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11.08.09
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Meïr Dagan, né Huberman, est-il l'"homme de l'année hébraïque" 5768 comme l'a nommé la deuxième chaîne en octobre 2008, ou le "tueur de l'année", comme l'a baptisé Haaretz en retour ?
Meïr Dagan
Photo: Ariel Jerosolimski , JPost
Ce doit être une question de point de vue, car les deux médias décernent un prix au même homme, et mieux encore, s'en réfèrent aux mêmes faits d'armes de l'actuel chef des services secrets israéliens (Mossad).
Cet homme de 64 ans est pour le moins controversé, donc, mais en état de grâce aux yeux du gouvernement. Le Premier ministre Binyamin Netanyahou, qui ne tarit pas d'éloge sur cet homme "exceptionnel", vient en effet de renouveler une nouvelle fois son mandat d'un an. Ehoud Olmert, avant lui, avait déjà loué ses "succès exceptionnels".
Les hauts responsables de la sécurité israéliens sont en général nommés pour quatre ans. Meïr Dagan, lui, dirige d'une main de fer le Mossad à Herzliya, dans le district de Tel-Aviv, depuis 2002.
Ariel Sharon l'avait chargé de rendre au Mossad ses lettres de noblesse pour redonner aux services secrets israéliens leur crédibilité aux yeux du monde. Il devait également contrarier les projets nucléaires iraniens.
Lorsque Dagan succède à Ephraïm Halevy en 2002, le Mossad est en perte de vitesse. Les services secrets israéliens peinent à se relever de l'échec de l'assassinat de Khaled Mashaal, chef politique du Hamas en Jordanie en 1997, et de plusieurs autres revers, notamment une tentative avortée de mettre sur écoute l'ambassade d'Iran à Chypre et l'arrestation de plusieurs agents en Suisse.
Killed: Imad Mughniyeh, the 'bin Laden of the 80s'
On attribue au petit homme trapu né en 1945 en Ukraine plusieurs "succès" tels que l'assassinat du chef militaire du Hezbollah Imad Moughnieh à Damas en septembre 2007 ou, le même mois, le bombardement d'installations nucléaires secrètes syriennes.
Mais ce végétarien qui ne craint pas l'hémoglobine fait aussi montre d'une lucidité qui fait de lui l'un des hommes les plus influents des hautes sphères de l'Etat. Ainsi, Meïr Dagan avait prédit que Damas ne réagirait pas au raid israélien de 2007, par crainte d'une défaite militaire.
Une vie au service de l'Etat, pour le meilleur et pour le pire
Adepte de l'expression "la fin justifie les moyens", le chef du Mossad ne fonce pourtant jamais tête baissée. Ses actions, parfois expéditives, sont toujours légitimées à ses yeux par le but qu'il s'est donné : assurer la sécurité de l'Etat hébreu.
Ainsi, il est l'un des rares responsables israéliens à ne pas avoir été épinglé par le rapport de la commission Winograd sur le fiasco de la guerre de l'été 2006 contre le Hezbollah.
Il avait en effet averti que le pilonnage aérien du Liban ne suffirait pas à porter un coup fatal à l'appareil militaire de l'organisation chiite.
"Je propose de ne pas attaquer d'infrastructures libanaises car cela renforcera le soutien de la population libanaise dans son ensemble au Hezbollah. Je propose une offensive généralisée contre le Hezbollah et une opération terrestre au Liban."
Son expertise militaire lui vient certainement de ses 32 ans de service dans l'armée israélienne. Il a notamment créé à la demande d'Ariel Sharon une unité de choc dans les années 1970, peu regardante sur les moyens d'assurer la sécurité de la bande de Gaza.
Cette patrouille de reconnaissance, "Rimon", reste l'une des unités les plus controversées de l'histoire de l'armée israélienne. Les consignes données par Dagan à ses hommes étaient claires : localiser les terroristes, les arrêter et les éliminer.
Cette unité a incontestablement joué un rôle dans la répression de la vague de terreur qui sévissait à Gaza au début des années 1970. Mais à quel prix ? Dagan et ses hommes, déguisés en Arabes, s'y sont forgés une réputation d'assassins sans scrupules.
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Réputation qui n'a pas quitté Meïr Dagan. Ainsi, quand Emmanuel Rozen, présentateur de la deuxième chaîne, lui a décerné le prix d'Homme de l'année, pour tenir le public en haleine, il le dépeint - avec un humour d'un goût assez douteux : "C'est une personne connue pour avoir décapité des Palestiniens avec un couteau japonais... C'est un homme né avec un couteau entre les dents... Il est à la tête du Mossad... Meïr Dagan !"
Né en Union soviétique, et arrivé en Israël à l'âge de cinq ans, ce fils de rescapés de la Shoah affiche une rudesse expliquée par certains - comme la journaliste Ilana Dayan - par une "mentalité de réfugié" qui ne l'aurait jamais quitté.
D'ailleurs, depuis 2002, nombreux sont ses collègues qui ont démissionné pour cause de mésentente avec leur supérieur.
Le départ le plus retentissant aura été celui de son "bras droit" en 2007, après l'annonce de la première reconduction de Dagan à la tête des services secrets. Surnommé "Taf", du nom de la première lettre hébraïque de son nom de famille, son identité reste couverte par la censure.
Personnalité éminemment complexe, le journaliste Yigal Sama, qui l'a rencontré longuement, a rappelé dans Yediot Aharonot que Dagan est également "un grand lecteur, un mélomane (...) Il y a ceux qui l'ont vu dans son fauteuil, entouré de sa collection de sabres et narguilés, lisant du Spinoza ou un livre de théorie militaire, et il y a ceux qui l'ont vu envoyer ses hommes dans des missions mortelles."
Durant son service militaire, toujours à l'avant des combats, il a été blessé par deux fois. Plus tard, il a reçu une décoration pour bravoure - seconde plus importante décoration militaire - pour avoir attaqué un Palestinien recherché qui tenait une grenade dégoupillée.
Dagan s'est engagé dans les forces israéliennes en 1963 en tant que parachutiste. En 1967, lors de la guerre des Six-Jours, il commandait une compagnie qui combattait dans le Sinaï.
Ensuite, il s'est illustré dans les hauteurs du Golan. Son surnom de "Roi des ombres" lui vient de la première guerre du Liban, où il commandait la brigade blindée Barak. Là, Dagan a su gérer "100 armées et 500 opinions politiques, et le brouillard sur la bataille était très épais", rappelle l'un de ses officiers d'alors.
En 1991, Meïr Dagan fut nommé adjoint du chef d'état-major général pour les problèmes liés à l'Intifada. Quatre ans plus tard, n'ayant pas obtenu le commandement de la région Sud, il démissionne de l'armée après 32 ans de service.
"Aucun terroriste ne doit se sentir en sécurité, où qu'il soit"
Mais il continuera de servir son pays, notamment à la tête du Bureau israélien du contre-terrorisme dès l'année suivante.
C'est alors qu'il avait déclaré sur la deuxième chaîne : "A mon sens, aucun terroriste ne doit se sentir en sécurité, où qu'il soit. Je considère qu'une personne a perdu la vie dès lors qu'elle décide d'adopter des méthodes terroristes."
Aiguillé par la conviction que dans le terrorisme, la population est la principale victime, la "doctrine Dagan" consiste à éliminer les terroristes avant qu'ils ne s'en prennent aux civils.Dès lors, depuis 2002, certains se sont risqués à lui attribuer les éliminations de nombreux auteurs d'attentats, comme Ramzi Nehareh, un marchand lié au Hezbollah ; Ghalib Awaleh, activiste de l'aile militaire du Hezbollah ; ou Abou Hamza, chef du Djihad islamique au Sud-Liban. Et ce en période de calme relatif après la seconde Intifada.
Israël ne revendique jamais ce genre d'opération, cela fait partie des règles du jeu.
Dagan agit dans l'ombre, mais si tous les hommes politiques s'accordent à présent pour louer son action, c'est avant tout sur la question du nucléaire iranien qu'il sera jugé.
En arrivant à la tête des services secrets, Dagan avait promis de stopper le programme nucléaire de Téhéran.
Pour lui, l'Iran nucléaire est la menace numéro 1 d'Israël. Mais il a toutefois brusquement rompu avec la ligne officielle israélienne en annonçant, mi-juin, que l'Iran ne sera pas nucléarisé avant 2014, et non pas 2010.
Une déclaration qui remet en cause la politique de Binyamin Netanyahou et suscite la première vague de protestation de l'ex-chouchou des hommes politiques et de Tsahal.
De la lune de miel à la lune de fiel ? Dagan ne sera peut-être pas éternellement reconduit à la tête du Mossad.