restauration d'Israel au produit d'un lobbying juif suractif auprès des Américains qui, ainsi, auraient renié leur philogermanisme naturel. Les guerres mondiales sont réduites à un projet sioniste caché : les conflits mondiaux auraient été instrumentalisés au profit des Juifs. Il est aussi connu pour la reprise politisée de la théorie non-scientifique de Abraham Poliak, de 1941, d'une origine khazar des Juifs ashkénazes, théorie dont le but est de dénier le droit à l'établissement d'un foyer en Palestine, terre d'origine du peuple juif. Théorie perverse qui aurait pour effet de relativiser l'antisémitisme allemand, puisqu'il s'appliquerait au judaïsme et non aux ashkénazes, usurpateurs non-sémites du judaïsme, qui en auraient ainsi payé le prix.
A ces pamphlets, il faudrait ajouter les pathétiques Who controls de Whistey Trust? De John Benedict, Zionism rules the World, de Henry H. Klein, the Truth about the Jewsd'Alexander Ratcliffe, ou encore Zionism: the Hidden Tyranny, de Ben Freedman.
Une idéologie fascisante contre l'Inde et l'Occident.
Ce narratif antisémite et raciste, que nous retrouvons en Europe lors des alliances rouge-vert-brun à la Gouasmi-Soral-Dieudonné, devient le moyen argumentatif de légitimer avec acharnement l'apologie de la violence et de l'élimination physique des ennemis désignés du mouvementdalit et des Musulmans, en se présentant comme victime de conspirations surpuissantes judéo-brahmanique – et non judéo-maçonnique cette fois-ci – dont ils seraient les derniers opposants.
En érigeant alors l'élement juif comme archétype de l'ennemi dissimulateur et violent, la doctrine des dalits panthers et, de façon sous-jacente, de l'AICC, qui en partage le fond idéologique, tente d'universaliser sa cause, par un déni de sa nature xénophobe (puisqu'elle reprend le clivage dont elle se s'affirme victime), par l'intermédiaire d'une lutte manichéenne des forces mondiales de mal (le sionisme) face aux différents opprimés-résistants restaurant leur dignité dans l'élimination physique de celui qui en incarne l'obstacle.
C'est à l'occasion du négationnisme qu'émerge avec plus de force l'apologie des projets génocidaires.
Mais, à la différence de l'islamisme, le mouvement desdalits panthers n'adopte aucune eschatologie et inclut un discours sécularisé repris des mouvements marxistes indiens actifs surtout en Andhra Pradesh.
Son paradoxe réside dans cette association entre un discours de défense fondé sur un discours de haine.
L'intérêt matériel et financier de ses leaders politiques a conduit à sa réintégration partielle dans le champ politique régional indien, par le biais de négociations électorales autour de l'alliance dravidienne.
C'est aussi ce même calcul qui, au nom d'une défense supposée des Musulmans contre les Brahmanes, les conduit à fermer les yeux sur les violations flagrantes envers les basses castes au Pakistan voisin.
C'est enfin cette même compromission qui les conduit à cette alliance temporaire et stratégique, selon eux, avec les mouvements judéophobes et négrophobes américains.
La marginalité de ce mouvement s'oppose à un large consensus pan-indien, mais le réinvestissement totalement fanstasmé du sionisme à des fins politiques n'est pas sans rappeller également le consensus antisioniste politique, dans la plupart des médias et parmi les leaders des anciens pays colonisés depuis Bandung.
D'un côté, la violence endémique due à la rebellion rurale et marxiste en Inde laisse persister un espace de conflict dans la société indienne, permettant une certaine diffusion des thèses judéophobes dans un pays connu pour son ouverture. C'est donc la mise en cause de l'unité indienne qui se joue à travers cette critique radicale du système des castes.
De l'autre, s'il semble exagéré de parler d'une internationale antisioniste, on ne peut qu'être méfiant face à l'essor à l'échelle mondiale de thèses antisémites où l'élément juif y est instrumentalisé à des fins politiques et violentes. Hannah Arendt relevait justement cette banalisation des thèses judéophobes dans les années 1930 non seulement dans la propagande nazies mais dans les milieux de diffusion du savoir occidentaux, ayant conduit à exclure les minorités juives de l'espace commun puis de l'espace des êtres humains.
Car il n'y a rien de moins dangereux pour la liberté qu'une politique fondée sur la caution à l'irrationnel.
Sacha Bergheim